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Causes et conséquences de l’incendie de la Chapelle Royale de Milot : que faire ?

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La Chapelle Royale de Milot, construite entre 1810 et 1813, est l’un des édifices les plus emblématiques du paysage culturel d’Haïti. Un Monument regroupé au sein du Parc national historique Citadelle Sans-Souci Ramiers classé au Patrimoine de l’UNESCO depuis 1982 (Kenrick Demesvar 2015). La chapelle, réduite en cendres dans la nuit du 12 au 13 avril, emporte un pan de notre capital historique et socio-culturel. En outre, elle s’ajoute à une liste déjà bien longue de biens culturels partis en fumée sur le territoire haïtien.

Plus de deux cents ans d’histoire se sont envolés dans les flammes d’un incendie dont les autorités semblent en ignorer pour l’instant la genèse. Ce jour-là, alors que la ville plongeait dans l’obscurité, le feu a eu le temps de consumer l’œuvre de l’illustre visionnaire Henry Christophe, l’un de nos valeureux héros ayant permis la naissance de la première République noire du monde. En dépit des efforts des habitants de la communauté en vue de sauver l’édifice, le feu a fait son chemin et a finalement détruit son dôme. Cet évènement remet une fois de plus en cause la capacité de l’État dans la gestion des patrimoines culturels du pays.

En Haïti, les attaques contre les biens culturels sont courantes. Ces actes de destruction du patrimoine matériel ont pour conséquence d’effacer une partie de l’histoire, du patrimoine et de l’identité nationale. On observe que la violence est utilisée comme arme par les acteurs politiques en vue de conserver ou de prendre le pouvoir. Elle est également  le principal moyen d’expression d’une partie de la population face à l’irresponsabilité et le mépris du gouvernement quant à  ses devoirs envers les citoyens en quête d’une vie meilleure. En effet, la crise politique, sociale et économique, qui ébranle la société haïtienne, montre une fois de plus combien la protection et la gestion des biens culturels en temps de crise sont fondamentales.

Une situation d’instabilité aussi bien interne qu’externe expose bien souvent le patrimoine culturel à de nombreuses menaces, le rendant ainsi de fait vulnérable. S’agissant d’objets de valeur, ils peuvent être volés et/ou détruits. Ces pertes en matière de biens culturels peuvent effacer l’histoire de la communauté, les témoignages vivants de son passé, ses mœurs, ses coutumes et ses savoir-faire. Ces derniers sont des symboles significatifs pour la cohésion d’une société, et également une ressource économique puisque les biens culturels (patrimoine) aujourd’hui jouent un rôle important dans l’attraction touristique.

Il est pertinent de rappeler que, durant la Deuxième Guerre mondiale, plus particulièrement en Europe, les pertes en matière patrimoniale ont été considérables. En réponse à ce triste bilan, la communauté internationale a adopté à la Haye en 1954 le premier traité international à vocation universelle, dédié à la protection et à la gestion des patrimoines culturels en cas de conflit armé. En même temps, ce même traité a interdit l’exportation des biens culturels d’un territoire occupé, tout en exigeant le retour de ces biens. Certes, l’incendie de Milot n’a pas eu lieu dans un contexte de conflit armé international, mais cette convention a fait des obligations aux Etats par rapport à la gestion des patrimoines culturels  sur leur territoire. 

En 1999, la Convention a été complétée par un second protocole, fournissant un niveau de protection plus avancé encore, tout en instituant « une nouvelle catégorie de protection renforcée pour les biens culturels particulièrement importants pour l’humanité, biens qui sont protégés par des dispositions légales adéquates au niveau national, et qui ne sont pas utilisés à des fins militaires. Il définit, en outre, les sanctions à apporter pour les violations graves commises à l’encontre des biens culturels et précise les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale individuelle est engagée. Enfin, il crée un Comité intergouvernemental de douze membres pour veiller à la mise en œuvre de la convention et du deuxième protocole » (Comité Français Bouclier Bleu).

A noter que, dans un premier temps, ce protocole a mis l’accent sur des termes clés comme la « sauvegarde » et le « respect des biens patrimoniaux », et que, dans un second temps, il a pris en considération les conflits non-internationaux. De ce fait, il a renforcé les systèmes de protection de biens patrimoniaux, tout en prévoyant l’incrimination et la poursuite des auteurs d’atteintes graves contre le patrimoine. La Convention de la Haye et les protocoles additionnels sont des instruments que les Etats signataires doivent respecter et mettre en œuvre pour garantir la protection des biens patrimoniaux.

Toujours dans cette même dynamique, l’article IV de la Convention concernant la protection du Patrimoine Mondial culturel et naturel de 1972 que le pays a ratifié le 18 janvier 1980 oblige les Etats signataires « d’assurer l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel ». De plus, cette Convention exige aux Etats de maximiser leurs ressources afin d’agir par leurs propres efforts pour la protection du bien culturel. Dans son article V, l’obligation est faite aux Etats  « de prendre les mesures juridiques, scientifiques, techniques, administratives et financières adéquates pour l’identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la réanimation de ce patrimoine; et de favoriser la création ou le développement de centres nationaux ou régionaux de formation dans le domaine de la protection, de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine culturel et naturel et d’encourager la recherche scientifique dans ce domaine ».

A l’échelle nationale, les autorités haïtiennes peuvent s’appuyer sur la loi du 23 avril 1940 portant sur le patrimoine historique, artistique, naturel et archéologique publiée par le gouvernement de Sténio Vincent, laquelle est considérée comme la plus ancienne en matière de protection des biens culturels dans les Caraïbes. Publié dans le journal officiel le Moniteur le 25 avril 1940, cet outil législatif, très important dans le secteur culturel haïtien, n’est pas toujours appliqué par les autorités du pays. Cette loi a abordé la réglementation sur les fouilles et découvertes, mais aussi les dispositions pénales concernant les infractions sur les biens culturels.

Cependant, l’un des plus grands problèmes de la société haïtienne actuelle est bien l’absence d’une véritable « conscience patrimoniale » parmi la nouvelle classe dirigeante, mais également parmi la population. Ce phénomène est lié de près au système éducatif de l’enseignement primaire et secondaire qui banalise les notions d’éducation civique et citoyenne, en soustrayant la dimension de la valorisation de notre patrimoine culturel dans leurs programmes. 

On comprend bien, dans ce cas, qu’il ne s’agit pas seulement de rédiger des lois pour la protection et la sauvegarde des biens culturels haïtiens, mais qu’il est également nécessaire d’aller beaucoup plus loin afin d’apporter une solution pratique et d’ordre social. Vu que les biens culturels se trouvent dans les communautés, il est alors important de les sensibiliser sur leur importance en vue de favoriser un sentiment d’appartenance et d’encourager une certaine appropriation.

Par ailleurs, il faudrait davantage repasser en vue les domaines d’intervention des différents organismes qui sont en charge de la gestion et de la protection des biens culturels tels que : le Ministère de la Culture et de la Communication (MCC), l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN), le Bureau National d’Ethnologie (BNE), le Musée du Panthéon National (MUPANAH), la Bibliothèque Nationale, les Archives Nationales d’Haïti et les différentes associations culturelles. Leurs rôles, sont-ils réels ou fictifs ? La question du patrimoine culturel haïtien est-elle inclusive ou exclusive ? Quelle est l’implication des communautés dans la protection des biens culturels dans le pays? La conservation et la valorisation des biens patrimoniaux sont-elles une priorité pour l’Etat d’Haïti? Y a-t-il un plan de sauvegarde et de mise en valeur des biens culturels du pays (PSMV)?

Ces interrogations méritent d’être approfondies par les spécialistes du patrimoine culturel dans le cadre d’une recherche académique en vue de mieux appréhender cette tendance populaire consistant à détruire les biens culturels lors de mouvements de revendications ou de manifestations contre un régime. De même, il serait nécessaire d’analyser les causes de la non-application de la loi de 1940 sur la protection des monuments historiques et le comportement du pouvoir législatif qui n’entreprend aucune initiative légale ou matérielle à même de protéger le patrimoine culturel du pays.

A l’analyse du contexte social qui prévaut actuellement dans le pays, il ressort que l’implication des communautés dans le sauvetage du patrimoine haïtien est primordiale. Les savoir-faire locaux doivent être mis à contribution des biens patrimoniaux qui sont souvent en mauvais état. Les autorités du pays doivent également inclure, dans le programme du Ministère de l’Education Nationale, des notions clés visant à éveiller chez l’être haïtien un sentiment d’appartenance à notre patrimoine culturel en vue de sa préservation. Il serait tout aussi intéressant que les municipalités interviennent dans l’élaboration des programmes de sensibilisation à l’échelle locale.

Dans les communautés les plus reculées, l’État, à travers l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN), doit accompagner les municipalités dans la mise en œuvre des programmes de formations pour une gestion efficace des patrimoines locaux. D’autres solutions peuvent être expérimentées comme le partenariat Public-Privé afin de sauver la mémoire de la nation haïtienne.

Midson Jean Batard

Graduado en la Universidad Tecnológica de Santiago (UTESA) CUM LAUDE

Licenciado en Administración de empresas.

MBA. Histoire, Mémoire et Patrimoine, Université d’État d’Haïti (UEH)/ Université Laval du Québec

Master DYCLAM+ en Patrimoine, Université Jean Monnet de Saint Etienne et l’Instituto Politécnico de Tomar au Portugal.

Consultant à la Société d’Investissement Pétion-Bolivar, SAM

(509)44065626, +33769709171

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midson.jean.batard@etu.univ-st-etienne.fr

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