« La situation des droits humains est dramatique, tous les droits sont bafoués », estime William O’Neill
6 min readWilliam O’Neill, expert indépendant sur la situation des droits humains en Haïti pour le compte du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, clôturant sa visite en Haïti, a livré ses constats à la presse ce 28 juin 2022. Selon lui, les problèmes sont nombreux en Haïti, et « tous les droits y sont bafoués ».
Après la Résolution du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU le 4 avril dernier appelant à « la nomination d’un expert indépendant sur la question des droits humains en Haïti », le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, avait nommé, le 12 avril 2023, William O’Neill, avocat spécialisé dans le droit humanitaire, les droits humains et le droit des réfugiés à ce titre d’expert en Haïti. Pour celui qui n’en est pas à sa première mission en Haïti, les constats ne sont pas positifs. « J’ai malheureusement retrouvé un pays meurtri par la violence, la misère, la peur et la souffrance. La situation des droits humains est dramatique, tous les droits sont bafoués », a fait savoir l’ancien directeur du département de la Mission Civile Internationale en Haïti (MICIVIH).
L’expert du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme dit avoir rencontré de nombreuses autorités, des membres d’organisations, des intellectuels, et visité des centres pénitenciers du pays, en particulier le Pénitencier National à Port-au-Prince et la prison du Cap-Haïtien. Selon lui, le pays fait face à une crise profonde, et « la solution pour Haïti doit être haïtienne ». « Elle doit passer par la mise en place de systèmes de performance et de surveillance pour veiller à la responsabilité et à l’intégrité de tous les acteurs, à chaque niveau de la chaîne hiérarchique », a déclaré William O’Neill lors de cette conférence de presse. Selon lui, l’État haïtien doit être plus actif dans la garantie des droits économiques, sociaux et culturels dont les manquements contribuent à envenimer la crise. « L’accès à la santé, à l’eau, à l’alimentation, à l’éducation et au logement, sont sérieusement entravés par le manque de réponse étatique qui a pourtant le devoir de fournir une réponse adaptée dans la limite de ses capacités », a-t-il déclaré.
Un système judiciaire en faillite
Le système judiciaire haïtien est en très mauvais état, c’est là un constat général, et l’expert en droits de l’Homme ne s’en écarte pas. Pour lui, un système judiciaire efficace est essentiel pour lutter contre la corruption et l’impunité qui alimentent le cycle de la violence et qui paralysent le pays depuis des décennies. « Le manque de contrôle, de responsabilité et de sanctions des fonctionnaires dans le domaine judiciaire crée un terrain fertile pour la corruption et l’impunité », a-t-il déclaré mercredi dernier. L’attention de M. O’Neill semble avoir été retenue par la situation carcérale en Haïti qui, selon lui, illustre « les manquements et les dysfonctionnements du système judiciaire à tous les niveaux ».
« Au pénitencier national de Port-au-Prince, et à la prison civile du Cap-Haïtien, j’ai été témoin de conditions de détention inhumaines. 219 détenus sont décédés en détention en 2022, principalement en raison de la malnutrition ou par manque d’accès aux médicaments. Les détenus sont entassés dans des cellules exigües, par une chaleur étouffante, parfois sans accès à l’eau, aux sanitaires, avec une alimentation insuffisante. Ils survivent dans une odeur suffocante provoquée par des monticules de déchets dans la capitale, contribuant à la propagation de maladies, telles la tuberculose et le choléra. Plus de 83% des personnes incarcérées sont encore en détention préventive prolongée, sans avoir eu accès à un juge ou à un avocat, certains depuis plus d’une décennie, y compris des mineurs », a longuement expliqué M. O’Neill.
Selon lui, il est nécessaire que les autorités haïtiennes s’engagent à augmenter de manière significative le nombre de dossiers traités pour les personnes en détention provisoire. « Je demande aux autorités de déployer tous leurs efforts pour permettre aux détenus de vivre dans la dignité, ceci inclut l’accès immédiat et constant aux besoins élémentaires ». Il a appelé aussi le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) ainsi que les inspections judiciaires à « redoubler d’efforts pour certifier les magistrats et veiller à ce que tout manquement soit sanctionné, en conformité avec les standards internationaux en matière de droits humains ». Par ailleurs, l’expert dit avoir décelé des avancées positives et cite les travaux du juge Jean Wilner Morin, les rapports de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) sur des présumés auteurs de cas emblématiques de corruption, mais aussi les efforts de la PNH qui opère « dans des conditions difficiles et des moyens limités ».
Appel à une force internationale spécialisée
Les autorités semblent être dépassées par la crise de l’insécurité. En quête d’une assistance internationale en matière de sécurité, le Gouvernement s’est fait un nouveau soutien. Pour l’expert William O’Neill, « l’ampleur de la crise est telle que le soutien adapté et coordonné de la communauté internationale sera fondamental pour accompagner la transition vers une meilleure gouvernance ». C’est ainsi qu’il appelle au « le déploiement d’une force internationale spécialisée aux côtés de la Police Nationale d’Haïti », ce qui est, selon lui, indispensable pour rétablir la liberté de mouvement des populations.
Tout en se disant encouragé par les efforts réalisés par la PNH malgré les manques, il estime l’envoi d’une force internationale spécialisée nécessaire, ce qui permettrait selon lui de « renforcer ses capacités sur le long terme, avec toutes les garanties de diligence en matière de droits humains ». « Des transferts de technologies et de connaissances ciblées seront essentiels, notamment dans le domaine du renseignement et de la lutte contre la violence urbaine », a-t-il précisé.
Appel aux autorités dominicaines à stopper les déportations massives
Les rapports migratoires entre la République Dominicaine et Haïti sont entachés de graves violations des droits humains. Au total, 176 777 migrants ont été rapatriés de janvier à décembre 2022, selon William O’Neill, et les méthodes de rapatriement utilisées « ne sont pas conformes aux normes relatives aux droits humains et violent les accords bilatéraux de migration ». Ainsi, il exhorte les autorités dominicaines à « respecter leurs engagements en ce sens » et réitère « l’appel à tous les pays de la région de mettre fin aux déportations massives de migrants haïtiens, en particulier de mineurs non-accompagnés ». Par ailleurs, il se dit être inquiet des « informations reçues concernant la traite d’enfants et de femmes migrants, y compris des allégations de trafic d’organes et de traite de personnes à des fins sexuelles » en Haïti.
Pour l’expert, la situation en Haïti n’est pas irréversible, et il estime que beaucoup peut être fait pour pallier les défis structurels et conjoncturels ayant mené à la crise actuelle, et ceci, rapidement, et avec peu de moyens. « Haïti est à un tournant de son histoire. Il est urgent d’agir. Il en va de la survie de toute une nation. Le pays a le choix de se redresser, de démontrer sa volonté de surmonter la crise pour aller vers un avenir meilleur ou de se résigner et sombrer davantage dans le chaos », a-t-il indiqué tandis qu’il est sur le départ.
« Assurer la sécurité et la protection de la population, surmonter les lacunes institutionnelles structurelles et rétablir la confiance dans les institutions publiques, sont des prérequis fondamentaux pour tenir des élections libres et transparentes et pour la consolidation de l’État de droit », a-t-il ajouté en conclusion. Tandis que l’expert William O’Neill part, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres est en visite en Haïti ce 1er juillet, et il prévoit de rencontrer divers acteurs nationaux et internationaux sur place.
Clovesky André-Gérald PIERRE