Dans la capitale haïtienne, on assiste à une situation anodine qui nous rappelle drôlement le terrifiant tremblement de terre du 12 janvier 2010, en l’occurrence : le retour des tentes et des camps de fortune. Ce cataclysme sanglant avait coûté la vie à plus de trois cent mille personnes, particulièrement dans le département de l’Ouest. Avec l’épicentre localisé non loin de Port-au-Prince et de Léogâne, ces deux villes furent les plus meurtries de cette catastrophe.
Outre les morts et les blessés, le bilan en termes de dégâts matériels était considérable. Durant plusieurs mois, des milliers de familles rescapées s’étaient réfugiées dans des camps de fortune. Ils y vivaient pendant des mois, pour certains, des années pour d’autres. Quinze ans après, le scénario se répète. Cette fois, ce n’est pas à la suite d’un tremblement de terre qui a pris la population à l’improviste comme ça a été le cas en 53 secondes en 2010, mais plutôt d’une guerre fratricide qui vient de tout fracasser.
En termes d’impact, c’est bien une catastrophe. Mais, beaucoup plus dévastatrice que le « Goudougoudou ». Un cataclysme que nous avons pris le soin de provoquer et d’entretenir. Si c’est vrai qu’en 2010 l’écroulement des maisons avait épargné ceux qui ne s’y exposaient pas, ce n’est pas le cas en 2025. Dans la capitale, les riverains de Port-au-Prince se font tuer n’importe où ils se trouvent, soit par des balles ciblées ou perdues. Ils sont brûlés vifs chez eux comme ailleurs. Ils se font violer, martyriser sous les yeux de leurs proches inoffensifs.
Avant, les déplacés des camps nourrissaient encore un peu d’espoir. Ils espéraient regagner leur domicile une fois que les choses s’améliorent. Ils avaient l’assurance que même s’il y a des répliques, ils ne sont pas à risque dans les camps. Maintenant, le temps qu’ils passent dans les camps dépend du projet des gangs. Derrière eux, ils ont les maisons pillées, saccagées et incendiées. Ils portent en eux les images de parents brûlés vifs dans ces maisons où ils ont grandi pendant plusieurs années. Ils ruminent les viols dont ils étaient l’objet avant de s’échapper. Bon nombre d’entre eux ont déjà été déplacés plusieurs fois. Dans les camps, ils ne sont à l’abri de rien. L’idéal, c’est de toujours se préparer à courir. Les gangs sont en mode « chasse à l’homme » tandis que la population, abandonnée à son sort, est en posture de « sauve-qui-peut ».
En 2010, on avait les Organisations Non Gouvernementales (ONG) à notre chevet. Quoi qu’on puisse dire d’elles, elles avaient quand même apporté aux victimes un support considérable. Malgré tout, il y avait un gouvernement qui essayait de coordonner en dépit de sa fébrilité. Les gens étaient libres de circulation. Présentement, on est en mode « plus rien ne bouge ». Encerclée à Port-au-Prince et prise en chasse par les groupes armés, la population n’est même pas en mesure de fuir l’enfer de la capitale. Toute communication avec les villes de province est coupée. Le pays est en train de vivre une catastrophe humanitaire qu’il n’a jamais connue de son histoire. Ce, à la face du monde qui admire notre banalité, notre cruauté, notre insouciance et notre vulgarité comme l’on assiste à un film de gladiateurs.
Comment va-t-on sortir de ce marasme ? Ne sommes-nous pas déjà allés trop loin ? Que deviendront ces camps dans quelques semaines encore au regard du rythme de progression des civils armés ? Sommes-nous vraiment les descendants des héros de 1803 ? Nous sommes malheureusement errants dans notre pays. Pire, nous sommes pourchassés. Et qui plus est, si on se laisse trouver, on est mort.
Daniel SÉVÈRE
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