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Pawol chouchoun, pawol respè : Quand le vagin de la femme entre en procès.

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Depuis 2003, une pièce de théâtre a marqué un tournant dans la scène artistique et sociale haïtienne : Pawol Chouchoun, Pawol Respè, l’adaptation créolisée du célèbre texte Monologue du Vagin d’Eve Ensler. Mise en scène par Florence Jean-Louis Dupuy et interprétée par Néhémie Bastien, Stéphanie François et Emmanuella Salomon, cette œuvre a fait plus que divertir : elle a ouvert un espace de dialogue et de réflexion sur des thématiques longtemps restées taboues dans la société haïtienne.

Avec son approche unique et sa résonance culturelle, cette adaptation théâtrale n’a pas seulement suscité l’intérêt du public, mais a aussi contribué à un mouvement de conscientisation collective, en interrogeant les perceptions sociales du corps féminin et du droit des femmes à une sexualité libre. Dans une société où le poids des préjugés et des stéréotypes sur le corps des femmes reste omniprésent, Pawol Chouchoun, Pawol Respè est un acte militant autant qu’une œuvre artistique. Florence Jean-Louis Dupuy résume ainsi l’objectif de cette adaptation :
« Corriger les mœurs en riant, lutter contre toutes les formes de violence faites aux femmes, notamment les violences verbales, en commençant par changer les perceptions négatives du corps de la femme et de sa sexualité. »

Inspirée des réalités locales tout en conservant l’esprit provocateur et libérateur de l’œuvre originale, cette version créolisée utilise l’humour pour briser les tabous et inciter le public à s’interroger sur ses propres biais et comportements. À travers des monologues poignants et souvent empreints de légèreté, la pièce redonne une voix aux femmes, leur permettant de revendiquer leur autonomie et leur dignité.

Pour la 21ᵉ édition du Festival Quatre Chemins, placée sous le thème « Non aux masques et aux mascarades », Florence Jean-Louis Dupuy a choisi de présenter deux œuvres majeures : Pawol Chouchoun, Pawol Respè et Fanm Solèy.

Lors d’un entretien réalisé pour le festival, la metteuse en scène a expliqué comment ces pièces s’inscrivent dans une démarche de dévoilement et de vérité :
« Les deux pièces sont des outils pour faire tomber les masques, briser les silences et lever les non-dits. Fanm Solèy met en lumière la contribution des femmes haïtiennes aux luttes pour l’indépendance d’Haïti, tandis que Pawol Chouchoun déconstruit les préjugés et dénonce les mascarades autour du sexe féminin. » Avec Fanm Solèy, Florence Jean-Louis Dupuy invite le public à reconsidérer le rôle des femmes dans l’histoire haïtienne, souvent occulté ou minimisé. Avec Pawol Chouchoun, elle va plus loin en interpellant directement les spectateurs sur leur perception du corps féminin et sur les violences, visibles ou invisibles, qui continuent de peser sur les femmes.

Pawol Chouchoun, Pawol Respè n’est pas qu’une œuvre théâtrale : c’est un outil de transformation sociale. Pour Florence Jean-Louis Dupuy, le théâtre a le pouvoir unique de toucher les cœurs et les esprits. Elle explique :
« Non seulement le théâtre est ludique, mais il est aussi curatif. Dans une société aussi malade que la nôtre, il peut aider à confronter ses travers. Il offre aux jeunes une alternative, les éloignant des tentations du banditisme ou de la délinquance, tout en leur apprenant à vivre et à travailler ensemble. »

Ce potentiel transformateur est au cœur de son engagement artistique. Elle espère que ses pièces provoqueront une prise de conscience chez les spectateurs, les amenant à réfléchir aux violences systémiques et aux stéréotypes profondément enracinés dans la société. Pawol Chouchoun, en particulier, bouleverse les perceptions en imposant le respect et en exigeant une reconnaissance de la dignité féminine.

Pour rendre ses œuvres accessibles au public haïtien, Florence Jean-Louis Dupuy mise sur une forte identité culturelle, mêlée à une dose d’humour qui allège même les thèmes les plus graves. « C’est l’identité haïtienne qui transpire à travers tout ce que je crée qui fait la force de mon théâtre, » confie-t-elle.

Son approche de la mise en scène repose également sur une collaboration étroite avec les acteurs. Elle précise :
« Je commence par écouter leurs propositions, puis je travaille sur le ton, le corps, et enfin les émotions. Ensuite, je donne une orientation et démarre la direction d’acteurs à proprement parler. » Cette méthode, qui combine exploration individuelle et direction structurée, permet de donner vie à des personnages authentiques et profondément humains, tout en mettant en avant des thèmes universels et intemporels.

En portant Pawol Chouchoun, Pawol Respè au Festival Quatre Chemins, Florence Jean-Louis Dupuy continue de défendre une vision du théâtre comme espace de changement social. Cette pièce, qui allie humour, émotion et réflexion, montre que l’art peut être une arme puissante contre les injustices et les violences. Pour elle, la plus grande récompense serait de voir le public sortir, transformer de ses représentations :
« Je veux une vraie communion entre le public et mes créations. Je veux qu’ils repartent avec des questionnements, des remises en question, et surtout, une nouvelle perception du sexe féminin. »

Dans une société où les tabous et les violences persistent, Pawol Chouchoun, Pawol Respè rappelle que le respect commence par l’écoute et que la libération des femmes passe aussi par la libération de leur parole. Un message fort, porté avec passion par une artiste engagée.

Saint Pierre John Stanley

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