Haïti encore au temps béni des colonies
6 min readL’ordonnance du juge W.W.Voltaire m’en a fait voir de toutes les couleurs. Suite à l’apparition du document de 122 pages, la chambre à écho des réseaux sociaux nous en a mis plein les oreilles, et les gérants d’estrade y sont allés de leurs refrains tonitruants à la mesure de leurs vives émotions et de leur opportunisme politique.
Le flot tumultueux des explications hasardeuses apporta des scories scabreuses et virulentes que seule une tempête aurait pu déraciner de leur socle. Entretemps, la riposte narrative de certains interpellés est venue chiffonner mon quotidien, tant leur pertinence laisse perplexe.
Il n’y avait plus de secrets des dieux. Tout était sur la table pour démasquer l’imposture. Quand l’ex-directeur de la police, M. Léon Charles, nous apprend que, suite à ses pseudo-déceptions avec les révoltés de Petit-Bois, il s’était empressé d’aller s’asseoir avec l’ambassadrice américaine, Mme Michelle Sison pour lui faire part de cet épisode de coup d’État en gestation, je suis tombé des nues. Voir un cadre du gouvernement aller rapporter les déboires de la nation à un étranger est extrêmement étonnant!
Automatiquement, mes réflexions me transportèrent tout droit en Afrique coloniale des années 1840-1945, me confirmant sur le champ notre statut d’aliénés, notre désir d’être esclaves, notre condition de restaveks1. Et, du coup, le film de la recolonisation, par épisodes, se met naturellement en marche sous mes yeux, me signifiant la cruelle réalité concernant les vrais maîtres d’Haïti.
Je revois Bill Clinton visitant Port-au-Prince avec le Président Préval comme chauffeur, l’ambassadrice Pamela White, légèrement vêtue, au bras de Laurent Lamothe au carnaval de Jacmel avec, au poignet, le bracelet rose de l’équipe Martelly au pouvoir. Ce tableau idyllique me rappelle les soirées de bacchanales de la sulfureuse Pauline Bonaparte, sœur de Napoléon, femme de Leclerc, à Saint-Domingue2 (1801-1802), dans les bras de vigoureux étalons noirs choisis à dessein dans le cheptel. Rien de nouveau sous le ciel bleu de Toma!
J’écoute encore la représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en Haïti, Mme Helen La Lime annoncer à son auditoire qu’elle a fédéré les gangs d’Haïti. Je suis des yeux, cette fois, le glissement de l’index de l’ambassadrice sur le clavier de son cellulaire, écrivant en dilettante ce tweet : Jovenel est mort, je choisis Ariel Henri comme 1er ministre d’Haïti. Et c’est parti! Claude Joseph, en dépit de sa surprise enrobée de mécontentement, doit faire semblant de sourire malgré lui en descendant du fauteuil avec un rictus jauni au bord des lèvres et passer la clé à son rival, avec un semblant de cordialité.
Je crois percevoir le chargé d’affaires Eric W. Stromayer donner ses ordres impérieux à la tribu avant la date de tous les dangers (7 février 2024). Je comprends mieux à cet instant précis les multiples courbettes de notre Ariel national devant ses patrons. Tout va très bien, Mme la marquise!
Toujours, sur le p’tit écran de ma mémoire, j’entends tous ces étrangers ricaner en fredonnant le tube ironique sur l’Afrique coloniale du chanteur Michel Sardou, « Au temps béni des colonies » : https://youtu.be/iFgIuIiiMz4
Comme ils semblent relax! En goguette, à gorge déployée, le verre à la main, je les écoute chantonner leur bonheur dans ce pays exsangue et à genoux : « Moi monsieur j’ai eu la belle vie / Au temps béni des colonies / J’avais des ficelles au képi / Au temps béni des colonies »… « On pense encore à toi / Ô Bwana »…
Oh oui, qu’ils continuent à entonner leur ritournelle, le mal est irréversible. Ils nous choisissent un insignifiant à titre de président à chaque élection. Sur de fallacieux conseils, ils détruisent notre cheptel de porcs nationaux pour imposer les leurs. Nos rizières dans l’Artibonite sont anéanties au profit du riz de l’Arkansas. L’Université du Michigan a découvert récemment que le riz « USA Rice » renferme de l’arsenic et est cancérigène. Depuis plus d’une dizaine d’années, nous le consommons. Dites, quel péché Haïti a-t-elle commis?
Ils ont décrété un embargo sur les armes létales que l’armée et la police n’ont pas le droit d’utiliser. Pendant ce temps, leurs gangs fédérés en reçoivent à la tonne, sorties tout droit de chez l’Oncle. En veux-tu, en voilà!
Pour faire semblant de mettre fin à leur pagaille créée de toute pièce, ils nous promettent, pour alléger nos souffrances et garantir notre sécurité, de faire venir du Kenya des gens qui nous ressemblent, avec une cargaison de virus dévastateurs, tel que l’ébola et le choléra.
Comment ne pas penser que ces énergumènes cherchent à nous détruire par tous les moyens, à vider la région de ses habitants. Ce n’est ni plus ni moins qu’un génocide par transposition; un nettoyage ethnique qui ne dit pas son nom.
Ils dégarnissent la nation de ses élites. Avec les abrutis au passé sombre qu’ils placent à dessein au sommet du pouvoir, les désespérés n’ont de salut que dans la fuite. Plusieurs voix se sont élevées pour réclamer justice et pitié pour ces défavorisés de l’histoire qui ne savent à quels saints s’adresser.
Dans ce concert de dégoûts, je retiens pour exemple la cinglante remarque de l’ambassadeur d’Antigua-and-Barbuda, Ronald Sanders, à ses collègues de l’OEA. Il estime : « que, pour avoir profité de l’exploitation éhontée d’Haïti, dans le passé, les États-Unis et la France doivent assumer leur responsabilité dans « l’appauvrissement et la déstabilisation » du pays ».
Et il enchaîna : « La lourde dette imposée par la France après l’indépendance d’Haïti et l’ingérence financière et politique prolongée des États-Unis ont laissé de profondes cicatrices sur la capacité d’Haïti à s’autogouverner et à prospérer »… « La situation en Haïti est désastreuse et le peuple haïtien mérite d’être libéré des privations et des souffrances persistantes qu’il est contraint d’endurer… ».
En pressant encore le citron, il ajoute que, selon lui, « des réflexes historiques freinent le moindre élan de solidarité. Je maintiens, dit-il, que le problème est avant tout un problème de racisme passif – un mépris pour Haïti qui n’existerait probablement pas si sa population était blanche. Cette attitude raciale passive, presque irréfléchie et réflexive, est également mêlée à l’idée selon laquelle Haïti est un pays corrompu où des milliards de dollars d’aide ont été soit mal gérés, soit volés. Ces deux éléments constituent un breuvage toxique que les décideurs politiques occidentaux doivent avaler3 ».
En soulignant cette exécrable conclusion, chers congénères, disons que les néo-colons ont la part belle. Ils s’occupent de notre sécurité (sic). Donc qui paie commande, et fait valser les gorilles!
Max Dorismond
-NOTES-
1 – Restavek : ce terme est utilisé pour désigner les enfants servant comme travailleurs domestiques en Haïti.
2 – Pauline Bonaparte : voir le roman historique « Expédition » de l’écrivain d’origine guadeloupéenne, Claude Ribbe. Édité en 2003.
3 – Ronald Sanders, ambassadeur de Antigua-and-Barbuda aux États-Unis et à l’OEA. Haut-Commissaire (non résident) au Canada. Doyen du corps diplomatique à l’OEA. Src. : « Rezo Nòdwès » du 28 février 2024