Ces derniers jours, la position officielle du Président français, Emmanuel Macron, sur la question de la dette de l’indépendance d’Haïti a marqué les esprits. Cette prise de position, anodine, pour un officiel français a dominé un petit peu l’actualité, reléguant en arrière-plan d’autres dossiers.
Avant, on se capitalise sur la République dominicaine. Également sur l’événement regrettable survenu dans un club sur l’autre bord de l’île et qui a occasionné la mort de plusieurs personnes. La sympathie des dirigeants haïtiens au peuple dominicain avait surtout attiré la curiosité. Récemment, c’est le soutien de la communauté internationale au Conseil Présidentiel de Transition (CPT) qui a fait parler.
Aussi vrai que ces réalités ne sont pas les œuvres directes des hommes au pouvoir, ils en profitent largement, car c’est devenu, depuis des lustres, une coutume pour nos politiques d’utiliser la diversion comme stratégie de gouvernance. Un dossier enterre un autre. Les événements aussi désastreux qu’ils puissent être sont créés, provoqués à des fins politiques.
Pendant que plusieurs de ces hommes demeurent accrochés à la distraction, la crise haïtienne est en train de prendre une dimension qu’on pourrait même qualifier de non-retour. Autour des actes de banditisme, on se capitalise majoritairement sur les assassinats, les massacres, les viols, les personnes déplacées et, souvent, on ignore le côté social. On refuse de questionner l’avenir des enfants qui s’amenuise petit à petit, noyé par la volonté politique des uns et des autres. Le gouvernement et les partis politiques braquent sur eux les projecteurs. On dirait qu’ils sont les seules solutions. Qu’ils sont à la fois les tenants et les aboutissants de la crise.
Ça fait un bon bout de temps depuis que le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) peine à boucler convenablement une année scolaire. La cause était fréquemment liée à des grèves d’enseignants ou des manifestations antigouvernementales. Depuis maintenant quatre ans, c’est en raison des mouvements des gangs qui chassent les familles des zones qu’ils occupent et ferment, du coup, les écoles.
En janvier 2024, plusieurs organisations ont fait mention de 900 écoles fermées dans le département de l’Ouest à cause de l’insécurité. 10 mois après, le chiffre passe à plus de 3 000, arrachant le pain de l’instruction à plus de 400 mille enfants. Depuis, les gangs ont gagné en puissance et occupent davantage de territoire, dont la commune de Kenscoff, la ville de Mirebalais et de Saut-D’eau. Pour ce mois d’avril, en attendant les chiffres officiels, cette statistique a explosé. Une situation qui n’interpelle pas beaucoup, mais qui est en effet une bombe à retardement.
Cette situation a comme conséquence directe moins de gens formés, moins de professionnels qualifiés, car de plus en plus, le nombre espéré de candidats aux examens officiels est réduit. Le nombre de candidats au concours d’admission également. Pis est, la majorité des centres universitaires de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) ne fonctionnent plus.
Outre les enfants privés de l’école, d’autres facteurs en relation avec cette situation inquiètent. Selon l’UNICEF, moins de 50% des infrastructures de santé à Port-au-Prince sont pleinement opérationnelles. L’organisation a aussi informé qu’elle a traité pas moins de 4600 enfants de la malnutrition sévère parmi 129 000 nécessitant un besoin de traitement vital pour cette année. L’Unicef précise plus loin que plus d’un million d’enfants sont victimes d’insécurité alimentaire. Pour la fin de 2024, cet organisme a révélé que sur 700 000 personnes déplacées à cause de la terreur des gangs, 365 mille sont des enfants.
Fort de cette situation, la crise, vraisemblablement, est très minimisée par les autorités établies qui ne font rien pour essayer de rectifier le tir. La nation haïtienne est en train de s’estomper sous le regard complice des élites égocentriques du pays. Nous nous attardons à regarder la situation à la surface pendant qu’en profondeur, c’est presque fini pour nous. Il est temps que nous cessions de nous quereller pour éviter que la base de l’architecture sociale finisse par plonger totalement. Si nous massacrons en silence ce qui est l’avenir de ce pays, que peut-on espérer dans les années qui viennent ?
Daniel SÉVÈRE
danielsevere1984@gmail.com