Diego Lafortune, l’homme de la scène!
5 min readLe théâtre est cet art qui transcende les lois et les handicaps. Il dévoile les tourments, la peur, la quête et les douleurs de l’être humain. Au-delà de toute forme de transmission, le comédien qui laisse en émoi ses spectateurs est celui qui reste le plus mystérieux. Diego Lafortune, par ses spectacles, nous invite au cœur de ces mystères.
Diego Lafortune est né un 13 juin à Port-au-Prince dans un quartier populaire, à Croix-Des-Prez. Un quartier qui voit ses enfants se transformer en artistes de génération en génération. Cependant, l’univers théâtral n’avait pas encore adopté ses amants durant la période qui a vu Diego grandir. « Je n’ai pas eu, étant gosse, la chance de trouver des jeunes évoluant dans ce domaine précis dans mon quartier. Mais j’étais tout aussi passionné que les autres enfants par Languichatte et Papa Pyè à l’époque. J’avais l’habitude d’assister à des spectacles d’une troupe théâtrale qui portait le nom d’IMPACT qui évoluait dans mon établissement lorsque j’étais en primaire. Je n’ai jamais tenté de m’y intégrer alors que j’en brûlais d’envie. J’ai tout assimilé par l’observation », confie le comédien.
En 2011, convaincu de son art, Diego se lance avec ardeur sur la scène. Pour couronner le tout, il crée son propre projet. C’est de là qu’il a commencé à bâtir sa carrière artistique et à se faire un nom dans le domaine. Dans un élan de fermeté, il déclare : « Je suis comédien et metteur en scène depuis 11 ans. Tout a commencé en 2011 lorsque mon ami d’enfance Jameson Joseph et moi, nous avons pris l’initiative de lancer un atelier d’art dans notre quartier, qu’on surnommait à l’époque « Faucon d’Art ».
De 2012 à 2018, Diego Lafortune connaît ses meilleurs moments sur la scène théâtrale avec une troupe. Il y a évolué pendant près de trois ans en tant que metteur en scène. Il y côtoyait les meilleurs comédiens et a travaillé avec eux pour perfectionner son art. Les comédiens Wooldy Joseph, Abydarlyne Jouth, Denise Charles, Lwens Bernot, Jameson Joseph, Maccenat André, Luder Providence, Sophia Etienne et tant d’autres ont marqué ses années d’apprentissage durant lesquelles il s’est vu grandir et devenir celui qu’il rêvait d’être. « Parmi eux, dit-il, Wooldy Joseph était mon mentor, il m’a appris beaucoup de choses que j’ignorais auparavant au théâtre, il avait la patience qu’il faut et j’ai su très vite comment le rendre fier de moi ».
En octobre 2012, la carrière du comédien et metteur en scène va prendre un autre tournant lorsqu’il intègre l’une des meilleures troupes théâtrales en Haïti, le Cercle GRAMSCI, grâce à Patrick Orelus qui le recommande à la troupe. Il parvient rapidement à s’imposer et à se construire par le biais de ses différentes propositions de spectacles et de ses réussites. Il connaît plusieurs succès en tant qu’acteur de la scène avec la troupe théâtrale Cercle Gramsci.Il devient insatiable et aspire à chercher sa propre voie en arrivant à faire de son art son arme de combat. C’est ainsi qu’en 2020, il lance son nouveau projet baptisé « Teyat Oprime » qui se veut d’être la voix qui parle pour les rejetés, les discriminés, les dévalorisés, etc.
« En tant qu’admirateur d’Augusto Boal, je me suis dit qu’il était important de prendre une telle initiative, de mettre sur pied un théâtre populaire. Si nous regardons notre société, il s’avère nécessaire de participer à la lutte pour le bien-être en utilisant notre savoir-faire », estime le jeune comédien.
Dès lors, il commence à réaliser plusieurs spectacles avec des jeunes acteurs, amateurs et professionnels. L’un de ses projets phares intitulé « JIS POU LAVI » a connu de multiples succès. Il a été joué un peu partout dans le pays et il a traversé le cœur des spectateurs qui ne cessent de vanter l’exploit de cette présentation artistique hors norme. Cette pièce de théâtre décrit la situation criante que nous vivons tous les jours (assassinats, viols, insécurité, …). « Notre souci est de donner la chance aux opprimés de s’exprimer pour les opprimés afin qu’ils soient totalement conscients de leur sort. Une fois conscients, ils chercheront des solutions pour résoudre leurs problèmes », explique-t-il.
Parmi ses performances à succès, Diego Lafortune a énuméré ses préférées :
- 10 avril 2020 – Mort d’État
- Mai 2021 – Pou Listwa
- Juin 2021 – Rigol San
- Septembre 2021 – Ambulance Populaire avec le poète Ricardo Boucher.
En septembre 2021, Diego a décidé de faire une pause dans ses activités artistiques. Il s’est dit qu’il était temps d’ouvrir l’espace à d’autres jeunes. Une décision que beaucoup ont eu du mal à accepter. Certains lui ont reproché d’être un peu étourdi pour laisser la scène alors qu’il est né pour. Sur les conseils et avec les encouragements d’Emmanuela Salomon et de tant d’autres camarades, il décide de revenir sur sa décision, d’embrasser pleinement la scène, mère de sa destinée. Rapidement, il reçoit une invitation du NISA CLUB (un club qui regroupe des jeunes universitaires et professionnels de la ville de Saint-Marc) pour une performance dans le cadre de leur Festival intitulé « FESTIVAL MOZAYIK ».
Diego Lafortune n’est pas que comédien. Même si c’est ce à quoi il s’identifie véritablement. Il est licencié en Histoire de l’art et archéologie à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et actuellement, il fait un Master 1 en Géographie, Aménagement, Environnement et Développement à l’Université des Antilles, au pôle Guadeloupe. Sa vision est de contribuer au renouveau du pays de quelque façon que ce soit. « Je suis parfaitement satisfait de mon parcours. Il faut savoir que je ne suis pas un artiste comme le prétendent beaucoup de gens. Je suis simplement une personne engagée dans une lutte pour le bien-être, j’utilise le théâtre comme une arme », explique le natif de la Croix-Des-Prez.
Diego termine avec un conseil pour les jeunes qui évoluent ou qui veulent évoluer dans cette sphère artistique. Il les invite à travailler dur pour s’en sortir. « Il existe un petit groupe qui prend en otage tous les espaces scéniques. Vous devriez être en mesure de créer vos propres espaces pour confirmer vos talents. Mon meilleur conseil : “ Fè l pou Lanmou, Fè l pou Lavi” ».
Geneviève Fleury