Sejoe exprime sa fierté d’avoir contribué à l’évolution de la comédie
5 min readConnu sur la toile pour ses blagues hilarantes, Sejoe de son vrai nom Joseph Ducasse est un brillant artiste qui s’épanouit dans un domaine de la comédie peu convoité en Haïti. Il part à la rescousse de ceux et celles qui sont au bord du gouffre mentalement, grâce à son talent. « Je le fais pour ma communauté, pour mon peuple », déclare le stand-upeur, fier de sa contribution dans l’évolution de la comédie haïtienne.
“Yes yessa k apfet ? Sejoe”, c’est ainsi que Joseph Ducasse, de son vrai nom, salue son public dès l’entame de ses shows. Il est inspirant, hilarant, et surtout talentueux. Nombreux sont les qualificatifs utilisés pour décrire ce comédien haïtien né aux États-Unis. Il a vu le jour précisément à Brooklyn, peu après la dictature en 1987. « Par contre, j’ai grandi en Haïti où j’ai fait mes études primaires et secondaires », précise l’ancien élève du Saint Louis de Gonzague. C’est en effet dans l’enceinte de cet établissement qu’il réunissait ses camarades autour de lui pour balancer ses blagues. « C’était ainsi que tous les matins, les gars m’entouraient avec enthousiasme pour écouter mes blagues », raconte le stand-upeur, se remémorant les beaux souvenirs de son enfance en Haïti.
Comme tout adolescent à la fin de ses études classiques, Sejoe, de son nom de scène, avait du mal à s’orienter professionnellement. « Il n’y a que quatre professions pour les parents haïtiens : la médecine, le droit, le génie, l’avocature, ou byen w vagabon, ajoute-t-il dans sa langue de prédilection. Je ne voulais pas m’orienter vers la médecine comme ils l’avaient souhaité », se souvient le prêcheur de la bonne humeur qui a tout de même fait son collège en biologie et chimie à Florida. C’est en effet à ce moment un peu troublant de sa vie qu’il a décidé d’exploiter son talent de blagueur, qu’il considère comme un don.
« Je vivais une période de ma vie vraiment stressante, donc il fallait que je cherche un moyen de me détendre un peu. C’est alors que je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucune blague en créole sur You Tube », confie Sejoe, surpris de sa découverte, qui en a profité pour combler ce vide en publiant ses blagues. « Le feedback était positif, les gens avaient bien réagi à mes vidéos, alors je me suis dit pourquoi ne pas en faire une carrière professionnelle », avoue le comédienau journal Le Quotidien News, qui semble s’épanouir dans ce domaine, peu convoité à l’époque en Haïti. « M pa janm wè moun al lopital paske kè yo kontan », fait remarquer Sejoe avec humour.
Depuis plus de dix ans, Joseph Ducasse inspire le sourire sur le visage de nombreux Haïtiens. Dans sa langue vernaculaire, il plonge dans l’imaginaire collectif haïtien pour en tirer la pointe d’humour pouvant déclencher les éclats de rire. Malheureusement, “les Haïtiens valorisent peu la comédie. C’est un art qu’ils perçoivent différemment de la musique. Par exemple, un promoteur n’aura pas de mal à payer une belle somme à un groupe musical ou un chanteur qui se déplace avec ses instruments. Car selon sa conception, le chanteur ou le groupe le mérite. En revanche, il ne va pas dépenser la même somme pour la comédie, pour quelques petites blagues », regrette-t-il. « C’est encore plus difficile pour le stand-up, un modèle de comédie auquel les Haïtiens ne sont pas encore habitués », ajoute celui qui s’inspire du stand-up américain.
En créole (appellation de la langue haïtienne à laquelle il s’oppose), Sejoe s’est déjà produit sur plusieurs scènes, devant son public cible. « Je fais ce que je fais dans ma langue natale. Je le fais pour ma communauté, pour mon peuple », déclare le stand-upeur. Il s’inspire de la réalité ou de la tradition haïtienne qu’aucune autre nation ne peut comprendre, à en croire ses dires. Selon lui, une langue renferme un ensemble de connaissances propres à un peuple. « Je ne saurais maîtriser le stand-up américain aussi bien que je le fais dans ma propre langue », nuance-t-il. C’est la raison pour laquelle, il souhaiterait revenir en Haïti, pour enchaîner des prestations devant son public favori.
Sa dernière prestation en Haïti remonte à 2018, à LOL Fest. À cause de la situation précaire, il ne peut pas se produire dans son pays comme il le désire ardemment. « Il y a beaucoup trop d’incertitudes par rapport à l’insécurité, à la disponibilité du carburant, entre autres. C’est difficile dans ce contexte-là. Je suis affecté par ce qui se passe en Haïti », révèle le producteur Sejoe, nostalgique.
Par ailleurs, il fait remarquer que si le pays se trouve dans un tel déclin, c’est à cause des mauvais choix des électeurs. « Il faut qu’on cesse d’accorder le pouvoir aux dirigeants incompétents », soutient Sejoe, qui suit attentivement l’actualité en Haïti depuis les États-Unis. De plus, il croit qu’il faut repenser le système scolaire haïtien qui, selon lui, forme les enfants pour servir les étrangers. « Nou pa kreye timoun pou itil peyi a anyen », estime M. Ducasse, faisant un plaidoyer pour une meilleure utilisation du créole dans l’enseignement.
« C’est uniquement en Haïti qu’on met la pression sur un enfant pour qu’il parle une autre langue. Le fait est que c’est parce qu’on ne produit rien d’intéressant chez nous qui puisse intéresser l’étranger, que nous sommes obligés de parler une langue dans la perspective que cela nous procurera des opportunités…C’est une attitude de mendiant », fustige Joseph Ducasse.« Nous nous efforçons de parler d’autres langues pour pouvoir mieux quémander », argumente Sejoe, qui croit que l’appellation Ayisyen conviendrait mieux à la langue haïtienne.
Joseph Ducasse, dit Sejoe, se dit fier de ce qu’il a apporté à l’évolution du stand-up dans la comédie haïtienne. « Je suis encore jeune, il me reste encore beaucoup à faire. J’ai vécu des moments dans ma carrière, mais je ne suis pas en mesure pour l’instant de parler de ma plus grande et belle expérience », dit-il avec humilité, se rappelant de feu Mikaben décédé lors de son plus grand spectacle à Accor Arena. Marié et père de famille, il confie que sa plus grande satisfaction est de rendre fière sa fille, ainsi que toute sa famille.
Statler LUCZAMA