Gouvernement haïtien, Covid-19: triarticulation de la solidarité, de la charité et de la vérité
6 min readSignalé pour la première fois en décembre 2019 à Wuhan, ville chinoise, le nouveau coronavirus, de son nom scientifique » covid-19″, par suite d’une avalanche de contaminations peu maîtrisables, se révèle une préoccupation mondiale. Ainsi, au mois de février de l’année en cours, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a prédit le passage obligé du virus du stade épidémique à pandémique. Depuis, le monde se mobilise à faire face à l’imminence redoutable du virus dont la gestion semble se loger dans l’immanence des bornes de l’expérience administrative. Chaque pays, à la limite de ses moyens, essaie d’adopter des mesures lui paraissant judicieuses. Ces mesures sont, entre autres, de nature: économique, sociale, politique, etc.
En Haïti, le Président Moïse a annoncé, dans une adresse à la nation en date du 19 mars, le recensement, par le MSPP, de deux (2) cas de personnes infectées par ledit virus. Par diverses réactions, ce message a eu l’effet d’un coup de foudre, comme s’il s’agirait d’une grande surprise. Dès lors, le covid-19 détient le triste mérite d’être le dénominateur commun des préoccupations des différentes fractions sociales haïtiennes. Les politiques, les religieux, les médias, les hommes d’affaires, les universitaires, les artistes, les paysans, etc. ne cessent d’en exprimer leur appréhension. Bref, le covid-19 devient le sujet d’actualité dans les sphères de toutes les couches sociales, chacune à sa manière, suivant ses intérêts et sa culture.
Par-delà de cette prise de conscience publique apparente en rapport au coronavirus, le clair sentiment permet de déceler entre les lignes les exploitations politiques et économiques dont la gestion est en passe ici. Pour manipuler les esprits faibles et/ou affaiblis au voilement de certaines stratégies, deux (2) mots: solidarité et charité, fort de sens mais vide d’application dans ce contexte sont en vogue et constituent les mots-clés des grands discours de l’heure. Dans l’esprit d’une construction pyramidale, ces deux (2) concepts devraient se rencontrer pour former le sommet commun vertueux soutenus par un discours vrai (la vérité) jouant le rôle de polygone (base). Malheureusement cette harmonie logique tarde à s’apercevoir dans un contexte elle serait essentielle. D’où il est à craindre que de tel désappointement indigeste fera naître furieusement la nécessité de faire basculer cette balance au nom du principe de la liberté de la vérité. Joseph de Maistre pense « qu’il y a une infinité de choses qui ne doivent pas être dites encore moins écrites ». Dans certains cas, c’est admissible. Dans d’autres tel celui-ci, comme le croit Anténor Firmin, « les vérités assainissantes, éclairantes, indispensables à entendre pour qu’on se détourne des habitudes d’esprit tangiblement hostiles à notre évolution de peuple organisé doivent être dites et écrites ». Ce faisant, il convient alors de se demander quel est le vrai sens du concept solidarité ainsi que charité? Pourquoi deviennent-ils (concepts) si à la mode? Enfin, jusqu’à quand leur application sera constatée? A ce stade, On va se pencher sur la quête de quelques réponses inhérentes à ces questions par le truchement des considérations pertinentes.
D’emblée, il est convenable de se remémorer la distinction entre les termes solidarité et charité aux fins d’un usage plus correct.
Solidarité! Mot dérivé du terme latin«obligatio in solidum» signifiait, en droit romain, devoir social, obligation communautaire. C’est en d’autres termes, l’ensemble des responsabilités de l’individu vis-à-vis de la collectivité à laquelle il appartient et dont il bénéficie, sans dédain gratuit, les effets réciproques. Dans le domaine juridique contemporain, la solidarité est une communauté existant entre des personnes physiques ou morales tenues conjointement d’exécuter une obligation légale. Autrement dit, la solidarité est une pratique sociale, en tant que telle, elle renvoie au fait que ceux qui la pratiquent font partie d’une communauté dans laquelle chaque individu est supposé être interdépendant. Elle s’exerce par une obligation réciproque d’aide, d’assistance ou de collaboration entre les membres de la communauté du fait des liens qui les unissent.
Emile Durkheim, dans son travail de thèse « De la division du travail social », a utilisé la notion de solidarité sociale. Celle-ci renvoie au lien moral qui unit les individus d’un même groupe, et qui forme le ciment de la cohésion sociale. Il a examiné que l’existence réelle d’une société dépend du degré de solidarité qu’éprouvent ses membres les uns envers les autres. Cet examen lui a permis d’expliquer l’évolution des sociétés humaines par des changements dans la forme de ce lien social.
La solidarité, étant une obligation réciproque à l’intérieur d’un groupe social défini, est souvent abusivement utilisé pour désigner la charité.
Charité! Le mot « charité » est la francisation du latin « caritas, caritatis », signifiant d’abord cherté, puis amour. Prise à un angle double, la charité est:
1) au sens ordinaire, une vertu qui porte à désirer et à faire le bien à autrui; une volonté de servir les plus faibles et surtout un acte inspiré par l’amour désintéressé du prochain;
2) au sens théologique, elle désigne à la fois l’amour de Dieu pour lui-même et du prochain comme créature de Dieu.
Il est parfois compris à tort que ces deux(2) termes se confondent. En réalité, ils sont différents. Si l’un a une portée sociale, l’autre est essentiellement moral. Si la première constitue un moyen, le second renvoie à un but. La confusion est parfois dûe à quelque glissement sémantique, selon Aurélien Biteau, parfois profitable à certaines personnes pour étendre leur influence ou pouvoir en parant la solidarité des bienfaits de la charité.
Dans l’état actuel des choses, où le covid-19 amène l’égoïsme mondial à son pic triomphant, la solidarité nationale et la charité, comme le vantent les discours pillulés, pourraient être les seules béquilles permettant à un peuple éclopé d’alléger le survol de ses certitudes vers un meilleur lendemain. Ô affreux sort! Les tares traditionnelles dont il n’arrive pas encore à se dépouiller le fait continuer de buter à des milliers d’obstacles.
Contrairement à ce que veulent faire croire les discours, ni la solidarité ni la charité n’est pas au rendez-vous. Le masque n’a pas pris du temps pour être tombé sous l’effet d’un germe de conscience libre et d’une raison éclairée. Après plusieurs semaines de sensibilisation, de prise de mesures de toute nature, le constat n’est qu’une lamentable prostration. Les services de base deviennent rarissimes: eau, électricité, nourriture, produits hygiéniques, etc… Plus d’un dénoncent l’opacité et le dilettantisme dans gestion du coronavirus. Certaines personnes infectées ou suspectes d’infections dénoncent les mauvais traitements dont ils ont fait l’objet sous forme d’une prétendue prise en charge. La population dont la survie n’est assurée que journellement se trouve face à l’obligation de se confiner depuis plusieurs semaines jusqu’à nouvel ordre sans aucun accompagnement social. Bref, la solidarité et la charité ne leur sont pas dûes.
En conséquence, cette délétère situation porte à croire que, Sous peu, si rien de concret n’est fait, un choix cornélien risque de s’imposer à la population: sois qu’elle consent de mourir en confinement ou qu’elle attrape le covid-19 en reprenant la direction des rues massivement à la recherche de la vérité sur les promesses de solidarité et de charité pour lesquelles des moyens seraient disponibles. Car, pour parodier Firmin, « dans la lutte pour la vie, où les instincts brutaux, les rudes poignes, le manque de scrupule, le mépris du droit désarmé, semblent apporter tant d’avantages aux nemrods glorieux, il y a aussi des revers inattendus où des générations éloignées expient la faute de celles qui ont tourné le dos à la justice ou fermé leur cœur à la sympathie ».
Luxonne RENELUS