À 28 ans d’âge, la PNH est plus que jamais en difficulté
6 min readCe 12 juin 2023, la Police Nationale d’Haïti a célébré ses 28 ans d’existence. Pour l’institution créée par la loi du 29 novembre 1994, les défis sont aujourd’hui immenses avec la prolifération de la violence armée, un retard d’équipement accru, et un « laxisme » gouvernemental.
C’est dans les locaux de l’École Nationale de la Police, sur la route de Frères à Pétion-ville, qu’a été célébrée, en présence de plusieurs hauts dignitaires de l’État et des forces de l’ordre, une messe à l’occasion du 28e anniversaire de la Police Nationale ce 12 juin. En déplacement à la Jamaïque, c’est sur les réseaux sociaux que le Premier Ministre Ariel Henry s’est exprimé sur l’événement. « À l’occasion du 28e anniversaire de la création de notre Police Nationale, je tiens à saluer le courage, la détermination, le professionnalisme de nos vaillants policiers, qui, chaque jour, se sacrifient, mettent leur vie en péril, pour protéger la population », a-t-il publié sur Twitter avant d’ajouter qu’il renouvelle aux agents, ainsi qu’au Haut Commandement, « le soutien inébranlable de mon gouvernement, tout en vous assurant de notre volonté de vous accompagner dans la quête d’une Police plus professionnelle, dynamique, moderne et équipée ».
De son côté, à travers une Note du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, la Ministre ad intérim Émmelie Prophète Milcé a reconnu et félicité l’institution policière pour son travail. « Dans le contexte difficile que nous connaissons depuis plusieurs années, la Police Nationale d’Haïti a toujours su s’adapter pour rester cette institution nationale, garante des vies et des biens. La République, à travers le Ministère de la Justice et de la Sécurité publique, est reconnaissante et souhaite un bon 28ème anniversaire aux membres du Haut commandement, à chaque policière, chaque policier », lit-on dans cette Note.
Le RNDDH fait son rapport
Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) n’a pas mâché ses mots pour exprimer son mécontentement vis-à-vis du Gouvernement qui, selon l’organisation, appuie les fauteurs de troubles contre la police. « Les bandits, sachant qu’ils bénéficient de l’appui inconditionnel des autorités étatiques et évoluant dans des gangs armés bien structurés et bien implantés dans leur communauté, n’ont jamais arrêté d’attaquer les agents-tes de la PNH, de juin 2022 à juin 2023 », peut-on lire dans un rapport du 12 Juin 2023.
Selon le RNDDH, c’est le laxisme du Gouvernement dans la lutte contre les gangs armés qui facilite la multiplication des attaques contre les policiers. « C’est ainsi que pour cette période, de nombreux policiers-ères ont été assassinés, d’autres ont été chassés de leur domicile et certains autres ont été enlevés pour être séquestrés contre rançon. De nombreux postes de police ont été attaqués par les bandits armés. Des embuscades ont aussi été tendues pour des policiers-ères en patrouille ou en opérations », avance le RNDDH.
Tandis que la PNH tente de faire de son mieux face aux bandes armées, elle ne cesse de compter des victimes dans ses propres rangs. Au bilan, pour la période allant de juin 2022 à juin 2023, le RNDDH a recensé 58 policiers assassinés seulement de janvier à juin 2023, et 13 attaques armées ont été perpétrées à l’encontre de postes de police. Pour le RNDDH, cette situation est l’une des conséquences des défauts d’équipements de la Police Nationale. « Ils disposent de matériels et équipements policiers défectueux ou en quantité insuffisante : armes et munitions, bâtons, casques, boucliers, torches, gaz lacrymogène, etc. Les agents-tes sont aussi obligés de travailler dans des espaces qui présentent un danger pour eux ainsi que pour ceux qui les fréquentent ».
Les postes de police en mauvais état
« Les postes de police, pour la plupart, sont dépourvus de matériels de fonctionnement. Cependant, en dépit des nombreuses demandes présentées à l’administration centrale de l’institution, aucun effort n’est jamais consenti pour les doter d’un minimum pouvant leur permettre d’exécuter leurs tâches », a écrit l’organisation de défense des droits humains dans son rapport.
Rappelant quelques problèmes auxquels font face certains postes de police, le constat est grave. « Les responsables de tous les commissariats et sous-commissariats ainsi que les agents-tes rencontrés au moment des visites de monitoring du RNDDH, ont affirmé qu’il leur manque l’essentiel pour travailler ».
Selon le rapport du RNDDH, dans le département du Centre, le commissariat de Saut D’eau ne dispose d’aucun moyen de transport qui soit en état de marche, et le bâtiment est en très mauvais état, de même qu’à Boucan Carré ; à Savanette, c’est d’électricité qu’est privé le commissariat. Dans le département du Nord, le commissariat de Bahon qui se trouve non loin de la Grande-Rivière du Nord est fissuré et très ancien, « la toiture, endommagée, laisse passer l’eau de pluie, en période pluvieuse », et ne dispose pas de dortoirs, leurs matériels sont insuffisants et ils ne disposent « ni de voiture fonctionnelle ni de motocyclette ».
Dans la Grand’Anse, les commissariats et sous-commissariats dont les locaux ont été endommagés par le séisme du 14 août 2021 n’ont toujours pas été réparés, c’est également le cas dans les Nippes, à Miragoane. Encore dans les Nippes, le commissariat des Baradères est situé dans une zone inondable, et lors des intempéries du 3 juin 2023, l’eau a pénétré dans l’enceinte du bâtiment.
Dans le Département de l’Ouest où se trouve la capitale, la situation n’est guère meilleure. « Le bâtiment du commissariat de l’Anse-à-Galets a été démoli il y a plus de quatre (4) ans, par le conseil municipal qui était alors en fonction. Il n’a, à date, pas été reconstruit » ; le sous-commissariat de Cazeau, lui, près de Cité-Soleil, est en très mauvais état avec des promesses de rénovation depuis plusieurs années qui n’ont pas été tenues. « Le bâtiment n’est pas alimenté par le courant de la ville. Il ne compte pas non plus une autre source alternative d’énergie. Les matériels de fonctionnement ne sont pas en quantité suffisante », explique le RNDDH.
Le sous-commissariat de Delmas 3, lui, « dispose de deux (2) voitures en panne depuis plus de trois (3) mois. Par conséquent, en cas d’urgence, les policiers-ères qui y sont affectés sont obligés de faire appel au poste de police du carrefour de l’Aéroport qui n’arrive pas toujours à temps » ; « le bâtiment du commissariat de Pointe-à-Raquettes est vide : il n’y a pas de bureau, pas de chaise. Il n’est alimenté ni en courant de ville, ni en eau potable. Le seul classeur existant est en mauvais état. Les policiers – tous des hommes – qui y sont affectés, ne disposent pas de matériels de fonctionnement suffisants ».
Et à Port-au-Prince, la situation est inédite. « Le commissariat de Port-au-Prince fait face à de nombreuses difficultés. Il n’y a pas de courant électrique, l’accès à l’eau est difficile car le commissariat dispose d’un système d’énergie solaire qui ne peut être utilisé pour faire monter l’eau du réservoir. Il compte deux (2) petites cellules qui sont remplies de détenu-e-s. L’espace sale dégage une odeur nauséabonde et met en péril la santé tant des détenu-e-s que des agents-tes de la PNH qui sont obligés de travailler continuellement dans ces conditions ».
Pour le RNDDH, les autorités traitent en parent-pauvre la Police Nationale, et entre les discours, les grandes conférences et la réalité, la distance est assez grande. Pour l’organisation des droits humains, la hiérarchie de l’institution policière ne favorise pas la bonne marche de l’institution, et il appelle au changement. « Le RNDDH croit que la hiérarchie de l’institution policière, telle qu’elle est constituée aujourd’hui, risque de causer d’énormes torts à l’institution, si elle reste inchangée ».
Clovesky André-Gérald PIERRE