Le trafic d’armes en Haïti, moteur de la violence armée dans le pays
6 min readLa crise de l’insécurité ne cesse de s’aggraver dans le pays. Un facteur des plus importants dans l’aggravation de l’état de la violence armée dans le pays est le trafic d’armes en plein expansion. Il a permis aux gangs de contrôler ou de tenir sous leur influence près de 80% de la zone métropolitaine selon le Groupe d’experts sur Haïti du Conseil de Sécurité de l’ONU créé par la Résolution 2653.
L’état de crise généralisée, tant au niveau politique, social qu’économique, a contribué à l’établissement et au renforcement des réseaux criminels dans le pays. « Mauvaise gestion des frontières, faiblesse des contrôles douaniers, longue tradition de corruption, voici quelques-uns des principaux facteurs qui favorisent les activités criminelles », estime le groupe d’experts sur Haïti dans son rapport final. Selon ce groupe d’experts qui a étudié la situation dans le pays, le trafic d’armes et de munitions vers Haïti est « l’un des principaux moteurs de l’expansion du contrôle territorial des gangs et des niveaux extrêmes de violence armée dans le pays, et représente une menace pour la stabilité régionale ».
Un inquiétant trafic d’armes
Le groupe d’experts sur Haïti, dans son rapport transmis au Conseil de Sécurité le 15 septembre 2023, a soutenu que certains gangs « disposent non seulement de moyens financiers importants qui leur permettent de se procurer du matériel coûteux, mais ils ont aussi des réseaux qui leur facilitent les achats à l’étranger et le transport jusqu’en Haïti ». Les institutions des Nations Unies, les organisations de recherche spécialisées et les agences gouvernementales haïtiennes estimaient en 2022 que le nombre des armes à feu en circulation dans la population civile, serait de 291 000 en 2018 et de 600 000 en 2022.
« La demande d’armes progresse et les prix sont élevés, ce qui fait du trafic d’armes une activité très lucrative, même en petites quantités », explique le groupe d’experts. Selon eux, « des fusils semi-automatiques de 5,56 mm, qui se vendraient pour quelques centaines de dollars aux États-Unis, sont régulièrement vendus entre 5 000 et 8 000 dollars en Haïti, tandis qu’une arme de poing de 9 mm peut être vendue entre 1 500 et 3 000 dollars et les munitions entre 3 et 5 dollars la cartouche ». La plupart des armes et munitions faisant objet de ces trafics arriveraient à destination, car les saisies ne sont pas énormes. La plus importante saisie relevée par le Groupe d’experts depuis janvier 2022 fait état de 23 articles pour les armes à feu et 120 000 cartouches pour les munitions.
Selon ce rapport, les trafics d’armes en Haïti passent par les voies maritimes, aériennes et terrestres. Le manque de ressources de l’administration douanière et les niveaux élevés de corruption dans le département sont des facteurs clés qui favorisent le trafic d’armes à destination d’Haïti. « Haïti compte 20 ports maritimes officiels, de tailles diverses ainsi que plusieurs stations d’amarrage et de mouillage non officiels le long des 1 771 kms de côtes. Par ailleurs, il existe quatre points de passage terrestres officiels le long de la frontière de 392 km avec la République Dominicaine ainsi que d’innombrables autres points de passage non officiels. Deux des cinq aéroports d’Haïti sont des aéroports internationaux et il existe plusieurs pistes d’atterrissage clandestines dans le pays ».
Trois pays interviennent dans le trafic d’armes avec Haïti
Le traçage des armes et des munitions ne semble pas être aisé. Le Groupe d’experts dit avoir envoyé à trois pays des demandes de traçage concernant 74 armes à feu illicites récemment saisies et faisant l’objet d’une enquête. Selon les experts, ces armes avaient été fabriquées ou originellement achetées dans ces pays. Cependant, au moment de la soumission du présent rapport, seul un État Membre avait répondu, ce qui engendre des retarde dans la reconstitution de la chaîne de détention.
Cependant, les recherches et observations menées sur place par le Groupe d’experts, font apparaître que la majorité des armes à feu et des munitions en circulation dans le pays sont fabriquées ou achetées à l’origine aux États-Unis. « Elles arrivent en Haïti directement depuis les États-Unis ou via la République Dominicaine. On a constaté également des tendances moins courantes, comme la présence de fusils de type AK retrouvés en Haïti, détournés d’un pays d’Amérique du Sud et probablement introduits dans le pays à la faveur du trafic de drogue ou importés de la République Dominicaine, où des saisies récentes ont permis de trouver des armes en provenance d’Amérique du Sud ».
Vu la présence d’une diaspora haïtienne importante, des prix bas et des contrôles limités sur les achats, les États-Unis sont une source de matériel intéressante pour les détenteurs d’armes en Haïti, estime le Groupe d’experts. « Les autorités américaines ont renforcé les contrôles et saisi plusieurs armes et munitions à destination d’Haïti par voie maritime ou aérienne. Entre janvier 2020 et juillet 2023, le Bureau des douanes et de la protection des frontières des États-Unis a saisi 15 938 munitions de différents calibres, ainsi que 35 carcasses et 59 armes, dont 45 armes de poing, 1 fusil de chasse, 12 fusils et 1 mitrailleuse », peut-on lire dans le rapport.
Après les États-Unis, c’est la République Dominicaine qui intervient beaucoup plus dans le trafic d’armes dans le pays. « Bien que moins lucratif que les importations directes en provenance des États-Unis, l’achat de matériel sur le marché illicite dominicain reste intéressant. Un fusil semi-automatique de 5,56 mm coûtant entre 500 et 700 dollars aux États-Unis peut se vendre environ 2 500 dollars en République Dominicaine ou deux à trois fois plus en Haïti ». C’est au moyen de ce trafic passant par la République Dominicaine, plus précisément par le point Belladère-Elias Piñas que plusieurs gangs, en particulier 400 Mawozo dont le territoire est le plus proche de la frontière, se fournissent en armes à feu et munitions.
La présence d’armes à feu en Haïti, selon le Groupe d’experts, mais aussi plusieurs autres organismes internationaux, déstabilise encore davantage la région, compte tenu du trafic d’armes à feu vers la Jamaïque. « Le trafic historique de marijuana de la Jamaïque vers Haïti par la voie maritime s’est transformé, au fil du temps, en un échange d’armes contre de la drogue (ganja). Selon des sources de sécurité régionales enquêtant sur la question, une arme de poing peut s’échanger contre 18 kg de marijuana (environ 2 000 dollars), ce type d’armes à feu étant particulièrement demandé en Jamaïque », lit-on dans le rapport.
Par ailleurs, les gangs se sont également emparés des armes de certains policiers, et des détournements d’armes saisies par les autorités. Selon le Groupe d’experts, entre 2012 et 2023, près de 2 500 armes à feu de la police ont été déclarées perdues ou volées. Le rapport soutient que certains policiers se livreraient à la vente de leurs propres armes à feu et munitions.
Pendant ce temps, beaucoup de citoyens continuent d’espérer l’arrivée de la mission de soutien qui devrait contribuer à apporter un peu de calme sur le terrain en Haïti.
Clovesky André-Gérald PIERRE