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De la vengeance populaire ou de la légitime défense pour contrer l’insécurité ?

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Voilà près de cinq années que la population haïtienne subit les actions malfaisantes et criminelles des bandits armés. La capitale haïtienne devenue entre-temps le bastion des gangs se retrouve au milieu du chaos. Si quotidiennement, de paisibles citoyens sont victimes des actions des bandits, le lundi 24 avril, plus d’une vingtaine de présumés bandits ont été  lynchés par la population en colère, à Port-au-Prince. Les réactions pleuvent  depuis sur le danger que cela puisse représenter…

Le système judiciaire en Haïti est de plus en plus défaillant. Les bras de l’institution policière et de tout l’appareil judiciaire ne sont pas assez puissants pour apporter une solution à la crise sécuritaire qui  frappe de plein fouet la population. Par ailleurs, les citoyens semblent vouloir prendre les choses en main. Les habitants des quartiers de Turgeau, de Canapé-Vert et de Debussy ont lynché environ 27 individus armés, le lundi 24 avril. Cette action a suscité une pluie de réactions au sein de la communauté haïtienne.

Les endroits qui sont sous le contrôle des gangs sont multiples. Après avoir pris le contrôle de Martissant, Cité-Soleil, Croix-des-Bouquets, Pernier, pour n’énumérer que ceux-là, les gangs essaient en permanence de conquérir de nouveaux territoires et parallèlement d’augmenter leur pouvoir. L’un des quartiers convoités, depuis quelque temps, par les bandits est celui de Turgeau. Ces derniers ont essayé d’avoir la main mise sur Turgeau et les quartiers avoisinants. Selon les résidents de Turgeau, de Canapé-Vert et de La Grotte, les tirs ont commencé vers 3h15 du matin, le lundi 24 avril.

Toutefois, cette tentative a avorté, grâce à l’intervention de la population et de la Police Nationale d’Haïti. Selon les informations non exhaustives, le 24 avril environ 27 individus qui fréquentaient la zone  ont été lynchés par la population, dont 14 présumés membres de gangs à bord d’un véhicule à Canapé-Vert et 13 au niveau de Turgeau. Les résidents ont courageusement riposté à l’attaque des gangs et se sont résolus à protéger leurs vies ainsi que celles de leurs proches, machette à la main. Outre Turgeau, Debussy, Canapé-Vert, Cité Gabriel, plusieurs autres zones dont Thomassin et  Carrefour-Feuilles ont commencé la chasse aux bandits, au cours de la semaine du 24 avril.

Parmi les nombreuses réactions à ce sujet, le Premier ministre Ariel Henry s’est exprimé sur son compte Twitter le 24 avril pour présenter ses sympathies aux policiers victimes lors des dernières opérations. Ce dernier a profité de la circonstance pour féliciter les forces de l’ordre. « Ensemble, nous résoudrons les problèmes liés à la sécurité pour avancer dans le processus d’organisation des élections en vue du retour à l’ordre  constitutionnel souhaité par toutes et par tous », a-t-il conclu sans une pensée pour la population haïtienne qui demeure la grande victime de l’insécurité.

Par rapport à cette vague de colère que la population déverse sur les individus armés, les responsables des droits humains en Haïti n’approuvent pas trop les démarches employées par la population pour se faire justice. Sur Twitter,  Marie Rosy Auguste Ducena, Avocate défenseure des droits humains et responsable de programme au Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), soutient qu’une foule de civils armés ne peut apporter de solution à la crise sécuritaire d’Haïti et que ce qui se passe actuellement, n’est en aucun cas un acte de justice, mais plutôt un acte de vengeance populaire. Cette dernière poursuit en soulignant que la vengeance ne fait que détruire ceux qui la pratiquent et que des gens peuvent périr innocemment, dans ce genre d’initiative.

D’un autre côté, plusieurs citoyens appuient le mouvement de la population et affirment que les grands maux nécessitent de grands remèdes. En effet, selon certains, réagir face aux attaques des bandits peut être un acte salvateur comme cela a été le cas pour les habitants de Debussy, de Canapé-Vert et de Turgeau. D’ailleurs, la légitime défense est un droit. Parallèlement, s’il faut que la population agisse pour mettre fin au règne des bandits comme en 1986 avec la dictature, ce mouvement est totalement légitime, affirment quelques citoyens. Ces derniers estiment, par ailleurs, que si la police et la justice ne peuvent obtenir une solution durable à la crise, c’est le devoir du peuple de prendre les choses en main. 

La population semble déterminée à s’auto-protéger des gangs. Sur les réseaux sociaux, plusieurs vidéos montrent des Haïtiens et Haïtiennes de différents quartiers qui aiguisent des armes blanches, dont des machettes, des couteaux, des poignards dans le but de se défendre et de résister à toutes éventuelles attaques de bandits. Même si ces derniers ont en leur possession des armes à feu automatiques et plus dangereuses les unes que les autres, la population, dans certains endroits,  se prépare et forme des brigades de protection avec les moyens disponibles pour contrecarrer les individus armés.

Au vu de cette situation, il est important de se rappeler du 6 mars dernier, où dans une Note de presse, le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP) avait informé la population que si des individus mal intentionnés pénètrent chez eux, la loi les autorise conformément aux articles 272, 273 et 274 du code pénal haïtien à se défendre. Le MJSP a également souligné que conformément à l’article 45 du Code Pénal haïtien, tout citoyen collaborant d’une manière ou d’une autre avec des individus membres de gangs subiront le même sort qu’eux et a invité la population à collaborer avec la PNH pour trouver une solution à la crise. La Nation haïtienne semble avoir retenu la leçon. Seulement, les événements de la semaine du 24 avril, suffisent-ils pour affirmer que la chasse aux bandits a commencé à Port-au-Prince? N’y a-t-il pas un danger (que des innocents soient victimes) qui se cache par derrière cette « vengeance populaire » comme certains l’appellent?

Leyla Bath-Schéba Pierre Louis

pleyla78@gmail.com

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