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Insécurité : mal qui dure, mal qui tue

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Port-au-Prince, la capitale, s’enfonce et, avec elle, tout le reste du pays. L’insécurité est une menace quotidienne qui plane sur les habitants de la capitale. Des feuilletons à la sicilienne, avec des assassinats sommaires comme celui de Guiteau Toussaint, aux affrontements entre bandes rivales et gangs de petit banditisme, la situation empire. Et la friction entre l’Exécutif et le Parlement ne l’arrange en rien, d’autant que le laxisme des gouvernements qui liquident les affaires courantes est connu de tous. Aujourd’hui, plus que jamais, une réponse dans les limites de la loi et des prescrits de la démocratie et de ses principes de respect des libertés individuelles, doit être donnée à ce mal qui ronge le pays et qui représente un sérieux handicap à son développement socio-économique.

Etat des lieux, inquiétant !

De 1986 à nos jours, la violence est devenue une règle. A chacun sa bande. Les néologismes socio-politiques comme « zenglendo, RPK, Lame ti manchèt, lame danfè » et d’autres traduisent la réalité de ces derniers 25 ans et sont indicatifs du climat de violence qui y régna. Les élites et l’Etat sont, parait-il, sourds aux cris des masses des bidonvilles et/ou ne comprennent pas les signaux que leur envoie la société dans sa globalité par rapport à la détérioration systématique des conditions de vie. La société est en putréfaction, elle se désagrège. L’agriculture, principale source de production nationale de richesse, bat de l’aile. Les paysans n’ont d’autre choix que celui de se refugier dans la capitale. La paupérisation de la population s’accentue. Conséquemment, les bidonvilles poussent comme des champignons et ouvrent, dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, la voie à toutes sortes d’activités illicites. La violence, dans toutes ses variantes, sévit.

L’héritage piégé de ces deux dernières décennies enfonce donc un peu plus le pays dans le cycle de la violence. Assassinat, cambriolage, braquage et autres actes punissables sont désormais légion au centre-ville. Les morts et les victimes de ces actes de barbarie humaine ne se comptent plus. Opération Commando en plein jour, kidnapping, toute la panoplie du crime est déployée et expérimentée dans nos rues pour terroriser la population. L’ombre de la mort est partout. Au cours de la période du 1e au 21 juin 2011, plus de 67 personnes ont été tuées par balles, suivant un communiqué de la plateforme de la Fusion des sociaux démocrates. Des dirigeants politiques sont montés au créneau pour dénoncer comme, tant d’autres citoyens et organismes de défense de droits humains, l’insupportable et appeler les autorités à la vigilance et à remplir leur devoir de protéger la population.

Une pieuvre aux mille tentacules…

La politique et la violence ambiante rendent Port-au-Prince presque invivable. L’insécurité, consécutive à la violence, est une pieuvre aux mille tentacules tant les sources qui l’alimentent sont nombreuses et variées. Suivant le sociologue Jacques Jean Vernet, professeur à l’Université d’Etat d’Haïti, les causes fondamentales de l’essor de l’insécurité aujourd’hui sont les problèmes d’ordre social et économique. Pour certains jeunes, estime Vernet, c’est la seule alternative de survie. Cette forme de banditisme est fondamentalement motivée par le désespoir. Il existe également un banditisme politique, une certaine canaillerie, un ensauvagement du milieu politique. Conséquemment, des citoyens sont quasiment éliminés pour leur position et/ou conviction politique, soutient le professeur; certains ont dû se réfugier à l’étranger pour sauver leur peau, ajoute-t-il.

L’industrie du crime organisé fonctionne également à plein régime dans le pays, fait remarquer Jacques Jean Vernet. Ce sont des gens qui sont généralement bien lotis dans la société haïtienne, qui se livrent pour des raisons parfois inavouées à ces genres d’activités répréhensibles. Ils sont en très bonne position ou comptent des accointances dans l’administration publique, explique le professeur. Cela rapporte, et rapporte gros, souligne Vernet. Ces malfaiteurs de haut rang s’appuient sur la misère sévissant dans les quartiers populaires. Après le séisme du 12 janvier 2010 et les camps de sinistré érigés un peu partout à Port-au-Prince, c’est un vrai vivier d’hommes de main qui leur est offert. Cependant la stigmatisation des quartiers populaires comme bastion de la violence doit cesser. Le gros de l’insécurité vient de haut, de très haut, estiment certains observateurs et même des cadres de la Police nationale.

La perversion du mouvement populaire contribue aussi à alimenter le climat de terreur qui sévit dans le pays, notamment dans la capitale. De nombreux jeunes membres de « bases populaires » sont pris dans l’engrenage de la corruption. Les bidonvilles sont pour la plupart morcelés et contrôlés par des chefs de bande, rapporte le sociologue Jean Vernet. Le leadership collectif de ces zones, jadis bastion du mouvement populaire anti-duvaliériste, est devenu individuel. Chaque carrefour, chaque pouce de terrain, rapporte-t-on, est sous le contrôle d’un homme qui s’est érigé chef par la violence. Avec son petit groupe ou ses soldats, ce dernier est un exécutant de basses œuvres. Les assassinats sont parmi les activités courantes de ces bandes, témoigne un membre d’une base.

Des chefs de bandes sont en corrélation avec d’autres groupes mieux organisés dans l’industrie de la drogue, ce qui donne une portée régionale au problème, souligne Vernet. Haïti ne produit pas de drogue, mais en est une plaque tournante pour sa commercialisation. Ces groupes sont à la fois des consommateurs et de petits détaillants. Leurs activités les lient également au trafic d’armes qui envenime un peu plus la situation vu les faibles capacités de réactions de l’Etat en ce qui a trait à la surveillance de nos frontières terrestre, maritime et aérienne. L’insécurité n’est donc pas seulement l’affaire des pauvres, d’affamés, mais également une affaire de sous, de gros sous.

L’acculturation fait également partie des autres sources alimentant l’insécurité identifiée par le professeur de sociologie de l’UEH. Une des manifestations de ce phénomène d’acculturation, le Rap qui transforme nos jeunes en « déporté mental ». Le mouvement Hip-hop, avec en toile de fond le « gangsta rap », intervient à un moment où il n y a pas de structures dans le pays pour l’absorber. Les jeunes n’ont d’autres alternatives face à la culture Hip-hop, culture transposée dans la société haïtienne sous sa forme la plus virulente et déviante. A chaque groupe Hip-hop, son gang ou son clan. Et les jeunes se laissent influencer et détruire par ce mouvement culturel qui aurait pu permettre, comme les musiques latines des années 40/50, d’enrichir le patrimoine culturel haïtien. Consommation de marijuana, et autres drogues, affrontement armé (beaf), deuil sont parmi les conséquences regrettables de ce mouvement dont la montée est l’un des effets de la violence armée et du banditisme, mais non pas une cause principale, analyse le professeur Vernet.

Le temps est venu de sauver ce qui peut l’être encore. Vu les disparités économiques entre les différentes couches sociales de la population, la situation aurait pu être pire. Plus d’ouverture sur le plan politique, social, amélioration des systèmes d’information et la création de richesses dans tout le pays dans une logique de décentralisation et de déconcentration sont parmi les conseils prodigués aux autorités du pays par Jacques Jean Vernet, lui aussi kidnappé à plusieurs reprises.

Lionel Edouard

doulion29@yahoo.fr

J’ai écrit ce texte pour le journal Le Matin en Juillet 2011. Depuis qu’est ce qui a changé ?

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