Haïti-Éducation : une rentrée des classes à double vitesse
5 min readLors d’une conférence donnée le jeudi 2 septembre, Le PM Ariel Henry a annoncé que la réouverture des classes pour l’année académique 2021-2022 est fixée au 21 septembre pour les départements qui n’ont pas été touchés par le séisme du 14 août et au 4 octobre pour les départements des Nippes, du Sud et de la Grand’ Anse.
C’est un fait auquel on s’ attend plus ou moins depuis quelques années : la réouverture des classes est toujours un casse-tête pour les parents et pour le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) qui doit s’assurer que les conditions sont réunies pour que les élèves puissent retrouver les bancs de l’école. Cela ne saurait se faire sans l’accompagnement de ceux qui sont dans le besoin et sans que ne soit créé un climat favorable au bon fonctionnement des établissements scolaires et à un meilleur apprentissage pour nos jeunes.
Toutefois, pour beaucoup, ces conditions sont loin d’être réunies et le gouvernement le sent bien puisqu’il a décidé de reculer la date de la rentrée d’environ deux semaines.Plusieurs parents et même des enseignants semblent approuver cette décision. « Hier j’ai à peine commencé avec les achats pour mes frères, juste quelques fournitures : cahiers, crayons, chaussettes. Je ne peux pas encore m’occuper des livres et des uniformes », affirme Toussaint, un étudiant qui s’occupe de la scolarité de ses deux jeunes frères.
Cette déclaration reflète la situation de beaucoup de parents. Fernande, enseignante depuis près de 20 ans et parente de deux élèves, est, elle aussi, d’accord avec ce recul de la date pour les mêmes raisons : « Beaucoup de parents n’ont pas les moyens, même pour se procurer les fournitures de base. Et il y a, en plus de cela, les frais d’entré de l’écolage, pour ceux dont les enfants sont inscrits dans des établissements privés », argumente-t-elle.
Cette situation serait assez complexe. En effet, selon Audyl Corgelas, éducateur et professeur de leadership au Haitian Education and Leadership Program (HELP), parler d’éducation en Haïti est déjà complexe à plusieurs niveaux, sans même considérer les éléments qui viennent compliquer la situation: « Premièrement, l’accès est limité: il n’y a pas assez d’écoles publiques pouvant accueillir tous ceux qui sont en âge d’être scolarisés. Deuxièmement, il n’y a pas assez de matériels ni d’infrastructures scolaires ».
Retarder ou résoudre la situation dans sa complexité ?
Judelson partage le même avis que le professeur et estime que le tremblement de terre du 14 août 2021 est venu compliquer les choses. Pour lui, la situation a toujours été difficile pour beaucoup de parents qui ne sont jamais totalement prêts, mais qui se débrouillent tant bien que mal, pour envoyer leurs enfants à l’école. « Mais pas cette fois. Il y a eu d’abord le tremblement de terre qui traumatise tout le monde. Il est vrai que l’Ouest n’a pas été fortement touché, mais je connais des gens qui dorment encore dans la cours de leur maison ou sur la galerie en gardant la porte ouverte », déclare-t-il.
Pour lui, tout ceci doit être considéré puisque beaucoup d’écoles sont en béton. « Il y a, en plus de cela, cette question de vaccination qui rend incertain le protocole de certaines écoles », ajoute-t-il.
Le séisme qui a récemment et durement frappé la côte Sud du pays, n’a pas épargné les écoles. En effet, nombreuses pertes en vies humaines ont été enregistrées dans le secteur, sans compter les dégâts matériels. Aussi, si la condition économique est un obstacle pour beaucoup de parents de l’Ouest, la situation est beaucoup plus compliquée pour ceux du Sud, de la Grand’Anse et des Nippes.
De plus, plus d’un tiers de la population de ces départements aurai été affecté par le séisme. Aussi, les conditions psychologiques sont à considérer. « Les gens ont perdu leurs familles, leurs biens, il faudrait des suivis psychologiques, ne serait-ce que pour les gens du Grand-Sud. Je me demande même s’il ne faudrait pas mettre cette zone dans un programme éducatif spécial pour cette année puisque je ne crois pas que les conditions matérielles et psychologiques seront réunies de sitôt », affirme une étudiante finissante en sciences de l’éducation qui doute que la zone concernée soit prête le 4 octobre.
C’est en s’appuyant sur cela que Viergine estime que reculer la date de la rentrée est une bonne décision. Pourtant, elle n’approuve pas le fait qu’une partie des élèves du pays aillent en cours alors que d’autres ne le peuvent pas. Pour elle, ce n’est pas juste, et le fait que deux semaines seulement séparent les deux dates, ne l’aide pas à comprendre la décision du gouvernement. « Il vaudrait mieux attendre que tout le pays soit prêt », affirme-t-elle.
Inquiétudes
Pourtant, si le recul de la date de la rentrée arrange certains, cette décision inquiète d’autres, comme Aure qui estime qu’en Haïti, nous ne pouvons compter que sur les jours que nous voyons. En effet, l’idée que le pays est sujet à des crises politiques, économiques et sécuritaires inquiète certains professionnels du milieu éducatif qui ne savent pas à quoi il faut s’attendre pour cette année académique.
Toutefois, il est à considérer que même le MENFP n’est pas encore prêt puisque à quelques jours du 6 septembre, les résultats des examens de la NSIV n’ont pas été communiqués et que seulement 7 départements du pays ont reçu ceux de la 9ème année fondamentale. En plus de cela, l’insécurité qui reprend de l’ampleur commence déjà à inquiéter les parents. Le kidnapping refait surface et le calme apparent qui régnait à Martissant commence déjà à s’effriter. Et cela, sans stratégie, le recul de la rentrée ne saurait le résoudre.
Ketsia Sara Despeignes