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Émigrer, c’est naître une seconde fois

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Par Max Dorismond

J’ai eu le loisir de lire l’excellent livre d’une compatriote nonagénaire, madame Janine Renaud-Murat, paru sous le titre : « Une seconde vie – De Haïti au Québec », que j’invite tout candidat immigrant à feuilleter avant de s’envoler pour un hypothétique ailleurs. Un ouvrage riche en anecdotes, plus savoureuses les unes que les autres, riche en termes de symbolisme et d’espoir, riche aussi en enseignements et en mignons petits faux pas à nous décrocher un sourire coquin, en rapport à l’installation de la famille de l’auteure dans la Beauce, une région du Québec, éloignée de la métropole économique qu’est Montréal.

Ce livre, paru depuis l’année 2011, se révèle même être un catalogue, une succession de surprises, pour le lecteur avide de partager l’ébahissement des nouveaux venus découvrant la splendeur des premiers flocons de neige, le premier noël au pays des Blancs, le retour du premier printemps et l’explosion des couleurs dans la nature métamorphosée etc… Toutefois, il subsiste un certain bémol. La beauté de ce passage de cette lointaine époque n’a presque rien à voir avec l’immigration d’aujourd’hui. J’ai même éprouvé, à sa lecture, l’envie de crier que l’installation du Dr. Murat et de sa jeune épouse, Janine, au Québec en 1957, fut une implantation de luxe, dans un contexte où le besoin de professionnels étrangers était criant partout dans le monde. Ainsi, ces prospects, une fois sur le territoire choisi, étaient traités aux petits oignons par un entourage attachant et prévenant. Le bonheur était dans les prés. Seuls les pétales de rose n’avaient pas été semés sur les pas des nouveaux venus.

En fait, on découvrit, sur la route de l’auteure, l’accueil chaleureux des religieuses, des religieux, des commerçants et des voisins de la place. En réalité, tout le patelin surfait sur la même partition pour garder en son sein ces futurs « Québécois venus d’ailleurs ». Ils étaient condamnés à les porter à oublier le poids de leurs traditions, à faire litière de leur culture pour qu’ils puissent renaître dans de nouveaux horizons annonçant un avenir rassurant pour le coin.

Un livre inspirant le bonheur d’une compatriote heureuse dans son nouvel environnement, malgré quelques petites tracasseries avec le voyage. Avec une certaine nostalgie, on revit le parcours de la famille avec un secret désir de refaire soi-même le chemin à l’envers du rêve, tant le résultat dans sa totalité fut couronné de succès. Toutefois, c’était en 1957, dans un lointain passé presqu’oublié. C’était le début de nos premiers migrants au pays de Jacques Cartier, fuyant l’enfer naissant dans le bassin des Caraïbes.

Dans ce récit anecdotique, écrit d’une plume élégante et limpide, nous voyons défiler l’Histoire dans un judicieux désordre, où s’entremêlent les souvenirs d’ici et d’Haïti, entre plusieurs époques, plusieurs lieux. Son œuvre recèle une réelle sincérité, une beauté dans la fragilité de certains moments. Dans une écriture sobre, coiffée de plusieurs strophes poétiques, nous rappelant la tendresse des soirées de chez-nous avec, à la porte, les Hugo, les Dumas, les Émile Nelligan, les Paul Verlaine, les Anna de Noailles etc…, on ne saurait en réclamer plus.

Le plus intéressant dans cet ouvrage, c’est l’idée que la progéniture, les héritiers n’avaient point à se casser la tête à la recherche de leur marqueur identitaire. Tout est là, sans fioritures et sans détour, rédigé avec grâce et sans complexe, pour leur plaisir et leur confort.

En effet, nous, de la diaspora, pourrons ajouter que nous ignorons tout de notre première naissance. Cependant, pour la seconde, nous sommes les seuls cabotins à pouvoir la décrire et la jouer des centaines de fois. C’est là, la beauté de l’œuvre de madame Murat. Car émigrer, c’est naître une nouvelle fois.

Max Dorismond

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