S’il est vrai que le gouvernement central avait renoncé à l’organisation du carnaval national les 2, 3 et 4 mars 2025 à Fort-Liberté après de nombreuses critiques, certaines villes de province ont, malgré tout, dansé le carnaval à cœur joie.
Cap-Haïtien, Jacmel, Jérémie, Les Cayes et même Fort-Liberté pour ne citer que ceux-là ont dansé aux rythmes du carnaval en dépit de l’insécurité grandissante qui sévit dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Ces villes ont incarné les idées que de nombreuses personnes nourrissent : « Haïti ne se résume pas seulement à Port-au-Prince » ; «Les Haïtiens ne négocient pas la période carnavalesque ». Peut-être le Docteur Jean-Price Mars a raison lorsqu’il écrivait dans son livre culte ‘’Ainsi parla l’oncle’’ en 1928 : « L’Haïtien est un peuple qui chante, et qui souffre, qui peine et qui rit, un peuple qui rit, qui danse et se résigne ».
Si la capitale haïtienne a dû renoncer à son fameux carnaval populaire, les 2, 3 et 4 mars, de nombreuses villes de province, fortement touchées par la situation sécuritaire à Port-au-Prince, ont perpétué la tradition. 300 millions de gourdes ont été décaissés pour ces festivités. Les autorités centrales ont dû faire machine arrière en raison des polémiques suscitées par l’organisation du carnaval national à Fort-Liberté.
Certaines personnes estiment que le gouvernement devrait servir avec l’argent du carnaval afin d’acheter des matériels pour la Police Nationale d’Haïti (engagée sur plusieurs fronts dans le combat des bandes armées). Si l’on tient compte des 332 milliards de gourdes du budget national, est-ce que 300 millions de gourdes représentent une grande part ?
Jacmel, Les Cayes, Fort-Liberté
À Jacmel, tout comme pour les Cayes et Fort-Liberté, les célébrations des trois jours gras n’ont pas été trop à la hauteur des attentes. Toutefois, ces villes ont dû faire avec les moyens du bord. Si pour Jacmel, certains artistes se sont exprimés via des tableaux engagés sur la situation d’Haïti ( Connu autrefois comme la perle des Antilles) transformé aujourd’hui en champ de bataille (particulièrement la capitale), pour les Cayes et Fort-Liberté, des groupes musicaux (Kreyòl la, Tropicana D’Haïti) ont assuré l’ambiance sur leurs chars. Un hommage a même été rendu à l’écrivain, Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent mieux connu sous le nom de Frankétienne, décédé récemment.
À Torbeck, commune se trouvant dans le département du sud, les citoyens ont dansé sous le thème : « Dansons pour demander la sécurité » (En langue vernaculaire : An n danse pou n mande sekirite).
Le paradoxe haïtien
Port-au-Prince, capitale et poumon économique du pays, se retrouve asphyxié, ceinturé par des gangs armés, pendant que dans d’autres villes de province, on danse le carnaval à cœur joie. Nombreux sont les citoyens qui estiment que cela est incompréhensible et que c’est de l’indifférence.
Dans son livre intitulé « L’échec de l’aide internationale à Haïti. Dilemmes et égarements », Ricardo Seitenfus, professeur, a peut-être donné un élément de réponse. « Parler d’Haïti, écrit-il, c’est ressentir simultanément des sensations contradictoires, fortes et multiples. Haïti est un pays extravagant, excessif, irritant, exceptionnel, intrigant, courageux, émouvant, dévastateur, fragile, précieux, digne, fier, injuste ».
Plus loin, M. Seitenfus ajoute : « Il suscite en nous deux sentiments aux antipodes l’un de l’autre : désespoir et enchantement. Le premier est lié à une analyse crue des statistiques socio-économiques ; à la connaissance de son histoire politique après l’indépendance ; à une plongée dans le quotidien insoutenable de la grande majorité de son peuple ; […] ».
Le diplomate brésilien estime que « l’enchantement découle de la force douce et rieuse de son peuple, de son amour sans limites de la vie, de l’innocence belle et élégante de ses enfants, de son épopée pionnière et unique dans la lutte pour les droits de l’homme, de sa capacité historique et apparemment infiniment élastique à supporter des conditions indicibles de survie, […], de ses paysages sublimes et séducteurs qui cachent des dangers terribles et récurrents ».
La Rédaction