L’ULCC dénonce un usage abusif et inquiétant des engins lourds au CNE
5 min readLa corruption et la mauvaise gestion rongent quasiment tous les rouages de l’État haïtien. Le Centre National des Équipements a fait l’objet d’une enquête de l’ULCC qui estime qu’entre destruction, disparition et détournement, « l’institution n’est pas en mesure de contrôler l’ensemble des équipements dont elle a la gestion ».
Le résumé exécutif du rapport d’enquête partielle réalisée au Centre National des Équipements concernant les engins lourds, qui a été rendu public par l’ULCC le 15 novembre, a fait état d’un « usage abusif et inquiétant des engins lourds appartenant à l’État », en particulier dans la mise en œuvre du programme gouvernemental baptisé “Karavàn Chanjman”. Trois institutions sont impliquées dans la mise en œuvre de ce programme, le MTPTC, le CNGRS et le CNE.
Faisant objet de la première phase de l’enquête sur le programme « Karavàn Changement », un programme lancé par l’ex-Président assassiné, le CNE a été mis en cause quant à sa mauvaise gestion des équipements de l’État. Que ce soit dans le Grand Sud ou dans le Grand Nord, les enquêteurs de l’ULCC ont relevé de graves irrégularités. Dans le Grand Sud, des déplacements ont été effectués dans différentes communes parmi lesquelles, les villes de Côtes de fer, Camp-Perrin, Beaumont et Corail. « Les vérifications physiques effectuées par les enquêteurs de l’ULCC au niveau de ces communes révèlent de graves irrégularités en termes de gestion de biens publics et des pertes significatives enregistrées par l’État », peut-on lire dans le rapport d’enquête.
Les chiffres d’une gestion catastrophique
Sur 25 équipements mis à disposition par le CNE à la commune de Côtes de fer, 7 seulement ont été répertoriés, « les autres équipements n’ont pas pu être identifiés et sont considérés comme disparus ». Parmi les sept engins retrouvés sur le site, certains sont soit démolis, soit dépourvus de pièces nécessaires à leur fonctionnement. À Camp-Perrin, sur 33 engins lourds transmis par le CNE, 8 sont encore en bon état, les 25 autres sont non fonctionnels ou totalement abandonnés. 18 matériels ont été signalés disparus pour les sites de Beaumont, Corail et Jérémie.
« En somme, l’inventaire des biens réalisé pour le Grand Sud couvre environ 96 matériels, dont 37 ont disparus. Les 44 autres matériels inventoriés sont soit en panne, soit en mauvais état. Par ailleurs, 15 engins lourds qui ne figurent pas sur la liste communiquée par le CNE, ont été retrouvés, mais certains sont démolis tandis que d’autres incendiés », lit-on dans le résumé exécutif du rapport de l’ULCC.
Quant au Grand Nord, la gestion n’est pas différente, « les équipements qui s’y trouvent ne font l’objet d’aucun contrôle strict de la part du CNE » et les sites deviennent « presque des endroits abandonnés et hors de tout contrôle régulier », estime l’ULCC. 31 matériels ont été découverts par les enquêteurs de l’ULCC sur un site aux Gonaïves, or, ils ne se trouvent pas sur l’inventaire transmis par le CNE, « ce qui sous-entend que le CNE n’est pas au courant de l’existence de ses propres engins lourds, encore moins de ce site aux Gonaïves qui les abrite ». Pour l’ULCC, il est plus que nécessaire de «déterminer les responsabilités individuelles appropriées ».
L’analyse approfondie d’une liste communiquée à l’ULCC par le Directeur Général du CNE, ainsi que les recherches des agents de l’ULCC révèlent que 78 matériels ont été détournés « par des personnalités, notamment d’anciens parlementaires qui utilisent ces biens publics à des fins strictement privées et personnelles ».
L’ULCC fait ses recommandations
Après 25 ans de fonctionnement, le CNE ne dispose d’aucun document permettant de justifier son existence, et ne dispose pas d’une loi-cadre, déplore l’ULCC. De plus, l’institution n’est pas en mesure de contrôler l’ensemble des équipements dont elle a la gestion. Lors de l’audition du Directeur général du CNE, Monsieur Kineton Louis, ce dernier a reconnu qu’il ne reçoit pas régulièrement de rapports d’inventaire concernant les équipements mis à la disposition de l’État central dans le cadre du “Karavàn Chanjman”.
De plus, il s’est avéré très difficile pour ces institutions de retrouver la trace des matériels du CNE. Des noms qui se trouvent sur la liste acheminée par le CNE dans le cadre de l’enquête, l’ULCC a pu lire « Willy ainsi connu, député Claudy, magistrat Rachelle, magistrat Frenel ». « Des personnalités dépourvues de droit et de qualité » pour détenir ces engins, estime l’ULCC.
Sur le plan administratif, l’ULCC recommande l’audit administratif, financier et comptable du CNE par la CSC-CA, la mise en place d’un cadre légal régissant la mission et le fonctionnement du CNE, l’adoption d’un manuel de procédures administratives et financières en vue d’assainir la gestion des ressources de l’institution, la mise en place d’une commission au niveau du CNE, via le MTPTC, en vue d’un inventaire d’évaluation et de récupération des engins lourds entreposés dans les différents sites où sont entreposés les matériels et autres engins lourds de l’institution. Et sur le plan pénal, la mise en mouvement de l’action publique a été recommandée contre plusieurs individus dont les ex-sénateurs Willot Joseph et Francisco Delacruz, pour détournement de biens publics”, en attendant les prochains rapports d’enquête sur la gestion du programme « Karavàn Chanjman » au niveau du MTPTC et du SNGRS.
Clovesky André-Gérald PIERRE