Accusé d’implication dans l’assassinat de Jovenel Moïse en Haïti, Samir Handal est libéré en Turquie
4 min readL’homme d’affaires jordanien Samir Nasri Handal, accusé dans l’assassinat de l’ancien Président haïtien Jovenel Moïse et détenu depuis huit mois en prison à Istanbul, a été libéré par un tribunal de la Turquie après que ce dernier ait décidé, le lundi 4 juillet 2022, de rejeter la demande d’extradition présentée par les autorités haïtiennes. Un sérieux revers pour ceux qui espéraient voir aboutir l’enquête sur l’assassinat du Président haïtien, qui piétine depuis déjà un an.
Depuis fin juillet 2021, Samir Handal faisait l’objet d’un mandat d’amener émis par le Parquet de Port-au-Prince pour « meurtre, tentative de meurtre, attaque à main armée contre le Président de la République Jovenel Moïse ». Résidant aux États-Unis, plus précisément à Miami, il avait été arrêté par INTERPOL à l’aéroport d’Istanbul par lequel il transitait pour se rendre en Jordanie. Incarcéré à la prison de Maltepe à l’est de la ville, il était censé y rester en détention préventive durant 40 jours. Depuis, les autorités haïtiennes n’ont cessé de réclamer à la justice turque son extradition en vertu de la Convention des Nations-Unies de 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, dont les deux États sont parties.
Samir Handal possède la nationalité haïtienne et jordanienne. C’est un homme d’affaires connu du secteur privé, ainsi que toute la famille Handal. Mais ce dernier possède en plus les nationalités israélienne et palestinienne. Son implication dans l’assassinat du Président a été révélée à la fin du mois de juillet 2021 suite à la découverte d’une propriété à son nom qui avait servi pendant les préparatifs de l’attentat du 7 juillet 2021. Des accusations que ses avocats, tout comme sa fille Samar Handal, ont balayées d’un revers de main.
La famille Handal est également l’une des plus influentes d’Haïti dans le secteur privé des affaires, ainsi que dans le domaine des relations consulaires. L’agence Ayibo Post avait révélé en mai 2019, que les Handal et Cassis sont à la tête de 5 consulats honoraires dont les locaux sont également ceux de leurs entreprises installées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Ainsi la chaîne de supermarchés Giant, le Groupe Sehsa, Ed. An Distribution et Mirage Industries, l’hôtel Royal Oasis, la Maison Dupuy, la Maison Handal, le groupe MSC sont toutes des propriétés de la même famille d’entrepreneurs bénéficiant pour la plupart des privilèges réservés aux consulats honoraires.
Par ailleurs, des acteurs politiques et des organismes de défense des droits humains fustigent le Chef du gouvernement haïtien qu’ils rendent responsable de cette décision de la 37ème Haute Cour Pénale d’Istanbul en défaveur de la justice haïtienne. « Ils ont délibérément produit une demande d’extradition bâclée », dénonce l’ancien Premier Ministre par intérim Claude Joseph. Le directeur du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) Pierre Espérance pour sa part déclare « ne pas se faire d’illusion » sur la volonté réelle des dirigeants haïtiens dans l’aboutissement de l’enquête. En effet, plusieurs révélations avaient accusé l’actuel Chef de la Primature de relations douteuses avec des personnes déjà arrêtés dans le cadre de l’affaire, notamment l’ex-sénateur John Joël Joseph.
Apparemment, la situation de la justice haïtienne ne joue nullement en faveur des enquêtes judicaires en cours, d’abord avec les risques qu’encourent les juges d’instruction travaillant sur de tels dossiers sensibles et maintenant avec le local du Palais de Justice occupé par les gangs au Bicentenaire. Déjà quatre juges se sont déportés de l’affaire Jovenel Moïse. Malgré plus de 40 arrestations en Haïti et à l’étranger, l’enquête piétine et même s’enlise avec la récente libération de Handal en Turquie. La paralysie des institutions judicaires l’état piteux des pénitenciers nationaux et le traitement inhumain des détenus ont tendance à décrédibiliser le pouvoir judicaire haïtien davantage.
À noter que les dossiers et archives restés au local du Palais de Justice peuvent tout aussi bien disparaître définitivement, ce qui laisse planer de sérieux doutes sur la poursuite des enquêtes et autres procédures judicaires en cours. Si la justice américaine suit l’exemple de la Turquie, Rodolphe Jaar, John Joël Joseph et diverses autres personnes arrêtées dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du Président Moïse risquent d’être libérés, avec pour argument que la justice haïtienne ne peut valablement et en toute crédibilité poursuivre son travail. Une probabilité de fin bien triste pour ceux qui réclament à cor et à cri justice pour le Président assassiné chez lui il y a maintenant un an.
Daniel Toussaint