En Haïti, le stress n’est plus seulement une réaction passagère face aux difficultés de la vie. Il est devenu une condition quotidienne qui pèse sur les épaules d’un peuple en quête de survie. Insécurité, vie chère, chômage, manque d’électricité et de services de base, tout contribue à installer un climat de peur et d’angoisse.
« On ne vit plus vraiment, on survit. Chaque jour est une bataille », confie Marie-Claire, mère de trois enfants à Carrefour.
Le quotidien d’un peuple épuisé
Partout, la tension se lit sur les visages. À Port-au-Prince comme dans les provinces, les Haïtiens vivent dans l’incertitude permanente. La peur des balles perdues et des enlèvements se mélange au désespoir de ne pas pouvoir subvenir aux besoins essentiels.
Selon Human Rights Watch, environ 5,5 millions de personnes en Haïti ont aujourd’hui besoin d’aide humanitaire, et près de 5,4 millions vivent en insécurité alimentaire aiguë, dont 2 millions en situation d’urgence. Trouver de quoi nourrir une famille est donc devenu un défi quotidien qui ronge les esprits et alourdit la charge mentale.
À cette réalité s’ajoutent des conditions de vie précaires : à peine 40 % de la population a accès à l’électricité, souvent de manière intermittente et coûteuse. Approximativement 55 % des Haïtiens n’ont pas accès à l’eau potable et seuls trois habitants sur dix bénéficient d’un système d’assainissement amélioré. Dans un tel contexte, chaque journée devient une lutte pour survivre.
Les ravages du stress sur la santé
Le stress prolongé entraîne des conséquences graves. Selon plusieurs médecins locaux, l’augmentation des cas d’hypertension, de troubles du sommeil et de dépression est alarmante.
« Quand le corps et l’esprit sont constamment sous tension, le système immunitaire s’affaiblit. Les gens deviennent plus vulnérables aux maladies physiques comme l’hypertension et aux troubles psychologiques comme l’anxiété », explique le docteur Jean-Bernard Louis, cardiologue au Cap-Haïtien.
Cette pression invisible se traduit par une fatigue extrême, des palpitations et un état d’alerte permanent. Pour beaucoup, le stress est devenu un compagnon quotidien, rongeant la santé et réduisant l’espérance de vie.
Une jeunesse sans horizon
Pour les jeunes, l’angoisse prend une autre dimension : celle de l’avenir qui semble inexistant.
« Je me lève le matin sans savoir pourquoi je continue mes études. Même si je finis l’université, qu’est-ce que je vais faire après ? Ici, il n’y a rien », confie Caleb Sterling, étudiant en psychologie.
Selon un rapport de la Banque mondiale, la violence et l’instabilité ont déjà forcé plus de 702 000 Haïtiens à fuir leur domicile en 2024. Beaucoup de ces déplacés sont des jeunes qui se retrouvent déscolarisés, sans travail et sans perspective. Dans les quartiers défavorisés, certains tombent dans la drogue, d’autres rejoignent des groupes armés, faute d’alternative. Pour beaucoup, le rêve d’émigrer reste la seule lueur d’espoir.
Une société sous pression
Le stress n’est pas seulement individuel, il est devenu collectif. Dans les transports, les marchés, les écoles, la tension est palpable. Les disputes éclatent plus facilement, la méfiance domine les relations et la peur s’installe comme une norme.
« Quand une société vit dans un climat de peur et d’incertitude, les comportements deviennent plus durs, plus brusques », explique la psychologue Fabienne Joseph. « Le stress façonne alors une culture de méfiance et de survie».
Dans un pays où plus de la moitié de la population n’a même pas accès à l’eau potable et où des centaines de milliers de familles vivent déplacées, la fatigue psychologique se transmet de génération en génération.
Quelles solutions possibles ?
Malgré les obstacles, certaines pistes peuvent aider à réduire cette pression :
Renforcer l’accompagnement psychologique : la santé mentale doit être prise au sérieux, avec des campagnes de sensibilisation et des centres de soutien accessibles.
Créer des opportunités pour les jeunes : l’emploi, la formation et les activités culturelles sont essentiels pour redonner de l’espoir à une génération menacée par le découragement.
Améliorer les conditions de vie de base : l’accès à l’eau, à l’électricité et à l’assainissement doit être une priorité pour réduire le stress collectif.
Lutter contre l’insécurité : tant que la peur dominera les rues, aucun apaisement durable n’est possible.
Conclusion
Haïti traverse une crise qui ne se mesure pas seulement en chiffres économiques ou politiques : c’est une crise de nerfs. Le stress est devenu un mal silencieux, une maladie collective qui affaiblit la société.
Pourtant, dans ce décor sombre, la résilience haïtienne persiste. Dans les chants d’église, dans les gestes de solidarité entre voisins, dans le sourire des enfants malgré tout, subsiste une lumière fragile. Mais cette lumière risque de s’éteindre si rien n’est fait. Une nation qui vit sous tension ne peut bâtir son avenir. Le cri du peuple haïtien est clair : il est temps de desserrer l’étau du stress et de redonner à chacun l’espoir de respirer librement.
Olry Dubois, agroéconomiste
olrydubois@gmail.com