27 décembre 2025

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Cap-Haïtien asphyxié: la circulation devient une souffrance collective

Embouteillages interminables, routes saturées, conducteurs épuisés, élèves en retard et citoyens à bout de nerfs : au Cap-Haïtien, se déplacer est devenu un calvaire quotidien. Témoignages croisés d’une ville bloquée.

Au Cap-Haïtien, la circulation n’est plus un simple problème urbain. Elle est devenue une crise profonde qui affecte tous les aspects de la vie quotidienne. Là où il fallait autrefois quinze minutes pour se déplacer d’un quartier à un autre, il faut aujourd’hui deux heures, parfois davantage. Une réalité dénoncée avec colère, fatigue et résignation par les habitants eux-mêmes.

Dans cette ville historique, deuxième pôle urbain du pays, les routes semblent avoir atteint leur limite depuis longtemps. Pourtant, chaque jour, des milliers de véhicules supplémentaires viennent s’y entasser, aggravant un chaos devenu presque normal.

« La route est pleine, on n’avance plus »

Dès les premières heures du matin, les embouteillages s’installent. Au centre-ville comme à l’entrée sud de la ville, la circulation est quasiment à l’arrêt.

« La route est pleine, il n’y a plus d’espace », explique Jean-Marc, chauffeur de taxi depuis plus de quinze ans. « On démarre le matin avec l’espoir de faire quelques courses, mais on passe la journée coincés. Parfois, je fais trois heures pour un trajet qui ne devrait même pas prendre vingt minutes. »

Selon lui, la situation s’aggrave chaque jour. « Il y a trop de véhicules, trop de motos, et aucune organisation. Chacun essaie de se frayer un passage comme il peut. »

Des routes inadaptées à la réalité actuelle

Le problème est aussi structurel. Les routes du Cap-Haïtien n’ont jamais été conçues pour accueillir un tel volume de circulation. Étroitement tracées, souvent dégradées, elles sont envahies par des véhicules de toutes tailles, sans distinction ni régulation.

« Regardez cette route », lance Mireille, vendeuse ambulante à proximité d’un carrefour très fréquenté. « Elle est petite, abîmée, et pourtant tout le monde passe ici. Voitures, camions, motos, piétons… c’est dangereux. »

L’absence de trottoirs force les piétons à marcher sur la chaussée, augmentant considérablement les risques d’accidents.

Les chauffeurs dénoncent une activité devenue non rentable

Pour les chauffeurs de tap-tap et de taxi, la situation est devenue économiquement intenable. Beaucoup affirment qu’ils travaillent plus pour gagner moins.

« On prend des contrats, mais on n’arrive pas à les respecter », confie Patrick, chauffeur de transport en commun. « Le carburant brûle pendant qu’on est bloqués, la machine chauffe, et à la fin de la journée, il n’y a presque rien dans la poche. »

Un autre chauffeur renchérit : « Avant, je pouvais faire plusieurs rotations par jour. Maintenant, parfois je n’en fais que deux ou trois. Comment voulez-vous qu’on entretienne le véhicule dans ces conditions ? »

Une pression constante sur les moteurs et sur les nerfs

Rester des heures dans les embouteillages ne fatigue pas seulement les conducteurs, mais aussi les véhicules. Les pannes sont fréquentes, aggravant encore la situation.

« Quand une voiture tombe en panne sur la route, tout est bloqué », explique un mécanicien du centre-ville. « Il n’y a pas de voie de dégagement, pas de dépannage rapide. Un seul véhicule suffit à paralyser tout un axe. »

Cette tension permanente provoque aussi des conflits entre usagers. Disputes, insultes, occasionnellement même bagarres éclatent au moindre incident.

Les élèves, victimes silencieuses du chaos

Parmi les plus touchés par cette crise, les élèves paient un lourd tribut. Chaque matin, des milliers d’enfants arrivent en retard à l’école.

« Je pars de chez moi à six heures, mais j’arrive souvent après huit heures », raconte Samuel, élève du secondaire du Collège Adventiste du Cap-Haïtien. « Ce n’est pas parce que je veux être en retard, c’est la circulation. »

Sa mère confirme : « C’est stressant pour nous comme parents. Les enfants passent trop de temps dans la rue, fatigués avant même d’entrer en classe. »

Dans certaines écoles, les retards sont devenus si fréquents qu’ils ne surprennent plus. Une situation qui inquiète les enseignants.

« Comment voulez-vous assurer un bon apprentissage dans ces conditions ? », se demande un professeur. « Les élèves arrivent épuisés, stressés, parfois découragés. »

Les commerçants pénalisés par l’immobilité

La circulation chaotique a également un impact direct sur l’économie locale. Les commerçants voient leurs activités ralentir.

« Les clients n’arrivent plus comme avant », explique un marchand du centre-ville. « Beaucoup préfèrent rester chez eux plutôt que d’affronter les embouteillages. »

Les livraisons prennent du retard, les coûts augmentent, et les pertes s’accumulent. « Parfois, une marchandise reste bloquée des heures sur la route. C’est de l’argent perdu », ajoute-t-il.

Une population épuisée et résignée

Dans les rues du Cap-Haïtien, la lassitude est palpable. Les habitants parlent d’un quotidien épuisant, où chaque déplacement devient une source d’angoisse.

« On perd du temps, de l’énergie, et même la santé », confie une employée de bureau. « Après deux heures dans les embouteillages, on arrive au travail déjà fatigué. »

Beaucoup dénoncent aussi l’absence de réponses concrètes des autorités.

« On parle beaucoup, mais on ne voit rien changer », déclare un citoyen. « Pas de plan, pas de vision, juste du désordre. »

Une absence criante de planification urbaine

Pour plusieurs observateurs, la crise actuelle est le résultat d’années de négligence et de manque de planification.

« Le Cap-Haïtien s’est développé sans stratégie claire », estime un urbaniste local. « Le transport, l’aménagement des routes, la gestion du trafic n’ont jamais été pensés de manière cohérente. »

Il souligne que des solutions existent, mais qu’elles nécessitent une volonté politique réelle.

Un appel urgent à l’action

La circulation au Cap-Haïtien n’est plus un simple désagrément. Elle est devenue une urgence sociale, économique et humaine. Les témoignages des chauffeurs, des élèves, des parents et des commerçants sont unanimes : la situation est insoutenable.

« Si rien n’est fait, ça va empirer », avertit un chauffeur. « La ville est déjà bloquée, demain elle sera paralysée. »

Repenser la mobilité urbaine, organiser le transport public, réguler la circulation et protéger les piétons ne sont plus des options, mais des nécessités.

Car une ville qui ne circule plus est une ville qui souffre. Et aujourd’hui, le Cap-Haïtien souffre en silence, coincé dans ses embouteillages.

Olry Dubois
Olrydubois@gmail.com

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