Résurgence de l’épidémie de choléra en Haïti : plusieurs morts sont dénombrés à la Prison Civile de Port-au-Prince
5 min readAprès la grande épidémie de choléra dans le pays entre 2010 et 2019 ayant causé pas moins de 10 000 morts selon les estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé, l’épidémie frappe de nouveau un pays fragilisé par une très grave crise multidimensionnelle. Déjà 22 décès institutionnels, 14 au Pénitencier National pour le 13 octobre, date du dernier rapport publié par la Direction d’Épidémiologie, des Laboratoires et de la Recherche (DELR) du MSPP.
La Prison Civile de Port-au-Prince, plus connue sous l’appellation Pénitencier National, est sous le coup de l’épidémie de choléra avec 271 cas suspects, 12 cas confirmés pour 14 décès selon les données officielles publiées dans le dernier rapport précité ; rapport qui est actualisé au quotidien, selon la DELR. Dans une publication faite sur sa page officielle facebook le 9 octobre, le Ministère de la Santé Publique et de la Population a demandé à la population de continuer à respecter les règles d’hygiène et de se rendre au centre de santé le plus proche en cas de vomissement et de diarrhée aiguë, et assure par ailleurs que toutes les directions du Ministère sont à pied d’œuvre en vue de limiter sa propagation sur le territoire national. À mesure que les jours passent, les chiffres ne cessent d’augmenter.
Des organisations de professionnels du droit s’inquiètent de la situation des détenus
Il n’y a pas que le Pénitencier National parmi les centres carcéraux du pays à être soit frappés, soit exposés au risque de l’épidémie. La surpopulation carcérale est un véritable défi pour le pays, et elle augmente le risque de propagation du choléra. Dans son rapport du 13 juin 2022 fait au Secrétaire Général de l’ONU, le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) avait fait ses constats en ce qui a trait à la population carcérale du pays. « Au 1er juin, le taux d’occupation global des prisons haïtiennes était de 287,77 %. Les prisons comptaient au total 11 531 détenus, dont 405 femmes, 247garçons et 19 filles, dont 9 549 (82,81 %) étant en attente de jugement », avait-il précisé.
Inquiète du risque d’aggravation de la situation, l’Association Nationale des Magistrats Haïtiens (ANAMAH), dans un communiqué de presse du mardi 11 octobre, s’est dite préoccupée par la situation des détenus et a demandé aux concernés d’organiser une audience spéciale en vue de réduire la surpopulation carcérale dans les centres pénitentiaires. « Dans ce climat de grand banditisme généralisé, le spectacle dégoûtant d’hommes et de femmes entassés dans des espaces minuscules, terrassés par des virus tueurs, par la famine et réduits à l’état de squelettes, ne peut que rendre plus violent, plus spectaculaire encore le mode opératoire des gangs lourdement armés ainsi que leurs commanditaires opérant en toute liberté, sans aucune limite, dans la plupart des grandes villes », se sont indignés les juges de l’association.
De son côté, l’Organisation Justice et solidarité, dans une note du 9 octobre, a indiqué qu’il y aurait déjà plusieurs dizaines de morts pour des causes diverses dans différents centres carcéraux de la partie Sud du pays, et invite les parents des victimes à porter plainte par devant les instances internationales pour « déni de justice et violation de leurs droits ».
« L’Organisation informe la presse et le grand public que moins d’un mois après la mort d’une trentaine de prisonniers dans les centres carcéraux à Petit-Goâve, à Port-au-Prince et à Jacmel, la semaine écoulée, ce weekend, du 6 au 9 du mois en cours, une vingtaine de prisonniers sont morts à Port-au-Prince à cause d’un manque de nourriture, de la chaleur torride à laquelle ils sont exposés, alors que les responsables ont toujours tendance à diminuer les chiffres et à taire les vraies causes de leur mort qu’ils lient au choléra, thèse infirmée par les techniciens médicaux du plus grand centre pénitentiaire du pays ».
L’urgence de réduire la population carcérale
Beaucoup sont au fait de la condition infrahumaine des prisonniers en Haïti. Pour la grande majorité, non condamnés pour aucun crime, et pourtant emprisonnés depuis plusieurs années, la justice haïtienne est d’une parfaite injustice. Lors d’une interview accordée au journal Le Quotidien News, Me Irma DIEUDONNÉ – juriste et anthropologue, défenseure des droits humains – plaide pour l’application d’un plan spécial pour les prisons en cette période de crise, sinon le pire est à craindre selon elle. « Avec la fermeture des tribunaux, des gens croupissent en prison injustement sans pouvoir passer par devant leurs juges naturels, il faut changer cette pratique. La proposition est de voir des juges et des officiers de parquets motivés à traiter avec urgence en se mobilisant sur le désengorgement des prisons. Sinon, le pire est à craindre ».
Pour elle, les droits à la santé, à la vie et à la justice sont inaliénables, et doivent être appliqués à tous. « Le droit à la santé et à la vie sont reconnus aux personnes incarcérées. Il serait de bon ton de renforcer les dispensaires et autres systèmes de santé dans les prisons et assurer le service alimentaire de base est la mesure à prendre au plus vite. Décréter une certaine permanence des tribunaux et parquets afin que des audiences correctionnelles spéciales se tiennent en vue de libérer ceux qui légalement le méritent. Ceux qui n’ont plus leur place en prison doivent être libérés », plaide la jeune avocate.
« Il appartient aux autorités de la justice de doter les instances concernées des moyens nécessaires. Cette conjoncture sociopolitique ne doit pas servir comme tremplin pour de tels abus des droits humains », dit-elle.
Les autorités ne doivent pas rester muettes et inactives face à cette situation. La violence de l’épidémie qui menace la population carcérale est très importante, et les autorités doivent se donner les moyens d’une politique humanitaire. Seuls et impuissants face à la menace, entassées dans des cellules minuscules, mal nourris et maltraités, les détenus en Haïti font face à toutes sortes de difficultés, et beaucoup sont condamnés à une mort certaine s’ils ne sont pas pris en compte. Qui oserait espérer pour eux une telle issue ?
Clovesky André-Gérald PIERRE
cloveskypierre1@gmail.com