Pendant que Port-au-Prince était à feu et à sang, le nouveau coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Fritz Alphonse Jean, a visité le Grand Nord. Cette visite pourrait-elle se traduire comme un engagement accru envers la décentralisation et le développement de ce pôle du pays ? Peut-on envisager une relance de l’économie haïtienne sans le rétablissement de l’ordre à Port-au-Prince ? L’économiste Guy Mary Hyppolite, lors d’une interview accordée à Le Quotidien News le 21 mars 2025, fait le point.
Le Quotidien News (LQN) : Le nouveau coordonnateur du CPT, Fritz Alphonse Jean, a effectué une visite récemment dans le Nord-Est. Que peut-on espérer de cette visite ?
Guy Mary Hyppolite (G. M. H) : La visite du Président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Fritz Alphonse Jean, dans le Nord-Est peut être porteuse d’espoir pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle pourrait signaler un engagement accru envers la décentralisation et le développement des régions en dehors de Port-au-Prince. On peut également espérer des investissements dans les infrastructures locales, notamment les routes, les ports et l’agriculture, afin de mieux exploiter le potentiel économique de la région. Enfin, cette visite pourrait ouvrir la porte à des initiatives visant à attirer des investisseurs nationaux et internationaux dans des secteurs stratégiques comme le tourisme, l’exploitation minière et l’agro-industrie.
LQN : Quels sont les potentiels économiques du Grand Nord ?
G. M. H : Le Grand Nord possède plusieurs atouts économiques :
1. Agriculture et agro-industrie : La région est propice à la production de café, de cacao, de bananes, de canne à sucre et d’autres produits agricoles.
2. Tourisme : Avec des sites historiques comme la Citadelle Laferrière et le Palais Sans-Souci, le Nord a un fort potentiel touristique qui pourrait être exploité pour dynamiser l’économie locale.
3. Exploitation minière : Le Nord-Est dispose de gisements de métaux précieux comme l’or et le cuivre, qui pourraient être exploités de manière responsable pour générer des revenus.
4. Commerce et transport : Le port du Cap-Haïtien et l’aéroport international facilitent les échanges commerciaux, pouvant encourager l’import-export.
LQN : Le Grand Nord a-t-il suffisamment de ressources pour compenser les pertes économiques de Port-au-Prince ? Si oui, comment devrait-il procéder ?
G. M. H : Oui, mais cela nécessiterait une transformation structurelle. Pour compenser les pertes économiques de Port-au-Prince, le Grand Nord devrait :
•Renforcer les infrastructures : Moderniser les routes, les ports et les aéroports pour faciliter le transport des marchandises et attirer les investisseurs.
• Développer le secteur touristique : Miser sur les atouts culturels et naturels de la région pour attirer des visiteurs et dynamiser l’économie locale.
• Investir dans l’agro-industrie : Transformer les matières premières locales en produits finis pour la consommation nationale et l’exportation.
• Créer des zones franches : Attirer les entreprises en leur offrant des avantages fiscaux et des infrastructures adaptées.
LQN : Quels sont les impacts de l’insécurité sur l’économie du pays ?
G. M. H : L’insécurité à Port-au-Prince a un impact dévastateur sur l’économie haïtienne :
• Fermeture et délocalisation des entreprises : De nombreuses entreprises fuient le centre-ville, perturbant les emplois et l’activité économique.
• Réduction des investissements : Le climat d’insécurité dissuade les investisseurs nationaux et étrangers.
• Inflation et crise alimentaire : L’instabilité perturbe l’approvisionnement en produits essentiels, entraînant une hausse des prix.
• Chute des recettes fiscales : L’État perd d’importantes sources de revenus à cause de la paralysie économique.
LQN : Si les gangs prennent totalement le contrôle de Port-au-Prince, quelles seront les conséquences économiques ?
G. M. H : Si Port-au-Prince tombe entièrement sous le contrôle des gangs, les conséquences économiques seront catastrophiques :
1. Effondrement du commerce et des services : La capitale étant le principal centre commercial, son effondrement provoquerait une crise économique nationale.
2. Effondrement de l’État : La collecte des taxes et des impôts deviendrait quasi impossible, aggravant la crise financière.
3. Exode massif : Les entreprises et les citoyens fuiraient la capitale, entraînant une perte de main-d’œuvre qualifiée.
4. Hausse du chômage : Avec la fermeture des entreprises, le taux de chômage exploserait.
5. Crise humanitaire : La destruction des infrastructures de base (hôpitaux, écoles, routes) plongerait le pays dans une situation d’urgence prolongée.
LQN : Qu’est-ce que le Grand Sud peut-il apporter dans une perspective de relance de l’économie du pays ?
G. M. H : Le Grand Sud peut jouer un rôle clé dans la relance économique grâce à :
• Le port de Saint-Louis du Sud : Il pourrait devenir un hub commercial pour les importations et les exportations, réduisant ainsi la dépendance au port de Port-au-Prince.
• L’aéroport Antoine Simon : Il pourrait faciliter le développement du tourisme dans le Sud et attirer des investissements.
• L’agriculture : Avec son climat favorable, le Grand Sud peut augmenter sa production agricole pour alimenter le marché national et international.
• L’écotourisme : La région possède de nombreuses plages et sites naturels qui pourraient être exploités de manière durable pour générer des revenus.
LQN : D’un point de vue pragmatique, qu’est-ce qu’on peut faire pour redresser l’économie nationale ?
G. M. H : Pour redresser l’économie, il faut :
1. Sécuriser le pays : L’État doit rétablir l’ordre à Port-au-Prince et dans les autres régions stratégiques pour relancer les activités économiques.
2. Décentraliser l’économie : Encourager le développement économique des autres régions pour réduire la dépendance à la capitale.
3. Investir dans les infrastructures : Routes, ports, aéroports et énergie doivent être modernisés pour faciliter le commerce.
4. Développer l’industrie locale : Favoriser la transformation locale des produits agricoles et encourager la production nationale.
5. Encourager l’investissement étranger : Offrir des incitations fiscales et améliorer le climat des affaires.
6. Soutenir l’éducation et la formation : Former une main-d’œuvre qualifiée pour répondre aux besoins du marché du travail.
En mettant en place ces mesures, Haïti pourrait amorcer un redressement économique durable et inclusif.
Par ailleurs, il importe de souligner que le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) semble surtout être une structure de transition avec des défis majeurs à relever, notamment la sécurité et la stabilisation politique. Organiser des élections dans un climat aussi chaotique paraît très difficile, voire improbable à court terme.
Sans un minimum de stabilité, les perspectives économiques et les opportunités du Grand Nord risquent de rester théoriques. La priorité immédiate devrait être de rétablir l’ordre avant même de parler de développement régional. Mais si le CPT échoue dans le processus de l’organisation des élections, la question deviendra ce qui suit : qui prendra la relève et dans quelles conditions ?
Propos recueillis par :
Jackson Junior RINVIL
rjacksonjunior@yahoo.fr