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La sécurité en Haïti à l’heure du COVID-19

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Nous vivons des temps troubles. L’annonce officielle de l’arrivée de la pandémie deCOVID-19 en Haïti, le jeudi 19 mars 2020, a marqué une nouvelle étape dans une longue période d’insécurité prononcée. Plusieurs seront d’accord pour faire remonter ladite période aux lugubres massacres de La Saline survenus entre le 13 et le 17 novembre 2018. Ces massacres se sont produits dans le cours même d’une escalade des tensions populaires autour de la mauvaise gestion des fonds Petro Caribe. Ce mouvement social dénonçant la corruption est parfois réduit à tort au PetroCaribeChallenge qui a démarré le 14 août 2018, un mois après les « émeutes » des 6 et 7 juillet 2018 (elles-mêmes une réaction à une hausse brutale du prix de l’essence décidée par le gouvernement d’alors). Ainsi, selon nous, c’est vraiment au mois de novembre, avec les massacres de La Saline, qu’un cap décisif a été dépassé, qu’une ligne rouge a été franchie. Depuis, c’est dans un contexte marqué par l’influence croissante des gangs armés que se sont succédé les épisodes de peyi lòk 1 en février 2019 et peyi lòk 2 de septembre à novembre 2019. Les peyi lòk furent entrecoupés du stress des kidnapping, dont la recrudescence en Haïti remonte aux premiers signalements de fin février 2019 (suivis plus tard, par les déclarations à peine embarassées d’un ex-sénateur, Gracia Delva, sur sa présumée implication dans ces crimes).

Au moment d’écrire ces lignes, le phénomène des kidnapping continue d’inquiéter, l’avènement de l’épidémie ne semble rien y changer. Tel est donc le contexte très lourd dans lequel arrive la COVID-19 en Haïti. Pourtant, à l’heure où l’accablante charge mentale quotidienne des haïtiens se redirige vers le nouveau coronavirus qui menace leur sécurité sanitaire, une discussion plus large sur la sécurité en Haïti fait encore défaut. Si l’insécurité en Haïti fait souvent la une des médias et alimente moult analyses, un réel débat sur ce que serait ou ce que devrait être une vision haïtienne de la sécurité, autrement que par la négation, est encore absente. Que serait une vie sécuritaire en Haïti? La résorption tant souhaitée de l’épidémie marquera-t-elle pour autant un retour à la sécurité? Même en l’absence de kidnapping, de groupes armés qui sévissent dans les villes et les banlieues, atteindra-t-on la sécurité? Est-il possible de libérer la sécurité en Haïti des définitions en négatif habituelles en vue d’en adopter une vision claire? En quoi cette discussion est-elle nécessaire dans le contexte urgent de la COVID-19? Nous allons montrer ici que la vision de la sécurité en Haïti reste traditionnelle, inadaptée et incohérente. Nous estimons qu’un virage par la sécurité humaine comme approche est souhaitable et peut faciliter une meilleure gestion de la crise sanitaire actuelle. 

La sécurité en Haïti: une vision dépassée

La question de la sécurité en Haïti semble reposer depuis au moins 1987 sur le paradigme dit de la sécurité nationale. Cette vieille approche met en avant le rôle de l’État dans la protection à la fois contre les menaces intérieures et extérieures. L’accent est en général mis sur la paix, la défense, la protection des frontières, la lutte contre la criminalité. Chez nous, la rhétorique de la sécurité nationale repose sur une conception nostalgique de notre grandeur passée et se nourrit sans cesse de ce passé exalté. On le voit chaque fois que le débat sur la nécessité ou l’urgence de forces armées est relancé. Que ce soit dans le livre blanc sur la sécurité publié en 2015 sous l’administration Martelly-Paul ou le Plan Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH) de 2012, à travers son quatrième « Grand chantier », la sécurité est pensée seulement comme protection du territoire et lutte contre la violence et la criminalité. La reviviscence du Ministère de la Défense en 2011, la réhabilitation controversée des Forces Armées d’Haïti (FADH) ou même l’éternelle rhétorique de la modernisation et de la professionnalisation de la Police Nationale d’Haïti (créée en 1995 sur les cendres de l’armée) participent de la même vision limitative de la sécurité.

La vision actuelle de la sécurité en Haïti pose en effet plusieurs problèmes: elle est floue, superficielle et inadaptée aux défis à relever. Floue, parce qu’elle n’a pas les moyens de ses objectifs. On parle bien d’un pays où, en pleine crise de COVID-19, 22% des sections communales n’ont toujours pas accès à un centre de santé et où les grèves dans les hôpitaux publics continuent et s’étirent de façon inquiétante. Superficielle, car elle n’aborde pas les causes profondes des problèmes qu’elle entend résoudre. Et c’est sans doute là le point le plus important. La sécurité est multidimensionnelle. Hurbon Laënnec, un sociologue et écrivain haïtien estimait que la violence qui sévit en Haïti « a un caractère naturel étant donné que la pauvreté, la misère et l’absence d’un système éducatif sont les marques principales de la société ».  Hurbon avance que la population a même intériorisé la violence comme presque son mode d’être ou comme partie de son identité. Sans forcément partager le pessimisme de cette analyse, nous reconnaissons que le commentaire de Monsieur Hurbon a le mérite de mettre en relation un ensemble de facteurs qui entretiennent cette violence en Haïti. Enfin, la vision actuelle de la sécurité en Haïti est inadaptée à la réalité haïtienne car peu originale et sans effort réel de prendre en compte la façon dont les problèmes adressés sont interconnectés. Il est difficile de parler de sécurité quand presque tous les voyants sont au rouge en matière d’alimentation, de santé ou d’économie, pour ne citer que ces éléments.

Il est donc permis de dire qu’on ne dispose pour l’instant d’aucune vraie vision de la sécurité en Haïti autre qu’une pâle copie de la traditionnelle rhétorique de la sécurité nationale, alors même que depuis les années 90, les Nations Unies invitent à un déplacement vers une vision plus large. Avant d’en arriver aux limites théoriques et d’envisager les options de rechange, il est possible d’identifier déjà plusieurs faiblesses de l’approche de sécurité nationale mises au jour par notre gestion actuelle de la COVID-19.

La maladie à coronavirus (COVID-19) apparue en décembre 2019 et causée par le virus SARS-CoV-2 a très vite été reconnue comme pandémie le mercredi 11 mars 2020 par l’organisation mondiale de la santé (OMS). Une pandémie, au sens de l’OMS, est une nouvelle maladie qui se propage mondialement. Les plus récentes pandémies qui l’ont précédée sont la grippe espagnole de 1918, la grippe asiatique de 1957, la grippe de Hong Kong de 1968, le VIH-sida (reconnu comme pandémie dès les années 80) et la grippe A (H1N1) de 2009. En l’espace de quelques mois, la COVID-19 a contraint les États de nombreux pays à adopter des mesures aussi drastiques que le confinement partiel ou général, la mise en veille de l’économie, la fermeture des frontières afin de limiter la propagation de la maladie et d’éviter un engorgement de leur réseau de santé. L’expression à l’ordre du jour est la sécurité sanitaire. Cependant, dans beaucoup de pays, les compétences sollicitées dépassent celles des professionnels de la santé et impliquent une mise à contribution des forces de police, voire même des forces armées pour veiller à l’application des mesures adoptées et à la fourniture de services publics.  Dans les pays économiquement avancés, la question de la sécurité économique des nombreux travailleurs désormais au chômage est aussi apparue comme une question pressante. En réalité, la COVID-19 est l’illustration même d’une situation où le concept de sécurité s’invite dans des sphères plurielles qui ne lui sont pas traditionnellement ou intuitivement associées. Sa gestion nécessite non seulement une vision de la sécurité qui embrasse toutes ces sphères mais aussi un cadre conceptuel qui rend possible la synergie et la fertilisation croisée des efforts pour garantir la sécurité dans chacune de ces sphères.

Il va sans dire que la vision nationale de la sécurité, simpliste et compartimentale, ne pouvait que nuire à une bonne préparation et une réponse suffisamment adaptée à la crise sanitaire actuelle. Le Plan de préparation et de réponse du MSPP au Coronavirus, publié le mardi 10 mars 2020 par le Ministère de la Santé Publique et de la Population d’Haïti (MSPP), malgré l’effort de planification louable consenti (qui justifie d’ailleurs notre volonté d’en offrir seulement une critique constructive), respire les limites liées à un défaut de vision suffisamment large de la sécurité en Haïti. Ce document de 57 pages a le mérite d’anticiper, pour chaque phase d’évolution de l’épidémie, un ensemble précis d’activités et de stratégies d’intervention pour lequel un budget est proposé. Toutefois, le document souffre d’un manque criard de prise en compte de la réalité socio-économique du pays et d’un véritable dialogue intersectoriel. Certes, un rôle actif de quelques autres ministères est prévu. Cependant, ce rôle n’est pas vraiment défini et les mécanismes d’« articulation intra et intersectorielle » restent flous. C’est pourtant ce qui pourrait constituer le nœud de l’affaire, après la question des équipements et du personnel de santé. Une bonne partie de la lutte contre la COVID-19 reposera sur le comportement des citoyens et des citoyennes. Et ce comportement lui-même est le lieu de croisement d’un ensemble de contraintes, de conditions et de structures préexistant à l’intrusion de la COVID-19 en Haïti et justifiant la mobilisation de tous les ministères et de tous les secteurs de la vie nationale. 

Autre constat: les autres ministères n’ont publié aucun plan sectoriel de préparation et de cogestion de la crise sous le leadership du MSPP. De plus lors de l’annonce officielle des premiers cas d’infection au coronavirus, le Président s’est contenté d’inviter la population à limiter ses déplacements sans annoncer les dispositions concrètes prises par les différents ministères pour compenser et accompagner la population au-delà de la question sanitaire (besoins alimentaires, perte de revenus, etc.). Plus tard, dans le même contexte de caducité du parlement qui prévaut depuis le 13 janvier 2020, unarrêté du 19 mars déclarant l’état d’urgence sanitaire a été publié. Cet arrêté échoue à donner au gouvernement les moyens de sa politique (notamment, aucune sanction n’est prévue, aucune incitation ou soutien en vue) et confirme l’absence d’une approche d’ensemble des enjeux de la distanciation sociale et du confinement volontaire dans une économie déjà à genou et une culture basée sur la proximité sociale.

Ce qui est rendu évident, c’est bien l’absence d’une vision panoramique de la sécurité qui dépasse l’urgence sanitaire du moment et les préoccupations limitatives englobées dans le paradigme de sécurité nationale en gestation en Haïti. La conséquence est un échec cuisant des mesures de distanciation sociale en Haïti alors qu’à ce jour au moins 21 cas de malades de la COVID-19 ont déjà été confirmés. Le transport en commun, dont la promiscuité n’est plus à démontrer, va bon train. Le gouvernement haïtien avait pourtant eu amplement le temps de préparer une réponse multisectorielle adaptée qui prenne en compte les interconnexions entre la sécurité sanitaire et d’autres dimensions de la sécurité (comme la sécurité alimentaire ou la sécurité économique). Malheureusement, encore aujourd’hui, une telle réponse brille par son absence.

L’approche de la sécurité que nous défendons ici était difficile à envisager pour cadre pour affronter la crise actuelle parce que le référentiel de sécurité publique dominant en Haïti ne l’autorisait pas. Ce référentiel reste encore captif d’un certain nationalisme qui veut nous faire retrouver notre gloire d’antan, idéalisée, afin de lutter contre des ennemis invisibles. Quitte à lutter contre de tels ennemis, mieux vaut s’armer du cadre conceptuel qui maximise nos chances de réussir. Il nous faut donc rechercher un paradigme de sécurité pertinent pour le contexte haïtien en général et la lutte contre la COVID-19 en particulier. L’approche par la sécurité humaine est ce que nous suggérons.

Recadrer les discussions autour de la sécurité en Haïti à l’heure de la COVID-19: les promesses d’une démarche de sécurité humaine

Au début des années 90, la fin de la guerre froide, la montée de la mondialisation et du discours axé sur les droits humains ont fait le lit à une transition de la sécurité nationale (ou sécurité traditionnelle) à la sécurité humaine. Cette transition fut initialement portée par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), qui a popularisé le concept de sécurité humaine comme paradigme en 1994 dans son rapport annuel sur le développement humain. Cette nouvelle approche a permis d’inclure dans la sécurité la protection de la personne contre d’autres types de menaces. Pour citer le rapport du PNUD, on « peut lui reconnaître deux aspects principaux : d’une part, la protection contre les menaces chroniques, telles que la famine, la maladie et la répression et, d’autre part, la protection contre tout événement brutal susceptible de perturber la vie quotidienne ou de porter préjudice à son organisation dans les foyers, sur le lieu de travail ou au sein de la communauté. Ce type de menace existe indépendamment du niveau de revenu et de développement d’un pays. » Les pandémies sont un exemple de situation où la menace provient de la nature et frappe les pays indépendamment de leur position sur l’échiquier mondial.

La sécurité humaine englobe finalement, selon le PNUD, la sécurité économique, la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire, la sécurité de l’environnement, la sécurité personnelle, la sécurité de la communauté et la sécurité politique. Dès le début, le PNUD insistait sur le caractère interdépendant des dimensions de la sécurité humaine. Le passage à cette approche exige, selon le PNUD, de renoncer à mettre l’accent uniquement sur la sécurité territoriale et de « passer d’une sécurité assurée par les armes à une sécurité garantie par le développement humain durable ». La sécurité humaine est un concept qui a été utilisé de façon éclairante pour approcher question de la sécurité en contexte de pauvreté, d’épidémies (sida, tuberculose, paludisme, etc.) et de conflits armés qui minent beaucoup de pays en développement.

La sécurité humaine permet aussi d’être mieux outillé (là où la sécurité nationale échoue à le faire) à affronter ce que Kaldor et Marcoux appellent les « nouvelles guerres », dans leur article de 2006, La sécurité humaine: un concept pertinent?. Ces « nouvelles guerres » renvoient à ces conflits contemporains qui combinent guerres et violations des droits humains, ces violations n’étant plus des « dommages collatéraux » mais la méthode centrale du conflit violent. Dans ce nouveau type de conflit, « les parties préfèrent éviter le combat et contrôler les territoires par la terreur et l’usage délibéré de la violence contre les civils »; les acteurs en présence sont ici « des réseaux d’acteurs étatiques et non étatiques, des unités dissidentes des forces de sécurité, des groupes paramilitaires, des chefs de guerre, des gangs, des mercenaires, etc. ».

Une autre façon très intéressante d’introduire le concept de sécurité humaine est par la mise en relation d’une vie à l’abri du besoin (« freedom from want ») avec une vie à l’abri de la peur (« freedom from fear »). À l’origine, les sources d’insécurité étaient situées, dans l’approche du PNUD, à la fois dans l’impossibilité de satisfaire ses besoins (en raison par exemple de la pauvreté) et dans la peur (principalement liée à la violence).

Malgré la transition prônée par le PNUD et la mise en pratique de cette innovation dans d’autres pays, Haïti est restée toujours dans une approche traditionnelle de la sécurité. Pourtant les nombreux problèmes auxquels le pays fait face sur tous les fronts donnent à penser que l’approche par la sécurité humaine est mieux adaptée car elle permet de penser ces interactions complexes entre les sphères de la vie nationale, notamment en contexte d’épidémie.

Ainsi, sur le plan économique, suivant une étude de la Banque mondiale publiée en 2019 : plus de 6 millions d’Haïtiens vivent sous le seuil de pauvreté avec moins de 2,41 $ par jour, et plus de 2,5 millions sous le seuil de la pauvreté extrême (1,23 $ par jour). Le respect des consignes officielles pour lutter contre la COVID-19 se révèle particulièrement problématique pour les ménages à faibles revenus, qui sont dans la difficulté d’engager les dépenses quotidiennes pour leur survie. Les conséquences en matière d’insécurité alimentaire (qui contribue à son tour à l’insécurité économique dans une sorte de cercle vicieux) sont immédiates: en novembre 2019, le porte-parole du Programme alimentaire mondial rappelait que plus d’un haïtien sur trois était en insécurité alimentaire et avait besoin d’une aide alimentaire urgente. Cette insécurité économique n’est pas sans lien non plus avec la sécurité sanitaire. Selon la Banque Mondiale, 63% des ménages du quintile de richesse le plus faible sont dans l’incapacité de consulter un professionnel de santé, faute de moyens. En même temps, le climat de violence et d’insécurité physique qui règne depuis quelques temps en Haïti limite les possibilités dacheminer l’aide humanitaire. On voit donc clairement qu’une insécurité en alimente une autre et ignorer ces interactions conduit à une vision tronquée de la réalité.

Nous terminons cette analyse en proposant certaines pistes ou leviers d’actions qu’une approche de sécurité humaine peut fournir pour affronter la crise actuelle et celles d’après. Quels problèmes cette approche (sans être une panacée) peut dès maintenant contribuer de résoudre et avec quels outils?

Selon Kaldor et Marcoux, la sécurité humaine repose sur un certain nombre de principes : la primauté des droits humains, une autorité politique légitime, le multilatéralisme, une approche participative et, enfin, une logique régionale. Illustrons ces principes en les appliquant, de façon pratique, à l’analyse du contexte actuel en Haïti.

La prise en compte de la préséance des droits humains en tout temps (même en temps de guerre) invite à ne pas négliger certaines violations des droits de la personne même pendant la crise sanitaire actuelle. Il y a certes des priorités en ce moment, cela n’autorise pas pour autant un laisser-aller dans le respect des droits de la personne. Notamment, le gouvernement devrait envoyer un message clair sur la non-tolérance de toute atteinte à l’intégrité physique des concitoyens et concitoyennes tout en lançant un appel à la solidarité (à distance, dans la mesure du possible). Plusieurs incidents, alimentés par la peur, ont été rapportés où des citoyens ont tenté d’agresser des lieux ou des personnes pour empêcher la propagation du virus. Une autre considération amenée par la prise en compte des droits humains est la lutte contre toute discrimination ou abus basés sur le genre ou le statut social des personnes. Les droits des personnes, en particulier ceux des groupes les plus vulnérables (femmes, enfants, personnes avec un handicap, etc.) ne doivent pas reculer même en période de crise. Les ressources de notre gouvernement sont certes limitées, mais certaines initiatives, même symboliques (comme la mise en place d’une ligne téléphonique spéciale) pour dénoncer les abus, peuvent avoir des effets insoupçonnés.

Quant au multilatéralisme, il implique que les problèmes à gérer dépassent désormais les compétences d’un seul État et traversent les frontières, d’où la nécessité de maintenir un dialogue dans un rapport horizontal avec d’autres pays susceptibles de coopérer avec nous. Quand on évoque ces relations, on tend à penser immédiatement à un rapport Nord-Sud. Sans nécessairement rejeter ces « coopérations », il y beaucoup à apprendre et à échanger avec nos voisins caribéens ainsi que certains pays d’Afrique. Le gouvernement devrait sérieusement envisager dès maintenant le renforcement de telles relations en misant en premier lieu sur les réseaux existants (comme la CARICOM) ou sur les pays amis de longue date et en mettant en avant l’intérêt qu’il y a pour toute la région caribéenne et le continent américain à se serrer les coudes pour garantir la sécurité humaine partout (logique régionale de la sécurité humaine). A l’heure où les géants de ce monde se livrent à une guerre sans merci pour le matériel médical, (même la Barbade en a récemment fait les frais), il nous faut plus que jamais miser sur la solidarité Sud-Sud, d’autant que jusqu’ici plusieurs pays du Sud semblent relativement moins affectés par la COVID-19. C’est en ces temps de fermeture des frontières qu’il faut justement garder des relations diplomatiques saines avec d’autres pays.

L’approche participative (Bottom-up)n’est pas non plus à négliger, même si elle a le défaut de ralentir les prises de décision. Certes, elle aurait dû être privilégiée dès l’élaboration du Plan de préparation et de réponse du MSPP au coronavirus. À ce stade, ce qui est possible c’est la délégation de certaines responsabilités (notamment la nécessaire campagne de sensibilisation à poursuivre en tout temps avec une bonne stratégie de communication). Ainsi, un appel à la communauté étudiante, aux personnalités publiques (chanteurs, écrivains, etc.) et aux leaders locaux à participer bénévolement à cette campagne pourrait rencontrer du succès si les efforts sont bien canalisés.

Le dernier principe (non des moindres) relatif à la sécurité humaine renvoie à la question de la légitimité de l’autorité en place. Cette question est cruciale et peut très bien influencer la réception que la population accordera aux instructions et aux informations officielles relatives à la COVID-19. Le président n’inspire pas confiance et cela risque d’entacher le travail de son équipe. Objectivement, un président qui en vient à diriger par décret ne saurait inspirer confiance. C’est sa légitimité qui du même coup est sévèrement remise en question car notre contrat social (qui suppose l’exercice des trois pouvoirs) est rompu. A priori, c’est un problème sans issue, car aucune élection n’est envisageable dans la crise actuelle. Cependant, il y a un signal de bonne foi que le Président peut et doit envoyer en proposant une date plus ou moins réaliste pour la tenue des élections parlementaires. La crise sanitaire actuelle ne devrait pas servir de prétexte pour taire la discussion sur les prochaines élections. Elle doit continuer, parce que déjà l’issue de la crise actuelle en dépend également. Sans légitimité, toute action gouvernementale, même motivée par les meilleures intentions et la plus haute expertise, risque d’être contreproductive.

Notre dernière proposition concerne les dimensions de la sécurité humaine (sécurité économique, sécurité alimentaire, sécurité sanitaire, sécurité de l’environnement, sécurité personnelle, sécurité de la communauté et sécurité politique). La reconnaissance de leur interdépendance implique que tous les ministères ont un rôle à jouer. Il est regrettable qu’à ce jour on ignore encore ce que les ministères listés dans le Plan de réponse du MSPP au coronavirus prévoient comme stratégies spécifiques pour contrer l’épidémie (sous le leadership du MSPP) et accompagner la population ainsi que les groupes les plus marginalisés. Les suggestions à ce niveau ne peuvent rester que sommaires. De véritables discussions, au-delà de la seule question sanitaire, doivent avoir lieu au sein et entre les ministères pour établir un plan d’action intersectoriel commun (idéalement) ou plusieurs plans d’action sectoriels spécifiques pour s’assurer que la sécurité de la population ne se détériore encore plus qu’avant l’épidémie. Les experts de la société civile, dans tous les domaines pertinents, peuvent aussi être sollicités pour donner leur avis et apporter des idées fraîches aux ministères. Ils sont aussi encouragés à intervenir dans les médias pour apporter des critiques constructives susceptibles de corriger les dérives et de faire avancer les choses.

La COVID-19 a de fortes chances de devenir une épreuve très dure pour notre société déjà fragilisée. C’est ensemble, dans un esprit de konbit national que nous pouvons, que nous allons la surmonter et minimiser les dégâts. En ces temps difficiles, colmatons nos brèches et renforçons nos points forts. Nous avons beaucoup à perdre à ne pas le faire, et tout à gagner à le faire. Le choix à faire va de soi.      

Ginette Jules,

M.A en science politique, Université Laval

ginette.tanis-jules.1@ulaval.ca

Stevens Azima,

Candidat au doctorat en agroéconomie, Université Laval

stevens.azima.1@ulaval.ca

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