L’ancien Premier ministre et président du Comité de pilotage de la Conférence Nationale, Enex Jean-Charles, a remis officiellement aux mains des membres du CPT, accompagnés du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, en date du 21 mai 2025 à la Villa d’Accueil, l’avant-projet de Constitution de la République d’Haïti. Celui-ci s’attend à ce qu’il ait un gouverneur pour chaque département, entre autres. Déjà, cette ébauche fait l’objet de nombreuses critiques.
Un tournant décisif dans le fonctionnement de l’État en Haïti, et ce, à plusieurs niveaux, est sur le point d’être marqué avec la remise de l’avant-projet de Constitution de la République d’Haïti par Enex Jean-Charles, président du comité de pilotage de la Conférence nationale. Le professeur Guerby Blaise n’a pas pris longtemps pour réagir sur ce nouveau document qui, selon lui, est une source d’inquiétude « pour l’État de droit et la démocratie en Haïti ». L’inquiétude de Me Blaise ne s’arrête pas là puisqu’il a fait savoir, au micro de « Ti koze ak TT » le 23 mai 2025, qu’il est même « inquiet pour l’avenir de l’école en Haïti ».
Retour sur la genèse de l’avant-projet de Constitution de la République
Pour Me Blaise, si l’on se donne pour tâche de réfléchir sur un document qui portera sur l’organisation de la société haïtienne, il ne faut pas mettre à l’écart les gens de la société civile, les journalistes, les sociologues et les psychologues. À en croire le professeur Guerby Blaise, c’est une illusion de prétendre que seuls les constitutionnalistes peuvent travailler sur la constitution. « Le comité de pilotage n’a pas consulté la Fédération des Barreaux d’Haïti. Il n’a pas consulté non plus le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) », a révélé Me Blaise soulignant que c’est la raison pour laquelle le comité de pilotage a accouché un document peu potable en termes de contenu. D’ailleurs, avance-t-il, le texte soumis à l’exécutif est un »copier-coller » typique du « texte de la Constitution de 1987 avec quelques modifications ».
Selon le professeur Blaise, le document de l’avant-projet de constitution est mal rédigé. « Il est confus. Ce n’est pas un travail scientifique», a-t-il déclaré.
Pour Patrick Pierre-Louis, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, c’est à peu près le même son de cloche. Cependant, à la seule différence, il s’interroge sur la légitimité du comité de pilotage de la Conférence nationale. À en croire M. Pierre-Louis, d’un point de vue juridique, ce comité de pilotage n’a pas les compétences pour proposer un avant-projet de Constitution aux membres du CPT et ceux du Gouvernement. Le bâtonnier estime que ce comité n’a pas les compétences d’une assemblée constituante.
Le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince pense que le comité de pilotage de la Conférence Nationale ne peut pas élaborer une Constitution et la soumettre aux membres du CPT en vue d’un éventuel référendum. « De même, le CPT n’a pas les compétences requises pour convoquer un tel référendum », a-t-il rappelé lors de son intervention au micro de Magik 9 le 23 mai 2025.
Pour qu’il y ait un changement de constitution dans une société d’un point de vue juridique, il est nécessaire qu’il y ait d’abord une rupture de l’ordre politique suffisamment marquée, explique Me Pierre-Louis, en citant l’exemple de 1987. Or, dans le contexte actuel, cette rupture n’est pas effective, ajoute-t-il. Toutefois, selon lui, « nous sommes en situation de poser la question constitutionnelle, mais pas de la changer ».
Coup d’œil sur quelques articles au sein de l’avant-projet de constitution de la République d’Haïti
Le texte soumis à l’Exécutif propose en son article 68.2 que chaque département soit administré par un gouverneur élu au suffrage universel pour une durée de cinq (5) ans. Ce gouverneur est indéfiniment rééligible. Pour être gouverneur départemental, poursuit le document en son article 68.3, il faut : a) Être Haïtien ; b) Être âgé de vingt-cinq (25) ans accomplis ; c) Jouir de ses droits civils et politiques; d) N’avoir jamais été condamné à une peine afflictive et infamante ; e) Avoir résidé au moins deux (2) ans dans le département et s’engager à y résider pendant la durée de son mandat ; f) N’avoir pas été mis en débet si on a été comptable de deniers publics. Aussi faut-il faire remarquer que ce point marque un changement majeur dans le mode de l’organisation de l’État. Car dans la constitution en vigueur, cette question de gouverneur n’est aucunement mentionnée.
Le choix d’inclure le concept de l’État fédéral dans le texte soumis au CPT est un acte irréfléchi, selon Me. Guerby Blaise. « Vous ne pouvez pas prévoir un État fédéral avec le même système judiciaire romano-germanique qu’on a aujourd’hui en Haïti », pense le professeur Blaise.
L’avant-projet de constitution stipule en son article 120-2 que la durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans. Le Président n’est rééligible qu’une fois. Aussi, le texte précise que le Président de la République ne peut en aucun cas briguer un troisième mandat.
L’article 123 du texte stipule que le Président de la République est le chef de l’État. Il est également le chef du gouvernement. Or, dans la constitution en vigueur, le Président de la République n’est pas le chef du gouvernement, mais le Premier ministre. Quant à l’article 124-1, il précise que le Président de la République choisit, parmi les ministres titulaires d’un portefeuille ministériel, un Premier ministre qui l’assiste dans la coordination de l’action gouvernementale. Toujours selon ce même article, ce Premier ministre bénéficie de la préséance dans l’ordre établi dans l’arrêté de nomination des membres du gouvernement.
Il est dit dans l’article 229 de l’avant-projet que la Force Publique se compose de deux (2) corps distincts :Les Forces Armées d’Haïti et la Police Nationale d’Haïti. L’article 229-1 ajoute pour sa part qu’aucun autre corps armé ne peut exister sur le territoire national. Dans le contexte actuel, soulignons qu’il y a la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP), très active surtout dans le département du Centre dans la lutte contre l’insécurité. L’absence de la BSAP dans ce texte soumis à la structure gouvernementale qu’est le CPT suscite des interrogations sur l’avenir de ce groupe armé dans le pays.
Il est à noter que selon l’article 73 du texte soumis, pour être élu à la Chambre des députés, il faut : 1) Être Haïtien d’origine, n’avoir jamais renoncé à sa nationalité et ne détenir aucune autre nationalité au moment de son inscription ; 2) Être âgé de vingt-et-un (21) ans accomplis ; 3) Jouir de ses droits civils et politiques et n’avoir jamais été condamné à une peine afflictive ou infamante pour un crime de droit commun ; 4) Avoir résidé au moins deux (2) années consécutives précédant la date des élections dans la circonscription électorale à représenter ; 5) Être propriétaire d’un immeuble dans la circonscription ou y exercer une profession ou une industrie ; 6) N’avoir pas été mis en débet si on a été comptable de deniers publics.
L’avant-projet de constitution de la République d’Haïti : une satisfaction pour le gouvernement
« Nous sommes sur la bonne voie. Ensemble, avec sagesse et foi en notre destin commun, nous pouvons remettre Haïti sur la voie de la stabilité, de la justice et du progrès », a déclaré le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, tout de suite après avoir reçu l’avant-projet de constitution du pays.
Des précisions du Comité de pilotage
Selon le comité, cet avant-projet présenté est loin d’être définitif, ainsi il invite « à faire parvenir, durant la période du jeudi 22 mai au vendredi 21 juin 2025, au Comité de Pilotage de la Conférence Nationale tous commentaires, remarques et critiques utiles à l’enrichissement du texte de la Constitution ».
Jackson Junior RINVIL
rjacksonjunior@yahoo.fr