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29 mars 1987-29 mars 2025 : 38 ans pour la Constitution, quelles leçons-a-t-on tirées ?

Le 29 mars 1987, le peuple haïtien a adopté une nouvelle constitution symbolisant une rupture totale avec la dictature des Duvalier (1957-1986). Cette constitution devrait donner une bonne orientation au pays sur le plan politique, économique et social en mettant l’emphase sur les principes de la séparation des pouvoirs, de justice, d’égalité. En bref, le respect des droits fondamentaux. 38 ans après, peut-on parler de l’implémentation des éléments précités ?

Une constitution, qu’elle soit écrite ou non, est considérée comme un projet de société mettant en lumière des règles et des principes établissant le rapport existant entre les gouvernés et les gouvernants. Outre cela, c’est la constitution qui établit le mécanisme par lequel il faut passer pour arriver au pouvoir dans une société tablant sur la démocratie. Ce point de vue est également partagé par le constitutionnaliste français Marcel Prélot. Car selon lui, la constitution fixe les règles juridiques « suivant lesquelles s’établit, s’exerce et se transmet le pouvoir politique ». Or, dans le cas d’Haïti, ce principe existe, mais il n’est plus respecté depuis plusieurs années. Et le pays ne fait que s’enliser dans des difficultés de toutes sortes à chaque fois qu’il s’agit de transmettre le pouvoir par voie démocratique.

En effet, les dernières élections présidentielles organisées en Haïti remontent à 2016. Ces élections avaient permis à Jovenel Moïse d’accéder à la magistrature suprême de l’État. Cependant, depuis l’assassinat au pouvoir de ce dernier, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, les acteurs politiques ont tourné vers un  « accord politique » pour diriger le pays. Et ceci, au grand mépris de la loi mère du pays qui, en 1987, « symbolisait pour l’homme haïtien, surtout les couches populaires, l’espoir d’un pays où chaque homme, chaque femme, voire chaque enfant, se retrouverait ».

Depuis tantôt un an, c’est un conseil présidentiel de neuf membres qui se trouve à la tête du pays. Or, cette structure gouvernementale n’est pas reconnue par la constitution du 29 mars 1987. Dans son article 133, elle stipule que «  le pouvoir exécutif est exercé par : a) le Président de la République, Chef de l’Etat; b) le Gouvernement ayant à sa tête un Premier Ministre ».

La constitution et la sécurité

La capitale d’Haïti est prise en otage à plus de 85% par des bandits armés, selon des estimations. Des femmes et des filles sont violées à longueur de journée sous l’œil inoffensif de leurs proches, des entreprises ont été pillées, brûlées par les civils armés qui opèrent comme s’il n’y avait aucune autorité étatique détentrice du monopole de la violence légitime. La libre circulation des personnes et des biens dans plusieurs endroits à Port-au-Prince est impossible. Quitter Port-au-Prince est devenu un pari risqué.  Ce cataclysme est en train de se produire sous l’œil passif des autorités étatiques. S’il n’est plus possible à un citoyen haïtien de circuler librement dans son pays, alors qui est le garant de l’intégrité territoriale d’Haïti ? Que fait l’État pour mettre hors d’état de nuire les artisans de la violence ? Est-ce la constitution qui empêche à l’État de prendre des mesures drastiques dans la perspective de faire respecter les droits fondamentaux des citoyens ?

Si l’on se réfère à Léon Saint-Louis cité par le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) dans un document intitulé « sur la problématique de la constitution » réalisé sur la direction de Maître Gédéon Jean, il dira que « l’instabilité dans laquelle le pays vit, des décennies après l’adoption de la Constitution, [s’explique] par le fait que notre culture politique n’est pas démocratique, la vie politique n’est pas modernisée, le pays est souvent dirigé par des “outsider” et des hommes sans culture politique moderne qui veulent se maintenir au pouvoir à tout prix, au péril de nos institutions déjà très faibles…ou par le fait que la Constitution n’est pas “bonne” ? Autrement dit, faudrait-il responsabiliser les dirigeants, qu’ils soient de la politique, de l’économie ou de la société civile, qui n’avaient aucun deal pour stabiliser le pays et faire avancer la cause de la démocratie ou la Constitution » ?

La constitution et l’éducation

Ils sont nombreux les enfants qui n’ont pas accès à l’éducation. Alors que la constitution du 29 mars 1987 stipule en son article 32.1 que « l’éducation est une charge de l’Etat et des collectivités territoriales. Ils doivent mettre l’école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de formation des enseignants des secteurs public et privé ». De plus, il est écrit dans son article 32.2 que « la première charge de l’Etat et des collectivités territoriales est la scolarisation massive, seule capable de permettre le développement du pays. L’Etat encourage et facilite l’initiative privée en ce domaine». Il y a dans cette perspective l’article 32.3 qui, lui, stipule que « l’enseignement primaire est obligatoire sous peine de sanctions à déterminer par la loi. Les fournitures classiques et le matériel didactique seront mis gratuitement par l’Etat à la disposition des élèves au niveau de l’enseignement primaire». Compte tenu du contexte actuel, ne peut-on pas dire que ces mesures sont loin d’être respectées ? Avec la violence des groupes armés, les enfants sont de moins en moins scolarisés.  Selon l’UNICEF, le recrutement des enfants par les gangs armés a augmenté de 70% en 2024.

À côté des velléités de modifier la constitution en vigueur, il faut signaler qu’elle n’a jamais été totalement appliquée par ceux chargés de la faire respecter. « Il est clair que nos femmes et hommes [ politiques] n’ont pas la culture du respect de la loi et des institutions. La plus “ belle ” Constitution au monde serait inapplicable en Haïti. Il faudrait s’interroger sur le comportement des hommes et femmes d’Etat d’Haïti et son élite pour tenter de comprendre cette «monstruosité » politique, économique, environnementale et sociale dans laquelle le pays patauge depuis belle lurette», peut-on lire à travers le document titré « sur la problématique de la constitution ».

Jackson Junior Rinvil

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