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Diego Maradona, mort d’une légende universelle

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Le footballeur argentin a incarné mieux qu’aucun autre le meilleur et le pire du grand football moderne. Joueur d’exception, il a porté l’Argentine au sommet du foot mondial et restera comme l’un des meilleurs joueur de tous les temps. Il est décédé ce mercredi 25 novembre des suites d’une crise cardiaque à Buenos Aires. Il avait 60 ans.

« Tu ne peux pas imaginer combien il est difficile d’être Maradona », m’a-t-il confié un soir, pendant que nous goûtions des pâtes dans un restaurant face à la Seine, en compagnie de son épouse Claudia. Un moment de rare intimité avec un des hommes les plus populaires du monde, connu et admiré dans tous les endroits de la planète. C’était au début de l’année 1995, lorsque j’ai eu le privilège d’organiser sa venue dans Paris pour le compte du magazine France Football. Trois jours et trois nuits de folie qui suffisaient pour comprendre en effet ce que le quotidien de Maradona pouvait avoir à la fois d’exaltant et d’éprouvant…

Âgé de 34 ans à l’époque, il n’avait pas encore raccroché les crampons mais il était suspendu par la Fifa suite à un contrôle positif à l’éphédrine lors de la Coupe du monde 1994. En attendant de pouvoir rejouer, il s’apprêtait à entamer une expérience en tant qu’entraîneur. Il était encore au sommet de sa gloire, malgré une fin de carrière contrariée par de nombreux incidents. Il avait quitté l’Europe pourune Argentine qui lui pardonnait toutes ses frasques, ne voyant en lui que l’idole qui avait porté très haut les couleurs de son pays natal.

Champion du monde au Mexique en 1986, avec une équipe en laquelle personne ne croyait. Une Coupe du monde où il a accaparé tous les regards et toutes les attentions. Seul Pelé, en 1970, pouvait revendiquer un tel accomplissement individuel dans cette compétition. Avec bien sûr un match qui allait rester dans l’histoire, le quart de finale face à l’Angleterre (2-1) avec deux buts légendaires, l’un au terme d’un slalom où il a passé en revue la moitié de l’équipe adverse, et un autre marqué de la main à l’insu de l’arbitre. La « main de Dieu », dira-t-il. Deux buts comme les deux faces d’un joueur unique, mélange de talent et de roublardise.

Finaliste quatre ans plus tard, en Italie, avec une formation encore moins performante et avec, contre lui, l’hostilité d’une grande partie des Italiens, exacerbée après l’élimination de l’équipe locale au terme d’une séance de tirs au but de folie dans l’ambiance surchauffée du stade San Paolo de Naples, le jardin de Diego. Et en 1994, pour ce qui serait sa dernière Coupe du monde, appelé au secours d’une équipe sans repères qui avait failli ne pas se qualifier, Maradona s’était encore sublimé dans deux matches magnifiques avant qu’une erreur de son préparateur physique personnel, qui lui donna un complément alimentaire contenant une substance interdite, ne précipite sa sortie…

Un génie sans limites

Pour l’Argentine de l’époque, Diego Maradona était le symbole de la réussite dans un pays qui tentait de se sortir du pire moment de son Histoire, entre une dictature militaire sanglante et une démocratie ne parvenant pas à s’affirmer et à rendre au pays sa prospérité d’antan. Ce gamin né en 1960 dans un bidonville miséreux, avec un père qui trimait du matin au soir pour un maigre salaire et une mère qui faisait des miracles pour faire vivre une famille nombreuse, a très vite découvert que balle au pied, il devenait un magicien. Son talent exceptionnel lui a permis, encore enfant, de sortir sa famille de la misère et de comprendre que tous ses vœux pourraient être exaucés tant que la relation unique entre son pied gauche et la balle resterait exceptionnelle. Et comme son appétit pour la vie semblait inépuisable, il ne s’est jamais fixé aucune limite…

Le championnat argentin s’étant révélé trop étroit pour un génie de sa trempe, il découvrit bientôt l’Europe. À Barcelone tout d’abord où, malgré la présence de l’entraîneur argentin Cesar Luis Menotti, Maradona et sa troupe n’ont jamais réussi à se fondre dans la vie trop policée et bourgeoise que lui réclamait le club. Entre une hépatite et une grave blessure, la jeune star argentine y découvrit les plaisirs interdits de la drogue.

Deux ans plus tard, il acceptait un challenge étonnant : aller à Naples. Un club inexistant au palmarès du foot italien, mais qui, grâce à la puissance des réseaux mafieux de la ville, disposait des liquidités susceptibles de satisfaire l’appétit grandissant du joueur et de son clan. Suivront sept années de folie, pendant lesquelles, grâce à Maradona, le club devient une machine à gagner : deux championnats d’Italie, une Coupe de l’UEFA, une Coupe et une Supercoupe d’Italie. Avec leur idole, les Napolitains s’invitent enfin à la table des clubs huppés du nord du pays, les Milan AC, la Juventus et autres Inter de Milan… C’est bien plus que du football, c’est la revanche de l’Italie du bas face à celle d’en haut. Et ça, les Napolitains ne l’oublieront jamais.

Quitter Naples et « mourir »

Mais la folie quasi religieuse qui l’entoure à Naples finit par devenir pesante. Les liens entre le club et la Camorra, dans lesquels il se retrouve piégé, les innombrables sollicitudes dont il fait l’objet, la dimension de père de famille qu’il acquiert avec la naissance de ses filles Dalma et Gianinna, le statut de meilleur joueur du monde qui suit sa consécration au Mexique, tout le pousse à rêver d’un environnement un peu plus calme. En 1989, Bernard Tapie, alors patron de l’OM, le lui fait miroiter et Maradona se voit déjà dans une villa face à la mer, loin du tumulte des rues napolitaines. Mais son club et ses puissants soutiens ne veulent rien entendre, et l’Italie est moins encline à fermer les yeux sur les écarts du joueur après l’humiliation du Mondial 1990. Quelques mois plus tard, Maradona donne positif à la cocaïne lors d’un contrôle en championnat. Première suspension, première descente aux enfers avec une arrestation très médiatisée pour consommation de drogue à Buenos Aires, premières cures, et premier retour au foot, à Séville, en 1992, un chemin de rédemption qui va encore s’arrêter, on l’a dit, à l’été 1994…

Maradona aura encore la force de rejouer à Boca Juniors, le club de son cœur, dont il avait porté les couleurs au début des années 1980, avant de partir pour l’Europe. Mais sans jamais retrouver les sommets. Un dernier match en 1997, à 37 ans, puis un match d’adieu en 2001, ponctuent une vie qui devient de plus en plus chaotique, entre la drogue, l’alcool, un surpoids qui l’obligera à se soumettre en 2005 à une opération de « by-pass » gastrique, des séjours de plus en plus fréquents dans des cliniques…

Dérive personnelle mais aussi familiale, puisque Maradona, qui avait longtemps fait de sa femme Claudia, qu’il avait rencontrée à l’adolescence, et de leurs deux filles, un rempart, finit par se brouiller avec elles. Sa vie sentimentale devient difficile à suivre ; et après quelques années de reniement, il finit par reconnaître une dizaine d’enfants naturels.

Dans ce contexte, le football revient de manière épisodique dans sa vie, avec des passages en tant qu’entraîneur dans divers clubs, en Argentine, au Mexique, plus longuement aux Émirats arabes unis… Et même en équipe nationale, avec un poste de sélectionneur qui s’arrête brutalement après une lourde défaite face à l’Allemagne au Mondial 2010.

Un personnage ingérable

Ceux qui, aujourd’hui, ont l’habitude de voir les stars du football entourées d’experts en communication, qui gèrent les contenus de leurs réseaux sociaux et organisent leurs interviews avec une stratégie de marché, seraient surpris de voir la liberté de parole qui a toujours accompagné Diego Maradona. Sachant que sa voix portait, il n’esquivait aucun sujet, que cela concerne la politique, la société ou les instances du football, qu’il a souvent attaquées. En 1995, il fut à l’origine de la création d’un véritable syndicat mondial des footballeurs. Ses liens avec des dirigeants de la gauche latino-américaine, comme le Cubain Fidel Castro ou le Vénézuélien Hugo Chavez, deviennent de plus en plus étroits.

Diego Maradona n’a plus la magie au bout de son pied gauche, mais il reste un personnage incontournable. Le cinéma, la chanson, des livres, s’emparent de sa vie et lui donnent une dimension supplémentaire, celle du mythe immortel, alors que la fin, forcément, approche. Avec la vieillesse, sans doute aggravée par les effets des excès d’une vie débridée, on découvre un Maradona moins exubérant, et l’épidémie de Covid-19 n’arrangera rien. Ses rares sorties en public montrent un homme toujours aussi populaire, soulevant à son passage des chants et l’enthousiasme de ses fans. Mais sa démarche devient hésitante, sa parole confuse, sa mémoire défaillante.

RFI

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