Je me considère comme une étoile. Mon objectif est de briller », affirme Mélissa Sainfa, une jeune femme paraplégique
6 min readMélissa Sainfa ne s’est pas laissé briser par la paraplégie. En revanche, elle en fait une source intarissable de motivation. « J’apprends à voir le bon côté des choses », dit-elle. Membre de « Succes Women » Haïti, Melou se voit aujourd’hui comme cette femme extraordinaire en fauteuil roulant qui a tant à apporter au monde. Découvrons dans ce chapitre de « Moun ou dwe konnen », l’histoire inspirante de cette jeune femme.
Mélissa Sainfa voit le jour le 20 novembre 1996 à Port-au-Prince, quelques mois après l’investiture du Président René Garcia Préval. Elle grandit dans une famille de deux enfants, dont elle est l’aînée, sans la présence de sa mère qui ne vit pas en Haïti. Cette absence n’est pas sans répercussions sur l’épanouissement de Melou. Elle en témoigne : « Mon enfance n’a pas été parfaite. L’absence de ma mère était le seul manque que j’avais, car elle ne vivait pas en Haïti. Mais on prenait de ses nouvelles chaque week-end ». Certes, rien ne peut combler le vide laissé par une mère, mais son père et le reste de sa famille se sont accordés à lui garantir un bon encadrement. « À part le fait qu’on m’ait élevée comme un soldat, je me sentais trop bien », avance Mélissa avec une pointe d’humour.
Elle fait ses études primaires à l’Institution Mère Delia et une partie de ses études secondaires au Collège Marie Esther ou elle découvre sa passion pour ces formes d’art vivant que sont la danse et le théâtre. À la fin de ses études classiques au Collège Canapé-Vert, elle intègre l’Université Quisqueya où elle fait sa licence en Sciences Comptables.
Un rêve d’enfance enfouie sous les décombres
Âgée de treize ans, à l’aube de son adolescence, Mélissa chérit le rêve d’accorder son corps au rythme de la musique, avec des mouvements dansants exécutés avec élégance. C’est bien son rêve d’enfance. « Il ne se passait pas une journée sans que je ne fasse un pas de danse », se rappelle Mélissa. C’est donc cette passion qu’elle n’a pas voulu laisser sous les décombres après le séisme du 12 janvier 2010 qui a chambardé son quotidien.
Cette date a marqué de tristes souvenirs de nombreuses familles en Haïti, en particulier celle de Mélissa Sainfa qui, ce jour-là, a perdu son petit frère. Si elle a survécu sous les décombres, elle y a quand même laissé ce rêve qu’elle chérissait. Fracturée à la colonne vertébrale et touchée à la moelle épinière, Melissa a dû continuer son parcours en fauteuil roulant, malgré les interventions chirurgicales.
« J’avoue avoir minimisé mon cas, parce que j’ignorais ce que c’était d’être paraplégique, avoue Mélissa. Je rêvais toujours de continuer à danser », ajoute-t-elle, d’un air nostalgique. De retour en Haïti, elle est prise en charge par Médecins Sans Frontières (MSF) de Belgique où elle a commencé son adaptation, avant d’être transférée à Handicap International. « C’est là que j’ai commencé vraiment à comprendre que mon rêve ne pouvait plus se prolonger », regrette Mélissa, paraplégique, reconnaissant que c’est grâce à ces deux institutions qu’elle a appris à vivre avec son handicap. « Elles ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui », affirme Mélissa.
Ses difficultés à s’adapter
Mélissa est rentrée chez elle en août 2011, après dix-huit mois passés dans les murs de Handicap International. Elle se souvient encore des derniers mots prononcés par les médecins qui l’ont bien expliqué qu’elle ne pourrait plus jamais marcher. « Je m’en souviens comme si c’était hier », affirme-t-elle.
C’est une famille déboussolée, attristée par les séquelles du séisme, qu’elle retrouve à son retour. « Il n’y avait plus la même ambiance puisque mon petit frère était mort, et mes cousins et cousines étaient de plus en plus distants », raconte Mlle Sainfa, qui a dû s’installer dans une nouvelle maison et s’inscrire dans un nouvel établissement scolaire mieux approprié à sa condition.
« Ma plus grande difficulté c’était de vivre avec ces changements, avec ces problèmes dus à l’accessibilité. C’était un nouveau combat », confie Melou, appelée ainsi par ses proches, privée de son frère, décédé, et de sa mère, coincée à l’étranger. « C’était un cauchemar », nous dit-elle.
Vers l’intégration des personnes à mobilité réduite
« C’est évident qu’en Haïti les personnes à mobilité réduite ont du mal à s’intégrer. Et je pense que c’est dû à un déficit d’éducation et un manque d’informations », constate Melissa Sainfa, membre de « Success Women » Haïti. Elle déplore le fait que les gens ont souvent tendance à croire que les personnes à mobilité réduite sont des parasites. « Être à mobilité réduite ne veut pas dire qu’on est dépendant. Ce n’est pas une fatalité », martèle Mélissa, pointant l’attitude lassante et irrespectueuse des religieux qui, selon ses mots, ne cessent pas de harceler les personnes déficientes en leur faisant croire à une probable intervention divine. « Je suis croyante, mais là ils abusent. Ils connaissent toujours quelqu’un qui a été guéri de la paralysie par la prière. À mon avis, cela devient lassant et irrespectueux », déplore l’étudiante en comptabilité.
Mélissa Sainfa croit que pour faciliter l’intégration des gens à mobilité réduite, il faut en premier lieu que ces derniers soient conscients de leurs droits et devoirs en tant que citoyens, pour ensuite s’imposer dans la société. En effet, la militante se bat pour que les autorités étatiques puissent répondre aux besoins de la minorité à laquelle elle appartient. « Il faut que les dirigeants aient une idée précise du nombre que représentent les gens à mobilité réduite, pour pouvoir répondre à certains besoins comme par exemple l’accessibilité aux établissements. C’est mon plus grand combat », indique la responsable de planification de « Success Women » Haïti.
Son témoignage à propos de « Success Women » Haïti
Mélissa Sainfa est membre fondatrice d’une organisation féminine créée en 2018. Elle dit avoir intégré cette association de femmes parce qu’elle pense pouvoir changer certains clichés dans la vie sociétale. Elle se dit satisfaite en grande partie de son travail.
« Par rapport à cette expérience, j’ai grandi mentalement. Je ne pleure plus quand quelqu’un me regarde ou dit un truc horrible sur le fait que je sois à mobilité réduite », confie Mélissa. « Je n’ai plus peur de partager mon histoire. Malgré les difficultés, je suis devenue de plus en plus forte. Mon intégration à‘’Success Women’’ Haïti m’a fait découvrir que je suis une jeune femme extraordinaire, que j’ai beaucoup à apporter à cette société. De plus, cette association m’a aidé à m’assumer en tant que Mélissa, la fille en fauteuil roulant qui ne cesse de surprendre ceux qui croyaient qu’elle n’était qu’une fille ordinaire qui n’avait plus grand chose à espérer », poursuit-elle avec beaucoup de détermination.
Aujourd’hui Mélissa Sainfa, passionnée de musique et de danse, caresse un autre rêve. En effet, elle souhaite fonder une école de danse en vue de former des enfants déficients ou non à la danse, cet art qu’elle aime tant. Pour l’instant son plus grand désir est de revoir sa mère, de la serrer dans ses bras, de sentir son odeur. « Parce qu’elle me manque tellement », déplore-t-elle.
« Ma motivation vient d’abord de moi-même et ensuite des gens qui m’entourent. Tout me motive, j’apprends à voir le bon côté des choses, bien que ce ne soit pas toujours facile. Je me suis dit que ce à quoi j’ai survécu aurait détruit bon nombre de ceux qui se croient meilleurs que moi », déclare Mélissa à propos de sa motivation. « J’avoue qu’une part de cette motivation vient aussi de mon handicap. J’ai tellement été infériorisée dans ma petite vie que j’ai déjà attenté à ma vie. Je ne suis pas toujours aussi forte, avoue la jeune femme paraplégique. Mais le plus important, c’est que je me considère comme une étoile. Mon objectif est de briller. Ceux qui devront être aveugles le seront et ceux à qui je dois donner un peu de ma lumière l’auront », conclut cette femme extraordinaire.
Statler LUCZAMA
Luczstadler96@gmail.com