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Les services de base au point mort, peut-on encore résister en Haïti ?

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Ces dernières années, beaucoup de citoyens pensaient opposer une résistance à la déchéance du pays avec  les mouvements sociaux pour la reddition de compte ou encore des vagues de manifestations anti-gouvernementales. En dépit des efforts pour réaffirmer et réassumer la culture et les traditions haïtiennes, le pays est en train de vivre le pire avec les services de base dysfonctionnels. La terreur exercée par les gangs armés dans certains quartiers, exacerbée par l’impuissance de l’État,  tend  apparemment, à tuer toute forme de résistance.

La ville de la Croix-des-Bouquets, à une dizaine de kilomètres environ au nord-est de Port-au-Prince, est tombée sous l’influence de la violence armée, ça fait plus de quatre ans aujourd’hui. Jadis paisible, elle est désormais l’un des bastions de la terreur en Haïti. Selauter Beaulière est opérateur culturel, et organise des événements depuis près de dix ans dans la Plaine du Cul-de-Sac. Mais aujourd’hui, son activité est bouleversée par la réalité. « La culture est l’un des secteurs les plus touchés par cette nouvelle réalité », se désole-t-il dans une interview accordée à Le Quotidien News. « Pour organiser des événements culturels, il faut un climat apaisé, et il faut que les gens puissent se déplacer en toute quiétude. Ils ne doivent pas avoir à se préoccuper de perdre la vie sur la route ».

Pour Beaulière, elle semble loin l’époque où il pouvait librement multiplier ses événements. « En tant que créateur d’événements, ma dernière grande activité réussie en Plaine remonte à décembre 2019. Après cela, les gens n’ont plus osé se déplacer pour s’amuser ». Cependant, il croit encore que la situation finira par redevenir comme avant, et que la culture lui permettra de résister au pire. « Nous résistons quand même en organisant de petites activités culturelles, nous sommes bien obligés. C’est à travers la culture que nous sommes plus aptes à résister, c’est elle qui enflamme nos cœurs et qui nous donne une raison de tenir ».

« Si nous ne résistons pas, la situation va encore empirer », prévient Lovinsky Fils-Aimé

Lovinsky, lui, est militant écologiste dans un pays où l’environnement n’est pas du tout à l’agenda des politiques publiques. Pour lui qui est étudiant en « aménagement du territoire » et incorrigible face à ses revendications, pas question de capituler, même face au pire, et il se réfère à son modèle Nelson Mandela et le cite, « laisse tes rêves changer la réalité mais ne laisse pas la réalité changer tes rêves ». Selon lui, il n’y a pas d’autres options que de résister. « Si nous ne résistons pas, la situation va encore empirer ». « Nous devons garder nos promesses envers nous-même et envers le pays », a-t-il ajouté.

S’adapter ou résister ?

À chaque fois que la crise atteint un nouveau palier, pour beaucoup, la résistance prend plutôt la forme d’une adaptation. Cependant, des paliers, la crise en atteint beaucoup, et à une vitesse phénoménale. Pour Me Frantz G. Nerette, avocat et professeur à l’université, « la vie est dynamique mais pas à ce niveau ». Selon lui, le citoyen haïtien vit un calvaire au quotidien, tant sur le plan économique que social. « Qu’il s’agisse d’un simple back-up pour téléphone, d’une lampe solaire au panneau solaire en lui-même jusqu’à la génératrice, beaucoup ont fait des ajustements en fonction de leur budget, car le courant de ville semble être le premier à avoir laissé le pays dans le programme « humanitarian parole ». 

« Le transport est le calvaire du citoyen. Il prend la forme de la longue file pour s’approvisionner en carburant lorsqu’il a un véhicule, passe par le prix exorbitant du gallon avec le risque de panne en raison de l’altération du produit, les itinéraires à choisir pour éviter soit de se faire contrôler pour des policiers – vrais ou faux – et de se faire coller une contravention pour absence de vignette ou de se faire enlever ou tirer dessus pour avoir refusé de s’arrêter au poste de contrôle », explique le professeur Nerette.

Pour lui, la conjoncture est celle d’une peur profonde et la conclusion est simple, « nous ne résistons pas, nous subissons ». « Pour le moment, je creuse ma propre tombe en étant préoccupé par un individu pressé dans la rue, par un oisif assis devant chez moi, par une personne qui m’interpelle « monsieur » rien que pour me dire que j’ai raté un passant en enfilant mon ceinturon dans mon pantalon ».

« Le principal c’est de ne pas perdre espoir »

Pour Hugues-Kapè  Mondesir, militant politique et professeur de philosophie, les derniers Gouvernements sont à blâmer pour cette déchéance. « Ces douze années depuis l’arrivée des « tèt kale » au pouvoir ont fait d’Haïti un espace de violence, un climat caractérisé par un défilé de massacres, kidnappings, d’actes de corruption, par le règne de l’impunité et autres ». Cependant, pour le militant politique, pas question de baisser les bras, il faut avoir foi dans le pays. « Nous pouvons résister, le principal c’est de ne pas perdre espoir et de continuer à aimer. L’important c’est de ne pas perdre foi en ce pays », explique Hugues-Kapè.

Dimitri Jean-Baptiste, lui, est étudiant finissant en Sciences Politiques, et se retrouve entre le constat d’une « descente aux enfers » et une conviction qu’avec le temps, la force de la résistance collective finira par triompher de l’adversité. « Il est quasi impossible de résister au pire, voire même de tenir jusqu’à la descente finale aux enfers qui est aujourd’hui irréversible pour le peuple haïtien, pour les jeunes qui en sortent victimes », a-t-il affirmé avant de rêver d’un retournement de situation. « Une chose est certaine, dit-il, j’ai la pleine conviction qu’il y aura un changement dans ce pays ».

Dame-Marie (Grand’Anse), une commune qui résiste au pire

La ville de Dame-Marie, dans sud-ouest du pays, subit les conséquences de la crise tout comme les autres villes de province. Fegens Louis Jeune, Dame Marien, est professeur, poète, rappeur, militant pour la langue et la culture créole, et chef de file de la mouvance EWAYITI (Eritye Wozo – Ayiti). Très actif dans sa communauté, il présente un intérêt certain pour les pratiques culturelles et artistiques comme la lecture, l’écriture, l’éducation à la citoyenneté numérique, les débats littéraires, et veut prôner « une politique de participation des jeunes à la vie publique comme le leadership communautaire et l’entreprenariat ».

Selon Fegens, cette communauté a quelque chose de particulier. Alors que personne ne semble comploter, la ville semble avoir doucement entamé une résistance face à la crise en améliorant ses capacités de résilience. Un des problèmes majeurs de cette commune de la Grand’Anse selon lui, a toujours été l’accès à la formation, dû à l’absence d’école professionnelle ou d’université. Les jeunes de la ville, après avoir terminé leurs études scolaires, ont toujours eu pour seuls choix que de se rendre à Port-au-Prince (pour ceux qui en ont les moyens), ou de rester chez eux, abandonnant ainsi tout rêve d’une formation supérieure.

Aujourd’hui, peu de gens osent s’aventurer jusqu’à Port-au-Prince du fait de la misère et de l’insécurité qui s’y sont installées. Et de cet état de fait est né, dans la ville de Dame-Marie, un embryon d’espoir, les locaux sont obligés d’investir chez eux. « Parce que les jeunes sont obligés de rester sur place, Dame-Marie bénéficie maintenant de nouvelles écoles professionnelles, et ces écoles instaurent de nouvelles politiques de décentralisation permettant aux jeunes de faire face et s’adapter avec la réalité ». Selon lui, la tragédie de Port-au-Prince doit au moins provoquer un intérêt pour la décentralisation dans le pays. « Ça change la sociologie du milieu à Dame-Marie, et c’est une délivrance pour certains parents de nos jours », a-t-il affirmé.

Cependant, il croit important de ne pas négliger le poids de la crise sur la population, en particulier de la crise économique qui est également liée à l’insécurité alimentaire qui fait rage dans la région. Malgré une résistance chez les producteurs, les conséquences de l’ouragan Matthew de 2016, du séisme de 2021 et du blocus à Martissant pèsent très lourd sur la ville. Et cela, le poète le constate jusque dans les plus petits détails du quotidien.

« La réalité se présente clairement devant nous aujourd’hui, dans notre vie quotidienne. Quand vous demandez à quelqu’un « kouman w ye ? », la réponse la plus répandue et sans doute la plus évidente reste « n’ap lite » ou encore « nou la, n ap konbat, n ap reziste ». Quand un paysan de Dame-Marie vous répond ainsi, cela traduit sa réalité qui est que les gangs armés à l’entrée Sud de Port-au-Prince lui imposent leur taxation, au risque de perdre toute sa marchandise et même sa vie ».

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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