Noailles, la terre du fer découpé
4 min readLe village de Noailles est situé dans la commune de la Croix-des-Bouquets, à 12 km au Nord-est de Port-au-Prince. Avec la pratique du découpage du fer pour faire des œuvres depuis 1950, il fut transformé en un site artistique et touristique en 2011 avec l’élaboration d’un plan de sauvegarde de ce village et des pratiques du fer découpé à qui il doit sa renommée.
En 1950, Dewitt Peters, un américain amateur d’art qui s’était installé en Haïti et qui fonda le Centre d’Art en 1944, remarqua les croix en fer forgé fabriquées à partir de rails inutilisés par Georges Liautaud pour les tombes de son village à la Croix-des-Bouquets. Ainsi commença la carrière véritablement artistique de Georges avec une nouvelle tradition qui se développa sur l’ancienne habitation de Noailles : l’artisanat du fer découpé. Cette pratique devint une tradition. Elle se développa et prit de l’ampleur dans les années 70, jusqu’à faire du village de Noailles le centre haïtien de l’art du fer découpé. Ce savoir-faire unique s’appuie sur l’art de créer des figures stylisées dans des fûts métalliques recyclés. Sa transmission s’effectue de génération en génération. Avec plus de 80 ateliers et près de 400 artistes et artisans, Noailles est devenu le premier village artisanal modèle d’Haïti. Entre 100 et 300 pièces sortent chaque mois des ateliers qui représentent une activité artistique et économique concernant plus de 7 000 foyers.
Noailles, appelée « village artistique » à cause de son savoir-faire est considérée comme le plus dense foyer d’artistes et de sculpteurs de toute la Caraïbe. Cette expression artistique est avant tout un marqueur identitaire s’inspirant de la culture vodou par les formes, les couleurs, le vécu des artistes et artisans. Elle est le témoignage de la créativité et du sens de l’innovation et de la récupération de ces artistes et artisans. L’aménagement du village, auquel on peut accéder par la route, les rues piétonnes, les espaces verts, l’harmonisation et la signalétique des ateliers, la touche artistique du village à travers son mobilier urbain, dévoilent l’héritage unique que possède ce village. A l’entrée, la gigantesque statue « Manman Feray » conçue par le célèbre Saint Eloi invite à avancer plus loin. Un fronton conçu par Jolimeau, « La Sensualité », composé de 4 550 pièces réalisées par l’ensemble des ateliers de Noailles représentent les savoir-faire du village. En 2009, un musée a été inauguré sur les lieux, à la mémoire de Georges Liautaud.
La pratique du fer découpé est reconnue comme une pratique faisant partie de l’héritage culturel et du patrimoine immatériel des habitants de la localité de Noailles. Elle est avant tout un ensemble de savoir-faire, de connaissances, de procédés et de techniques artisanales originales développées à Noailles depuis plusieurs générations. Les œuvres sont généralement des appliques murales, obtenues dans la tôle récupérée de bidons, découpée strictement à froid, à partir d’outils simples tel que le burin, le marteau, des poinçons, et la force physique des artisans. Aucun outillage mécanique ou électrique n’est utilisé. Tous les outils sont fabriqués sur place par le forgeron du village qui se sert d’une enclume et d’un marteau, respectant ainsi les traditions de l’habitation coloniale de Noailles. La forge s’est transmise de père en fils et est liée à certains rites initiatiques, associés au fer et à sa symbolique à la fois agraire et guerrière. Ainsi, le fer découpé contribue à la sauvegarde de l’environnement, à l’aménagement du territoire.
Pour avoir une œuvre en fer découpé, il faut d’abord acheter le bidon en métal. Ensuite, les ouvriers procèdent à l’étape du découpage. La surface va être martelée et aplanie en vue de permettre le traçage avec un crayon à papier pour schématiser le design voulu qui est le fruit de leur imagination tiré, soit de la culture et du culte vodou (sirène, loas), soit de la vie quotidienne (oiseaux, arbres, fruits, végétation). Un apprenti poursuit avec le découpage du dessin en dégageant le motif tracé sur la plaque métallique par l’action du burin et du marteau. Cela se fait sur une surface plane ou à même le sol. Un papier de verre est utilisé pour réduire les résidus de métal et rendre la surface lisse. C’est la finition. Le vernissage clôt l’étape de la production de l’œuvre. Le séchage au soleil et l’emballage parachèvent totalement la production de l’œuvre d’art qui sera exposée dans l’atelier ou vendue.
GenevièveFleury
Références : Alexis, Gerald. La Croix des Bouquets, Création Artistique et Ferronnerie D’art, in : Revue Conjonction, No 199 (1995). Port-au-Prince