La commémoration du premier anniversaire de l’assassinat du Président Jovenel Moïse peut-elle ouvrir la voie à un pardon total?
19 min readCe 7 juillet 2022 marque le premier anniversaire de l’exécution brutale du Président Jovenel Moïse, en sa résidence, à Pélerin 5, dans un pays pourtant sous le contrôle de l’ONU et des États-Unis d’Amérique. Cette situation tragique n’a pas stoppé le désordre constitutionnel et démocratique en Haïti, fruit de l’inaction calculée de Jovenel Moïse, poussée jusqu’à l’absurdité par ses tuteurs internationaux. C’était la fin de l’exercice d’un pouvoir de facto d’un Chef d’État autoritaire devenu subitement encombrant. Le Président avait tout essayé, sauf son rôle consistant à s’assurer du bon fonctionnement des pouvoirs publics et de la double obligation de respecter et de faire respecter la Constitution et les lois de la République, d’organiser les institutions afin qu’elles puissent servir les citoyens. Garder les institutions en vie et en bonne santé, c’est une fonction qui lui est dévolue par l’article 136 de la Constitution qui fait de lui à la fois l’arbitre et le premier responsable national. Au lieu de s’y atteler, il s’était constitué un pouvoir sans limites et qui ne s’appuyait que sur sa volonté.
Événement douloureux, l’assassinat de Jovenel Moïse , est survenu à un moment où la République était par terre. La Chambre des députés n’était pas renouvelée, ce qui constituait une violation des dispositions de l’article 92 de la Constitution. De son côté, le Sénat de la République était dysfonctionnel, après avoir été amputé de ses deux tiers, ce qui viole le principe général de droit établi à l’article 95-1 de notre Charte fondamentale. La Cour de cassation, la plus haute instance judiciaire, était dysfonctionnelle et ce, jusqu’à nos jours, en raison de l’inexistence de la Chambre haute avec laquelle le Président partage les responsabilités constitutionnelles en ce qui concerne la procédure de l’élection des juges à cette instance suprême. Le mandat présidentiel lui-même était arrivé à expiration le 7 février 2021 aux termes de l’article 134-2; ce qui n’a pas empêché Moïse de s’octroyer une année de plus, en violation de la Constitution. La souveraineté nationale a donc été confisquée par le Chef de l’État en dépit de la mise en garde contenue dans l’article 58 de la Constitution.
Toute cette dégringolade institutionnelle faisait partie de la stratégie de l’équipe d’alors. Un certain Renald Luberice, ex-secrétaire général du Conseil des ministres de l’ère Moïse, avait expliqué aux citoyens que, sans Parlement, sans contre-pouvoirs, le Président pouvait mieux diriger. Or, la Constitution ne prévoit pas qu’une branche de l’État puisse être en vacances. Les constituants de 1987 avaient bien compris que la dictature ne peut venir que de l’Exécutif, c’est pourquoi ils ont remplacé la traditionnelle toute-puissance du Président par la mise sur pied de l’État de droit en multipliant les freins, les contre-pouvoirs. Le peuple périt faute de connaissance. C’est dans ce sens que le Roi Salomon eut à écrire : « Par sa bouche, l’impie perd son prochain mais les justes sont délivrés par la science » (Le livre des proverbes au chapitre 11, verset 9). Malheureusement pour la nation, ils étaient nombreux ces impies, ces faux docteurs aux côtés de Jovenel Moïse, qui répandaient de faux enseignements. Malgré leurs errements, ces défenseurs de l’État de non droit ont farouchement refusé d’écouter des points de vue contraires. Par la manipulation, ils ont contribué ainsi à la perte d’une population dont la naïveté s’explique par un manque d’éducation et de culture scientifique.
Des rendez-vous démocratiques manqués
L’exécution brutale de Jovenel Moïse ne saurait servir de prétexte pour cacher l’incompétence de toute une équipe d’hommes au pouvoir depuis plus d’une décennie. Le bilan est catastrophique. Quand on était au pouvoir et on veut y revenir, on doit présenter un bilan de satisfaction aux citoyens. C’est une preuve qu’on respecte la nation.
En somme, l’administration de Moïse était celle des rendez-vous démocratiques manqués. Elle voulait changer la Constitution de 1987 en dehors de la voie normale, c’est-à-dire sans les deux Chambres. Dans un pays où les institutions fonctionnent, la responsabilité du Président aurait été établie pour ses actes commis en violation de la Constitution qu’il avait juré de respecter et de faire respecter. Et seul le respect de la Constitution peut assurer la stabilité dans un pays. La Loi-mère indique la voie à suivre pour modifier le texte constitutionnel. Tout autre chemin, comme celui emprunté par le Président Moïse, est une offense à la souveraineté nationale. En s’écartant de la voie constitutionnelle normale pour changer la Loi fondamentale, le Chef de l’État était en infraction avec celle-ci. Pour cet acte, il était passible devant la Haute Cour de justice.
Si Haïti est en péril, ce n’est pas à cause de sa Constitution, même si certains Haïtiens la considèrent comme une source d’instabilité politique. Le succès d’une société repose sur la pratique des principes démocratiques, l’État de droit, la bonne gouvernance et le respect des droits fondamentaux. Autant de valeurs consacrées par la Constitution de 1987. Donc par notre droit positif. Pourtant, nos élites, au lieu de s’en servir comme boussole pour leurs combats politiques, souhaitent la changer pour l’adapter dans le sens de leurs intérêts mesquins : il s’agit pour elles de se perpétuer au pouvoir et de continuer à jouir des privilèges qui lui sont liés. C’est ce qui explique la déchéance et la perte d’Haïti.
Jovenel Moïse n’est pas le seul coupable dans la mise à mort des institutions du pays. Les deux autres pouvoirs qui assurent avec l’Exécutif l’unité de la souveraineté nationale, sont aussi investis de la fonction de sauvegarder la démocratie et l’État de droit. La communauté internationale, à travers le BINUH, a aussi sa part de responsabilité puisque sa mission est d’encadrer les institutions haïtiennes dans la mise en œuvre de l’État de droit.Or, le Parlement et la justice, deux institutions fondamentales pour la démocratie et l’État de droit, sont dysfonctionnelles.
Le but de l’Article 134-2
Malgré la circulation des discours manipulateurs, affirmer que la fin du mandat de Jovenel Moïse était le 7 février 2021 n’était pas un prétexte pour déstabiliser son pouvoir. L’ancien Président avait adhéré au principe de la primauté du temps constitutionnel sur le temps électoral lorsqu’il avait procédé au renvoi des deux tiers du Sénat en janvier 2020 en violation de l’Article 95-3 de la Constitution en vigueur. En conséquence, le mandat de Jovenel Moïse lui-même ne saurait faire exception à cette règle. En bon politicien haïtien, il a essayé de tricher. Pourtant, le principe de l’unicité de la règle de droit, associé à celui de l’égalité des citoyens devant la loi, veut que la règle de droit ait une interprétation unique. C’est en vertu de ce même principe que les dix sénateurs formant le troisième tiers auraient dû quitter le Sénat depuis le deuxième lundi du mois de janvier 2022. Que vaut le Sénat sans la Chambre des Députés? De surcroît, dix Sénateurs ne sauraient parler au nom du Sénat de la République. La Chambre haute est composée de membres élus (30 Sénateurs) dont trois par département (art 94 et 94-1).
En acceptant de continuer à y siéger sans mandat populaire et sans être en mesure de remplir leurs fonctions – adoption de lois sur toutes les questions d’intérêt public (Art. 111), contrôle de l’action gouvernementale (Art. 129-2, et 223), mise en branle le mécanisme juridictionnel pour fixer les responsabilité des membres du gouvernement en cas de violation des règles dans l’exercice de leur fonction (Art. 185 à 190 de la Constitution), etc. -, ces Sénateurs sont devenus ipso facto des autorités de fait, au même titre que le Premier ministre Ariel Henry et les juges siégeant dans nos Tribunaux et Cours. La consécration populaire du Président de la République et des parlementaires vient du suffrage universel direct (art. 134, 94-2, 89 de la Constitution). La légitimité des juges provient du Sénat et des Assemblées territoriales qui rattachent ces derniers au peuple (art. 175 de la Constitution). En démocratie, la légitimité provient du mode de désignation des détenteurs des pouvoirs publics et celle-ci tient aussi du droit. Il en résulte donc que tout pouvoir exercé en dehors de la légitimité populaire et démocratique révèle de la violence.
Nous ne devons pas perdre de vue que l’article 134-2, en débat pendant toute l’année 2020 et au début de 2021, qui est une disposition de dérogation, évite l’application de l’article 134 dans certaines circonstances. Le but de l’article 134-2 est de corriger le décalage entre le temps constitutionnel et le temps électoral afin de rester dans le quinquennat présidentiel. Le texte constitutionnel prévoit qu’un Président de la République entre en fonction tous les cinq ans. Pour qu’on n’ait pas à y recourir, une bonne gestion du temps s’impose aux gouvernants. C’est la seule façon de s’opposer à un tel recours. Fruit de l’amendement de 2011, l’article 134-2 est le résultat d’un consensus établi en raison de notre incapacité à planifier et à gérer le temps politique et le temps tout court.
Une justice impossible*
Dans la foulée des accusations qui viennent de partout concernant l’assassinat de Jovenel Moïse, la justice sera-t-elle rendue à sa famille? La Nation l’espère et sa famille et ses amis le réclament.
N’est-il pas surprenant et ironique de croire que le Chef de l’État assassiné trouvera justice dans ce pays où la population souffre pendant très longtemps d’un déni de justice ? Une situation dont le Président est l’un des responsables dans la mesure où il a eu à diriger un État qui a manqué à son devoir de protéger les citoyens contre les violences de toutes parts. La justice n’a pas été rendue aux proches des victimes du coup d’État du 30 septembre 1991 ni aux familles de Guy Malary, de Mireille Durocher Bertin, de Jean Dominique, de Me Monferrier Dorval, d’Antoinette Duclaire, de Diego Charles. Il en est de même des parents des victimes anonymes des massacres de Bel-Air ou de La Saline. Si ces personnes n’ont pas trouvé justice, il en sera malheureusement de même pour la famille Moïse, car c’est la même justice dysfonctionnelle. La même injustice.
Le Président Jovenel a laissé un pays en lambeaux, où il était totalement impossible, après sa mort tragique, de désigner constitutionnellement un successeur. Cette situation parle plus fort que toutes les publicités subliminales entourant sa mémoire. Au-delà de la douleur humaine que provoque sa disparition brutale, la réalité peu reluisante de l’exercice de son pouvoir ne peut pas être occultée.
Renaissance éthique
Car, au-delà des manquements de Jovenel et de tous ceux qui ont dirigé le pays avant lui, les détenteurs du pouvoir, de l’avoir et du savoir ont plus intérêt que le citoyen ordinaire, à travailler à l’indépendance de la justice, à une société haïtienne dominée par la règle de droit. Or, ce sont eux qui ont contribué à anéantir toutes les institutions destinées à la mise en œuvre de l’État de droit.
L’ampleur de la catastrophe est grande. Une justice haïtienne même fonctionnelle n’aurait pas eu de réponse à cette situation où tout est déchéance. Le droit et la justice ne peuvent pas résoudre cet échec lamentable. Il faut une renaissance éthique et intellectuelle de la société. La réconciliation s’impose. Cela devra passer par la mise en place d’une commission justice et vérité pour faire la lumière sur les assassinats, les viols, les crimes de sang et les infractions économiques et financières dans lesquels certains gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’État au cours de ces quatre décennies, sont impliqués. Il faut que les victimes puissent avoir la possibilité de regarder leurs bourreaux dans les yeux et se dire que nous sommes finalement condamnés à être frères et sœurs.
Nous devons le faire, car la justice haïtienne, corrompue et décriée, est incapable d’accorder la parole tant aux victimes qu’aux accusés. La reddition des comptes n’est pas possible à l’heure actuelle, bien que la Constitution consacre les principes de la bonne gouvernance, elle ne sera pas respectée car la société haïtienne est hors norme. Le respect de la loi est une question d’éducation. Les rapports difficiles que les élites entretiennent avec le droit et la loi compromettent au départ la tenue d’un procès juste et équitable visant à sanctionner les violations graves contre les droits de la personne humaine et les crimes économiques. Pour respecter la loi, nous devons apprendre d’abord à aimer la loi et la vouloir.
Lutte de pouvoir après le décès
Force est d’admettre qu’un an après le coup d’État mortel porté contre le Président Moïse, la République ne se comporte pas mieux. La détresse haïtienne qui devient permanente s’intensifie et augmente. Le Palais de justice, le siège d’un pouvoir d’État, dont la fonction est inscrite dans la souveraineté, est occupé par des bandits. Qu’est-ce qui explique qu’une année après l’assassinat du Chef de l’État les choses n’aient pas évolué dans le bons sens? Nous en sommes arrivés là parce que le diagnostic constitutionnel et politique à la base des changements opérés dans la gouvernance post Jovenel Moïse se sont avérés faux.
L’ancien premier intérimaire, Claude Joseph, est démis de ses fonctions après la publication d’un arrêté nommant le Dr Ariel Henry Premier Ministre. Qu’on se rappelle que, quelques heures après l’assassinat, ce haut fonctionnaire avait brandi l’article 149 de la Constitution pour justifier la légalité de son autorité à gérer la transition. Cet article évoqué par ce dernier était pourtant dans de telles circonstances hors d’application.
En admettant que le mandat de Jovenel devait prendre le 7 février 2022, cela voulait dire aussi que l’année 2022 est celle où il avait entamé sa cinquième année du mandat présidentiel. Dans ce cas de figure, c’est l’Assemblée Nationale qui, à partir de la quatrième année, devait se réunir d’office pour élire un nouveau Président provisoire de la République pour le temps qui restait à courir. La mort provoquant la vacance présidentielle et ouvrant la voie à la succession, met fin automatiquement à son mandat. Dès que survient une rupture entre le mandataire et le mandant, le mandat disparaît automatiquement.
Ariel Henry n’ayant pas été installé par Jovenel Moïse de qui il avait reçu son autorité se trouvait dans « un avortement de primature ». Son installation avait eu lieu un mois après le décès. Le mandat de Moïse ne se prolongeait pas après sa disparition. Le décès du mandataire a mis un terme au mandat. Ce dernier a pris fin le jour où la vie lui a été enlevée, le 7 juillet 2021 et non le 7 février 2022. La disparition tragique de Jovenel Moise et la non-installation d’Ariel Henry avant le décès avait créé de nouvelles situations politiques et constitutionnelles que nous étions obligés de comprendre dans un contexte où le parlement était dysfonctionnel.
Il n’y a donc pas de continuité entre Ariel Henry et Jovenel Moïse, mais rupture. Son pouvoir ne saurait être la continuité de celui de Jovenel Moïse rompu brutalement. Son pouvoir est tout autre et n’a pas pour base l’application de l’article 149 de la Constitution. Ariel Henry est le successeur de Joseph Jouthe, puisque, selon la logique constitutionnelle, Claude Joseph n’avait jamais été Premier Ministre. Il fut ministre des Affaires étrangères et des Cultes dans le gouvernement de Jouthe. Il fut désigné par Jovenel Moïse en application erronée de l’article 165 de la Constitution pour liquider les affaires courantes dans un délai ne dépassant pas trente jours, à la place du Chef du gouvernement démissionnaire, qui ne souhaitait pas rester en place jusqu’à la nomination d’un nouveau Premier Ministre.
Au regard de la Constitution de 1987, un Premier Ministre est celui dont le choix a été fait par le Président de la République selon l’article 137 de la Constitution et dont la déclaration de politique générale a été ratifiée par le Parlement (art 158 de la Constitution).
Ministre démissionnaire du gouvernement de Jouthe, démis de sa fonction de Premier Ministre intérimaire en vertu de l’arrêté nommant Dr Ariel Henry et sans lien avec l’administration publique, Dr Claude Joseph n’avait pas la qualité pour bénéficier les dispositions de l’article 149 de la Constitution. L’article 149 de la Constitution ne peut pas être évoqué en absence d’un parlement fonctionnel.
Des accords anticonstitutionnels
Les circonstances politiques actuelles, influencées par la communauté internationale, sont telles que l’actuel PM détient le pouvoir total en Haïti depuis un an. Une situation qu’il n’avait pas créée certes, mais dont il profite volontairement ou involontairement. La Constitution de 1987 prévoit une gouvernance à deux têtes. Le Président de la République est le personnage le mieux placé dans notre système politique pour agir sur l’État et la société. Ses fonctions ne sont pas équivalentes à celles du Premier Ministre. Sinon on serait dans une situation d’inflation de fonctions, de droit, de confusion des ordres et de rôles.
De même, dans notre logique constitutionnelle, on ne peut pas prévoir un poste de Premier Ministre sans Parlement. Car, entre le Gouvernement et le Parlement, il est établi une relation fonctionnelle et sanctionnée. Là où il y a une action gouvernementale, existe obligatoirement un contrôle parlementaire. Le gouvernement d’Ariel Henry comme ceux qui l’ont précédé n’est responsable que devant lui-même. Qui accordera décharge aux membres de ces différents gouvernements opérant en marge de la Constitution, en absence de l’institution de contrôle qu’est le Parlement? Aucun Parlement ne pourra accorder décharge à un Gouvernement qui n’avait pas pris d’engagements devant lui. Cette formalité doit être remplie chaque année. (art 233).
C’est une évidence que l’ordre constitutionnel et démocratique a été rompu avant même le décès du Président Moïse. C’est pourquoi il était nécessaire de définir dès le départ la transition. Ces erreurs de départ ne peuvent être corrigées dans le cadre d’un nouvel accord politique à partir de réflexions froidement mûries. Si l’article 149 était la base du pouvoir d’Ariel Henry, après trois mois, il aurait dû déjà organiser des élections afin de mettre en place un Gouvernement légitime.
C’est une question fondamentale à laquelle les Accords de Montana et du 11 septembre 2021 ne nous ont pas permis de répondre. Par exemple, les deux groupes prévoient une instance de contrôle sous l’autorité de laquelle serait placée la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, une institution républicaine qui se situe dans le contrôle politique que le Parlement exerce sur les activités du Gouvernement. Une absurdité! Quelle relation institutionnelle que l’instance de contrôle décidée par les deux Accords aura avec la Cour des Comptes et du Contentieux Administratif, une institution républicaine ?
Le concept théorique de « contrôle » dont l’opérationnalisation est « l’activité » a une signification dans la Constitution. Le contrôle parlementaire s’exerce sur les activités du Gouvernement (art. 129-2, 129-3 de la Constitution) et sur le budget de l’État (art. 223 de la Constitution). Quelle instance de l’État avait donné la responsabilité au gouvernement actuel et qui est investie du pouvoir de le déresponsabiliser de sa gestion des fonds de l’État après la fin de sa fonction? Seul le Parlement détient ce pouvoir. Les instances de contrôle concoctées par les deux groupes de réflexion ne sont que de la plaisanterie. Elles sont de nature à privatiser l’État. Un Gouvernement qui n’est astreint à aucun type de contrôle, manque d’éthique gouvernementale, rappelle la Banque Mondiale. Cette position exprimée par cette institution financière internationale devrait nous contraindre à un retour rapide à l’État de droit.
La réalité est que nous sommes dans un désert constitutionnel, pour répéter Me Bernard Gousse. Le bricolage juridique engendrera plus de problèmes qu’il nous permettra d’en résoudre. Quand le droit n’y est pas, nous sommes dans la libre disposition politique. Et en pareil cas, la solution politique doit être consensuelle. Et dans ce cadre-là, aucun groupe politique, aucun secteur ne détient une quelconque hégémonie et prédominance dans la recherche des solutions aux problèmes qui se posent à nous tous. Au contraire, cette situation chaotique dans laquelle nous végétons devrait nous contraindre à prendre le risque de s’nous asseoir autour d’une table, sans exclusivisme, et de définir ensemble ce sur quoi nous sommes d’accord afin de déterminer concrètement les actions à réaliser pour un retour à la normalisation de la vie institutionnelle et politique du pays.
Les Accords du 17 septembre 2021 et du Montana élaborés par les deux ailes de l’oligarchie politique sur la scène depuis plus de trois décennies, se situent donc dans le dilemme des absurdités politiques et juridiques tant du point de vue démocratique, des principes de la bonne gouvernance et de l’État de droit. Ils sont dépassés par rapport au contexte actuel. L’Accord du 11 septembre ne confère ni la légitimité ni la légalité au Premier Ministre. De même que ce que prône l’autre camp ne vaut pas mieux. Ces transitions à répétition et le fait d’y recourir consacrent l’échec de la démocratie chez nous car c’est une période au cours de laquelle les politiciens sans projet et sans base populaire se donnent une petite ou grande impunité pour ne pas avoir à rendre compte à la société.
Dans la situation actuelle, Ariel Henry doit diriger le pays de manière satisfaisante, en attendant de trouver une issue avec d’autres acteurs pour sortir du blocage institutionnel et sécuritaire auquel le pays est confronté afin de permettre au peuple dans un délai relativement court d’élire ceux qui doivent le gouverner.
Pour cela, nous devons prendre le risque d’être ensemble, de nous unir dans le cadre d’un dialogue libre, franc et sincère, avec pour unique boussole la réalisation du bien-être national.
Des politiciens pressés
Au-delà des choix politiques pas toujours judicieux de Jovenel Moïse, de ses manquements graves et de ses connexions supposées avec certains secteurs rétrogrades du pays, sa présidence n’était pas acceptée par la classe traditionnelle du pouvoir d’État en Haïti. Celle-ci l’a instrumentalisé de façon perverse. Moïse a été mis en déroute dès la première année de son mandat présidentiel par une classe politique peu professionnelle qui souffre d’une crise permanente de la patience et qui n’avait pas accepté le choix du peuple. On ne construit pas un pays ni une démocratie avec des gens pressés.
Quoiqu’il en soit, la mort du Président Jovenel Moïse continuera à soulever de lancinanntes interrogations. Parallèlement, elle nous force à nous questionner sur notre moralité politique, cette tendance à vouloir éliminer physiquement l’adversaire politique plutôt que de recourir à des débats d’idées, susceptibles de déboucher sur un consensus large et véritable entre tous les acteurs.
Enfin, qu’est-ce qui s’est passé dans la soirée du 7 juillet 2021? Qui a exécuté le Président Jovenel Moïse dans le plus grand secret ? Quels sont les complices de cet acte crapuleux? Qui sont les commanditaires, auteurs intellectuels et financiers de ce coup d’État? Après une année, ces questions demeurent toujours sans réponse.
La justice haïtienne est inopérante. Elle se révèle donc incapable de tenir des procès justes et équitables. Elle est donc dessaisie au profit de celle des États-Unis. Pour l’heure, certaines informations relatives à l’assassinat qui pourraient mettre en danger la sécurité des États-Unis sont gardées secrètes ou classifiées. C’est la raison d’État, contraire à l’État de droit. L’État se donne toujours une marge de manœuvre dans tout. Donc, tout est dérogeable dans le cadre de la loi et en violation de la loi quand il s’agit de protéger l’État.
En quoi ces informations relatives à l’assassinat du Président Jovenel Moise pourraient compromettre la sécurité nationale des États-Unis ? Est-que la justice haïtienne est habilitée à en connaître ?
Au final, une dernière question se pose : en quoi les États-Unis seraient-ils responsables dans la destruction de l’État d’Haïti?
Justice pour Jovenel Moïse et pour toutes les victimes connues ou inconnues demeurera un slogan creux tant que nous ne ramassons pas le drapeau et que la République d’Haïti ne sera pas debout. La vérité sur toutes ces atrocités commises au cours de ces périodes troublantes viendra de nos cœurs et de notre conscience, notre seul et plus grand juge. À la place du droit et de la justice, laissons parler nos cœurs dans le respect de l’éminence de la dignité humaine.
Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel et méthodologie de la recherche juridique, à la faculté de droit de l’Université d’État d’Haïti.
Professeur de droit des affaires à l’UNIFA
Sous les bambous,
La Gonave, le 3 juillet 2022
Tél. 37978036