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Ne me parlez plus de Cap-Haïtien

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  Oh ! Chers amis, par ces images, par cette détresse photographique, vous venez de couper d’un seul élan une corde sur laquelle je dansais depuis ma prime jeunesse. Je viens du sud, d’une presqu’île appelée pompeusement la Cité des poètes. Et pourtant, c’est la ville du Cap qui m’avait toujours ensorcelé, subjugué. Ne me demandez pas pourquoi, je l’ignore. Mais, dans ma tête d’adolescent, je m’en souviens encore, c’était le coin à découvrir, c’était la terre de mes muses. Je ne connais point la raison. Mais le Cap m’avait toujours fasciné.

  Je m’étais promis de le visiter au temps de mes études dans la capitale. Je me voyais déjà danser à Feu Vert, la plus invitante boîte de l’époque, la sirupeuse et tendre « meringue » interprétée par le célèbre Roger Colas, « Septen tu vois la mer », dans les bras d’une éventuelle dulcinée. Rêve inachevé ou lubie d’adolescent, cette suave intention, malgré toutes les possibilités, ne pouvait à cette époque des années 60 se dessiner, même dans le noir, car le tourisme intérieur inexistant s’était transmué en « Tout-risque », avec la perspective d’être incarcéré comme un étranger suspect.

Ainsi, ne pouvant se concrétiser, cet ardent désir s’était prolongé à l’infini, pour adorer dans tous mes rêves ce coin sublime et fascinant, aperçu une seule fois, de nuit, en allant à Ouanaminthe.

La totale déception

   Et puis, ce matin de mars 2021, sous un ciel morgue et pluvieux, cette vidéo, ci-annexée, offrant une vision apocalyptique de l’Hôpital Justinien de Cap-Haïtien, est venue incendier tous les souvenirs cumulés dans ma tête, de ce patelin, que j’avais imaginé paradisiaque, durant toute une vie, dans mes songes insensés. Quelle tristesse ! C’est la fracture de l’espoir.

  En visionnant les photos de ladite institution, avec les murs défraîchis et la peinture délavée de la section chirurgicale, dans la cour intérieure, je suis tombé des nues. Même l’hôpital de Port-au-Prince ne m’avait autant outragé en ce sens, car, avec le vol et le pillage de la caisse publique, je ne m’attendais pas à mieux. Mais, pour le Cap, ce fut une gifle à doubles mains, un choc sismique éprouvé, comme si cette région évoluait hors du casino royal. Dans mes utopies, je croyais encore que c’était le seul point d’Haïti où le germe de la corruption n’avait nullement pris racine. Mais, hélas, ce n’était qu’un rêve !

Pourquoi ne changeons-nous pas le nom de l’île d’Haïti, une fois pour toutes, pour l’île-aux-Voleurs ? Les flibustiers dans leur tombe seraient heureux de cette reconnaissance. Au moins, leurs descendants ne les auraient pas tout à fait oubliés. Ce serait un retour de l’Histoire.

  Voir, par exemple, un malade perplexe, faisant fi brusquement de ses maux, prendre la fuite, les pieds nus, pour se protéger de la pluie à l’intérieur même de la bâtisse, où le ciel lui tombait sur la tête, m’a profondément chiffonné. Voir les murs suant le miasme et la crasse vermoulue n’est pas une invitation à récupérer la vie, mais un rendez-vous à rencontrer « Baron Samedi1 » avant le jour J.

La brutale réaction

À dire vrai, je ne veux point prêcher la violence, mais je crains de nous voir arriver déjà à ce carrefour, pas trop lointain. Depuis des temps immémoriaux, nous déchirons notre chemise sur la place publique pour réclamer un sursaut de sérieux, un peu de commisération pour les damnés de la nation au nombre de 11 119 9502

Par contre, j’invite mes lecteurs à appuyer sans réserve le personnel médical de l’hospice en grève pour mettre les dirigeants incompétents aux doigts trop longs devant les devoirs de leurs charges : respecter au moins la dignité des Capois.

Avec cette vidéo explosive, n’importe quel citoyen, ayant le sens du devoir, aurait pu prendre les armes pour foutre le chaos dans ce bordel à ciel ouvert, à faire rager l’honnête Haïtien. C’en est trop. Et puis, à chaque instant, ces prédateurs exultent dans des exhibitions carnavalesques : Cayes, Jacmel, Port-de-Paix, s’il ne faut citer que ces régions. Merde alors ! Où plaçons-nous la priorité? De plus, ils ont le culot d’inviter la diaspora à investir, avec des slogans tonitruants : « Haïti open for business ». Pourtant en débarquant au pays, cette dernière ne verrait au premier coup d’œil que cette fatale et surprenante formule : « Haïti open for death ».

  À la première diarrhée, le congénère de retour serait confronté à un double dilemme : une dysenterie, plus la phobie d’aller coucher dans des lits rebutants, qui déshonorent le terme « Hôpital » dans son intégralité.

La mort d’un rêve

  Adieu, vieille cité capoise ! Comme le poète-orphelin, à titre de fils adoptif, je t’ai longtemps bercée, dans mon cœur et au tréfonds de mon âme, tant tu m’avais envoûté. Mais, j’ai fait litière de ce lien pour ne plus te revoir, même dans mes rêves les plus fous.

Max Dorismond

Note

1 – Divinité vaudouesque annonçant la mort. « C’est le lwa des morts, l’esprit de la mort et de la résurrection. Il se trouve à l’entrée des cimetières et se met sur le passage des morts vers la Guinée ». (Src. Wikipédia).

2 – Selon les statistiques officielles de 2018, Haïti comptait 12 120 000 habitants. Ici, sauf une cinquantaine d’individus peut se payer le luxe d’une clinique privée.   

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