À la découverte de Émile Samuel, un violoniste non-voyant
4 min read« La musique me permet de m’exprimer, d’extérioriser tout l’amour que je ressens », fait savoir Émile Samuel, violoniste non-voyant de quarante-trois ans, lors d’un entretien avec Le Quotidien News. Le musicien et linguiste parle de son parcours.
Un violoniste passionné. Un artiste dans l’âme. Émile Samuel sent sous ses doigts les notes musicales qu’il se plaît à perfectionner. Non-voyant, avec son instrument de cœur qu’est le violon, Émile explore l’univers de Jean-Sébastian Bach. « Il a une façon propre à lui de faire de la musique », dit-il au sujet de son idole. « J’adore également Antonio Vivaldi, le compositeur des Quatre saisons », renchérit Emile, d’un ton qui dévoile son amour pour la musique du dix-huitième siècle.
Émile Samuel est né le 10 août 1979 à la section Lavale, dans la commune de Carrefour. Il est deuxième dans une fratrie de huit enfants. « Si j’en crois ce que disent mes parents, je ne suis pas né non-voyant. Mais dans ma mémoire, je n’ai aucun souvenir de la vue », déclare Emile, âgé de quarante-trois ans, qui a perdu très tôt sa vue, on en ignore les causes.
À l’âge de sept ans, Émile a intégré la plus ancienne école spécialisée de la capitale, École Saint Vincent, où il a fait ses études primaires. Dans cet établissement, il a appris à lire et à écrire, mais il a fait aussi connaissance avec le quatrième art. « Il y avait un département musical à Saint-Vincent, et dépendamment de nos performances académiques on nous permettait d’y avoir accès », raconte le natif de Carrefour, qui en a profité pour apprendre le violon. Pourquoi cet instrument ? « C’est mon professeur de musique qui me l’avait choisi. C’était un violoniste qui voulait travailler avec moi », explique l’artiste non-voyant, qui pratique le violon depuis l’âge de dix ans.
Émile Samuel a bouclé ses études classiques au Lycée Firmin où il a fait toutes ses études secondaires. Après quoi, il a intégré la Faculté de Linguistique Appliquée (FLA) de l’Université d’État d’Haïti. Actuellement, il termine son mémoire de sortie autour du thème : Apprendre les langues vivantes, un défi majeur pour les non-voyants.
« L’un des nombreux obstacles auxquels sont confrontés les non-voyants dans l’apprentissage des langues vivantes en Haïti, c’est le manque de professeurs formés en conséquence, constate le linguiste. La méthode audio-visuelle est très utilisée dans l’enseignement d’une langue, mais elle n’est pas adaptée aux personnes non-voyantes », soutient M. Samuel, qui revendique une pédagogie spécialisée dans ce domaine.
Tout porte à croire que Émile Samuel n’a pas eu de mal à s’intégrer dans la société. Une chance que bon nombre de ses semblables n’ont pas eue. À ce propos, il croit que l’État porte l’entière responsabilité de cette situation. « L’État n’a jamais eu de considération pour les personnes à mobilité réduite dans le pays. Les autorités n’ont rien fait pour nous », dénonce l’artiste non-voyant, qui ne tarit pas d’éloges envers Sœur Joan Margareth, celle qui a instauré la première école spécialisée en Haïti. « Sincèrement, tout le mérite revient à la Sœur Margareth pour avoir fondé Saint Vincent. Aujourd’hui, cet établissement n’est plus ce qu’il a été dans le passé, à l’image du pays. Mais qu’a fait l’État pour le renforcer ?», critique l’ancien élève de ladite institution.
D’autre part, Émile pointe du doigt le comportement de la société à l’égard des personnes à mobilité réduite. « Les personnes déficientes n’ont pas besoin de votre pitié, elles ont besoin au contraire d’être incluses dans les activités à l’église ou à l’école. Avec un meilleur encadrement, elles seront beaucoup plus intégrées, beaucoup plus épanouies », confie l’ancien musicien de l’Orchestre Philharmonique, qui invite les non-voyants à exprimer leur talent.
Émile Samuel se veut aussi poète à ses heures libres. Il travaille en effet sur un recueil de poèmes. « J’espère avoir les moyens de le publier sous peu », souhaite le passionné de lecture et d’écriture. « Je m’amuse également à transcrire sur des partitions de belles musiques haïtiennes, de manière à laisser un héritage musical en Haïti », poursuit Émile, qui s’y connaît en théorie musicale.
« La musique me permet de m’exprimer, d’extérioriser tout l’amour que je ressens pour les gens qui m’entourent », exprime le musicien, qui a fait partie du prestigieux groupe de musiciens qui ont performé lors de la septième édition du Festival « Quinzaine handicap et culture ».
Statler Luczama
Luczstadler96@gmail.com