Lettre adressée au corps diplomatique par le ministre des Affaires étrangères : une décision légitime et justifiée
9 min readLa lettre adressée par le ministre haïtien des Affaires étrangères et des Cultes, Dr Claude Joseph, au corps diplomatique en date du 31 août 2020, ne cesse de défrayer la chronique. Jamais une correspondance officielle n’a suscité autant de réactions des différents secteurs de la vie nationale notamment des structures organisées, des leaders d’opinion. En effet, son contenu fait la Une dans presque tous les médias traditionnels du pays, de la diaspora et crée aussi le buzz sur les réseaux sociaux. Comment expliquer une telle retombée médiatique ? Pourquoi une correspondance adressée au corps diplomatique suscite autant de réactions dans un sens comme dans un autre ? La réponse la plus simple serait de dire tout simplement que le contenu de cette correspondance traduit l’expression d’une préoccupation nationale. Mais avant tout, faisons certaines considérations historiques.
En Haïti, depuis plus de 200 ans, l’État est pris en otage par des intérêts particuliers qui sont aux antipodes de l’intérêt général : depuis l’assassinat de l’empereur Jacques 1er, en passant par l’exécution du président Salnave, sans oublier la mort subite du président Cincinnatus Leconte, lors de l’explosion du palais national le 8 août 1912, jusqu’à l’épisode des 4 présidents éphémères, aboutissant à l’exécution macabre du président Villebrun Guillaume Sam, le 28 juillet 1915. Au regard de ces épisodes historiques, il est évident que certains secteurs, prospérant dans l’ombre, avançant à couvert, ont toujours su utiliser la violence en vue de protéger leurs intérêts au détriment de la nation haïtienne. Cette pratique s’est perpétuée même après la chute des Duvalier. En dépit de l’avènement de la démocratie en 1986, à chaque fois que les échéances électorales arrivent, à chaque fois qu’il faut constituer un conseil électoral, à chaque fois qu’il faut rassembler la nation pour renouveler le personnel politique, on assiste régulièrement à l’explosion d’actes de violence d’une rare barbarie qui continuent d’endeuiller les familles haïtiennes. C’est une violence politique, préélectorale, meurtrière, fabriquée par des agents, dont les monopoles dans certains secteurs de l’économie avec des contrats exclusifs, abusifs et déficitaires pour l’État haïtien. Donc, une fois que ces privilèges ont été cassés ou revus par le gouvernement, il faudra le dénoncer et s’y attaquer envers et contre tous. C’est suite à ce constat lucide, brillant et sans concession que le ministre des Affaires étrangères a dressé sa lettre au corps diplomatique en date du 31 août 2020.
Pourquoi cette correspondance du ministre Claude Joseph a suscité autant d’intérêts ? En se basant sur la théorie du traitement de l’information ou le gatekeeping (Kurt Lewin, 1947), cette retombée médiatique peut être expliquée notamment par des critères de notoriété. Car, il s’agit d’un ministre des affaires étrangères qui représente une passerelle entre le pays et le monde extérieur, notamment le corps diplomatique. Si le contenu de sa correspondance en soi ne constitue pas des faits nouveaux comme nous le verrons, mais, tenant compte du contexte de son énonciation, sa médiatisation peut aussi être expliquée par des critères d’actualité et de son importance pour le public haïtien. Nous sommes dans un contexte dominé par une recrudescence de l’insécurité qui, selon le chancelier haïtien, est attribuable à un secteur de la classe politique, d’une part. Ce dernier ne cesse de réclamer la démission du président de la République au profit d’un gouvernement transitoire. Et, d’autre part, elle est alimentée par une frange du secteur privé des affaires qui serait prête à tout pour maintenir ses privilèges au détriment du peuple haïtien. Le gatekeeping qui est un contrôle d’accès ou d’un processus de filtrage des informations par les médias met en évidence le rôle des journalistes haïtiens dans la sélection et le traitement du contenu de cette correspondance. Il se passe en Haïti comme dans le monde un nombre incalculable d’événements. Néanmoins, en fonction des contraintes spatiotemporelles, les médias sont appelés à faire des choix d’information. Si cette correspondance du MAE a pu acquérir un statut de « nouvelle » et suscité autant de débats publics, c’est qu’elle répond à certains critères (des news values) que les journalistes appliquent de façon intuitive dans leur pratique habituelle de travail.
Les propos du ministre des Affaires étrangères sont-ils des faits nouveaux ? Les faits évoqués par le MAE sont loin d’être des nouvelles en tant que telles. Car, l’organisation des élections en Haïti a toujours été un exercice très difficile pour les autorités du pouvoir depuis la chute des Duvalier comme indiqué précédemment. Le ministre des Affaires étrangères n’a rien inventé en ce sens. C’est une constante dans la réalité politique haïtienne. Il est peut-être celui qui a le courage de mettre le doit directement là où ça fait mal. Car il n’est un secret pour personne que le pays est depuis toujours pris en otage par des groupes d’intérêts et qui sont prêts à tout pour maintenir leurs privilèges au détriment de ceux du peuple haïtien. Le secteur pétrolier auquel fait référence le ministre des Affaires étrangères n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Il n’est aussi un secret pour personne que l’insécurité a toujours constitué une carte privilégiée de certains secteurs du pays, notamment politique, qui s’opposent à la tenue des élections dans le pays au profit d’un gouvernement de transition. « La corrélation entre la montée de l’insécurité et la volonté de faire obstacle aux joutes électorales par les contempteurs de la démocratie représentative par les urnes n’est plus à démontrer », a souligné le chancelier haïtien.
Dans sa correspondance, le ministre des Affaires étrangères ne fait qu’attirer l’attention des membres du corps diplomatique et des amis d’Haïti sur cet état de fait et de solliciter leur support pour « accompagner le gouvernement et le peuple haïtiens en vue de surmonter les obstacles ». Ce qui ne constitue pas une anomalie dans le cadre des relations interétatiques. Tous les secteurs de la vie nationale se sont mis d’accord sur la nécessité d’une nouvelle constitution et sur l’importance d’organiser des élections dans le pays. Il y a plus ou moins un consensus national sur le fait que la constitution actuelle est source de tensions et d’instabilité politique, notamment en ce qui concerne la formation d’un conseil électoral et du choix d’un nouveau premier ministre. Si une nouvelle constitution ne peut pas en elle-même résoudre tous les problèmes du pays, elle pourra au moins apaiser les tensions. Certains des critiques prétendent que le président de la République et les membres de son gouvernement agissent comme des électrons libres sans aucune coordination dans leurs actions. Or, les différentes déclarations notamment du président Jovenel Moise, du premier ministre Joseph Joute et du ministre des Affaires étrangères montrent que le violon des autorités de l’État est bien accordé, notamment sur la nécessité de combattre l’insécurité dans le pays sous toutes ses formes et de conserver les acquis démocratiques par la réalisation des élections dans le pays.
En s’adressant au corps diplomatique, le ministre des Affaires étrangères sort-il de ses prérogatives ? Selon la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, entrée en vigueur le 4 avril 1964, les relations bilatérales entre l’État accréditant qui désigne le pays d’origine des diplomates et l’État accréditaire (le pays dans lequel se trouve la mission diplomatique), les relations entre les deux États doivent s’inscrire dans le cadre d’un dialogue continu et permanent. Dr Claude est donc le chef de la diplomatie haïtienne, chargé d’établir et de maintenir des relations avec le monde extérieur, particulièrement le corps diplomatique et consulaire. Il est appelé à mettre en œuvre la politique étrangère du Chef de l’État, Jovenel Moise. Tenant compte de l’article 3 de la convention de Genève, le travail des différents représentants diplomatiques haïtiens à l’étranger s’inscrit dans cette même logique de la mise en œuvre de la politique étrangère d’Haïti. C’est aussi le cas pour les diplomates étrangers accrédités en Haïti. Car, cet article 3 définit clairement la mission d’une représentation diplomatique dans un état accréditaire à travers des termes de référence bien spécifiques.
Le premier alinéa de cet article précise que les membres du corps diplomatique doivent « représenter l’État accréditant auprès de l’État accréditaire ». Et, selon l’alinéa 2, le corps diplomatique doit « protéger dans l’État accréditaire les intérêts de l’État accréditant et de ses ressortissants, dans les limites admises par le droit international ». Selon l’alinéa 3, les diplomates ont aussi pour mission de « négocier avec le gouvernement de l’État accréditaire ». Nous pouvons considérer la correspondance du chancelier haïtien « à l’intention des représentants du corps diplomatique en Haïti et des pays amis et institutions Partenaires de la démocratie haïtienne » comme un processus normal visant à les informer de la situation du pays.
Compte tenu ce texte de références et les fonctions du chancelier haïtien, il est tout à fait dans les prérogatives de prendre une telle initiative. Les diplomates étrangers accrédités en Haïti doivent être informés des problématiques et des enjeux politiques, économiques, politiques, scientifiques et culturels qui animent le débat public dans le pays. Par ailleurs, selon l’alinéa 4 de cet article, les représentants diplomatiques accrédités en Haïti peuvent aussi « s’informer par tous les moyens licites des conditions et de l’évolution des événements dans l’État accréditaire et faire un rapport à ce sujet au gouvernement de l’État accréditant » dans les limites des instruments juridiques internationaux régissant les rapports entre les sujets de droit international. Selon l’alinéa 5 du même article, les représentants diplomatiques doivent « promouvoir des relations amicales et développer les relations économiques, culturelles et scientifiques entre l’État accréditant et l’État accréditaire ».
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la correspondance que la Chancellerie haïtienne, à travers le ministre des Affaires étrangères et des Cultes, avait adressée aux représentants du corps diplomatique en Haïti, des pays amis et institutions partenaires de la démocratie haïtienne. Par ailleurs, contrairement à certains propos rapportés dans le débat public, la correspondance du ministre Claude Joseph au personnel diplomatique de la République d’Haïti, en ce qui a trait notamment au climat d’insécurité entretenu par certains secteurs, relève aussi de ses prérogatives et de ses responsabilités. Dans les systèmes démocratiques modernes, l’État dispose du monopole de la violence légitime. Il s’agit d’une violence à la fois dissuasive et réparatrice, qui permet de maintenir un certain équilibre et une bonne cohésion dans le corps social. Ainsi, en démocratie, la prise du pouvoir passe indubitablement par les élections. Par conséquent, les conflits politiques et idéologiques doivent être nécessairement traités par le dialogue, la négociation et la concertation. C’est d’ailleurs ce que préconise toujours le pouvoir en place.
Considérant les réactions de certains acteurs politiques et économiques, ainsi que les prises de position de certains citoyens dans l’espace public, il est évident que la correspondance du ministre Claude Joseph a touché un point sensible dans le débat public concernant la place de l’utilisation récurrente de la violence dans la politique haïtienne. Toutefois, quoi qu’on puisse dire, ce déferlement des réactions témoigne de l’intérêt important du public pour les enjeux soulevés par le chancelier haïtien. Cette affluence de réactions ou de points de vue divergents à propos de la correspondance du ministre des Affaires étrangères montre aussi que la liberté d’expression et le pluralisme d’opinion restent et demeurent des acquis démocratiques que les autorités actuelles du pays souhaitent consolider par la tenue des élections. Pour terminer, il est important de souligner que le Dr Claude Joseph est un ministre qui, par son dynamisme, son esprit novateur et d’ouverture, a déjà jeté les bases d’un changement véritable au sein de la diplomatie haïtienne.
Fritz Laventure
Bon pito se ou kite ekri let la pito….menm defann ti claude pat ka defann sa Weibert ekri pou li a…tchuiiiiip.
Nou gen foli.