Anthropologie/Sociologie : Anthropo-sociologie (nuance, convergence et divergence), une discipline peu connue en Haïti
13 min readEn Haïti, être ingénieur en génie civil, électromécanique, agronomie ; être un médecin, avocat et/ou juriste c’est posséder à la fois un capital symbolique et social. Mais, être spécialiste dans de disciplines scientifiques telles que : la sociologie, la psychologie et l’anthropologie vaut pas la peine pour la population ainsi que les dirigeants-es du pays car, ils ne connaissent pas ce qu’est l’anthropologie, la psychologie ainsi que la sociologie. Entre ces trois disciplines, la psychologie est plus connue que deux autres. Alors dans cet article, à la lumière de RoseNIKIEMA, nous tenterons d’élucider les gens sur ce qu’est l’anthropologie et sociologie en essayant d’abord de regarder les nuances et convergences existant entre l’anthropologie et la sociologie puis le champ de l’anthropologie et enfin les grands courants en anthropologie.
L’anthropologie et la sociologie sont deux disciplines dont les frontières actuelles ne sont pas toujours très nettement définies. Elles revendiquent actuellement le même objet d’étude, partagent les mêmes terrains et quelque fois utilisent les mêmes méthodes. Cette situation peut entraîner des confusions, il convient par conséquent de préciser la spécificité de chacune d’elles et de montrer ce qu’elles ont de commun.En effet, l’anthropologie est définie comme la science de l’homme alors que la sociologie se présente comme la science de la société. Si l’on convient que l’homme n’existe qu’en société, alors l’anthropologie et la sociologie poursuivent le même objectif, notamment l’étude des œuvres sociales et culturelles dont l’homme est à l’origine. C’est dans cette optique que l’anthropologie a parfois été présentée comme une branche de la sociologie. Cette conception était partagée par E. Durkheim et Marcel Mauss pour qui l’anthropologie constituait une partie de la sociologie spécialisée dans l’étude des «nations dites sauvages». C’est également la conception de l’anthropologie sociale anglaise, défendue par des auteurs comme Radcliffe-Bronwn et Evans Pritchard. Pourtant, une analyse fine montre qu’il subsiste des différences notables entre ces deux disciplines, différences qui se situent sur le plan historique et autres.
Sur le plan historique, à la naissance de l’anthropologie, au 19ème siècle, elle s’est exclusivement attachée à l’étude des sociétés primitives en dépit de sa prétention universaliste. La sociologie est née à la même époque pour étudier la société industrielle dont l’émergence en Europe déstructurait radicalement les sociétés paysannes traditionnelles et posait des défis inédits, notamment l’urbanisation accélérée, le développement du travail salarié, la prolétarisation, la construction de nouvelles formes de solidarité, le développement de la solitude, le suicide, etc. La sociologie est donc née pour comprendre ces phénomènes et contribuer à leur résolution. De ces orientations initiales différentes est née la distinction entre anthropologie et sociologie que R. NIKIEMA résume en trois points. Il s’agit du type de société étudiée, du principe de fonctionnement et du modèle de solidarité. Pour le premier point, l’anthropologie étudie les sociétés primitives et archaïques tandis que la sociologie étudie les sociétés dites modernes. En ce qui a trait au deuxième point, l’anthropologie accentue sur le principe de similitude et simplicité des institutions cependant la sociologie accentue sur la différenciation et la complexité des institutions. Enfin, pour le troisième point l’anthropologie opte pour la solidarité mécanique puis la sociologie opte pour la solidarité organique.
En dépit des précisions qui ont été données sur les nuances et les différences entre les deux disciplines, leur convergence semble s’inscrire dans une dynamique irréversible. R. NiKIEMA avance pour dire que :
Sur les terrains : l’anthropologie s’intéresse dorénavant à la société industrielle, à la culture urbaine alors que la sociologie a élargi son objet aux sociétés qualifiées de traditionnelles. Les thèmes : la sociologie s’intéresse à des thèmes qui étaient exclusivement étudiés par l’anthropologie, ce sont notamment les mythes, la fête, l’ethnicité, la réciprocité, etc. L’anthropologie réfléchit sur des problèmes comme le nationalisme, l’idéologie (économique, individualiste) qui sont au fondement même de la modernité occidentale. Sur le plan de la méthode, la sociologie intègre dans ses outils, l’observation participante, l’analyse qualitative, les sources orales. Sur le plan théorique, l’anthropologie met elle aussi l’accent sur le caractère hétérogène des sociétés «traditionnelles», les discontinuités et les ruptures dans la reproduction des rapports sociaux, bref la dynamique des sociétés «traditionnelles». C’est certainement cette convergence qui malheureusement se réalisait dans des cloisonnements institutionnels ou académiques très étanches doctrinaire et parfois intégriste qui a justifié la naissance de la socio-anthropologie.
Il est à noter que cette distinction s’est traduite sur le plan méthodologique par l’élaboration d’outils spécifiques, notamment l’observation participante et le séjour prolongé du chercheur avec les populations étudiées en anthropologie alors que la sociologie utilisait les archives et les statistiques. Prenons par exemple l’observation participante qui, procède d’une rupture méthodologique consistant à fonder, depuis Malinowski, la connaissance anthropologique sur l’observation directe des comportements sociaux. En effet, il ne suffit plus de récolter des informations éparses mais au contraire, tenter de comprendre la cohérence des pratiques de chaque société. C’est cette dernière exigence qui justifie l’immersion totale, l’insertion personnelle et de longue durée du chercheur dans le groupe qu’il étudie (professeur Jean Mozart FERON, communication interpersonnelle). Cette immersion permet d’abord d’observer directement les conduites des individus dans des circonstances variées et de saisir les activités dans leurs conditions réelles de production. Elle permet ensuite d’accéder aux pratiques non officielles qui sont souvent occultées dans le discours, soit parce qu’elles sont banales, familières ou innovatrices.
Nous nous demandons est-ce que cette distinction reste figer ? Si non, comment elle évolue à travers le temps ?
Le distinguo entre la sociologie et l’anthropologie telle qu’elle a été présentée est restée effective jusqu’au milieu du 20ème siècle. Cependant, les mutations opérées à l’intérieur de l’anthropologie à partir de la seconde moitié du 20ème siècle ont élargi son objet d’étude qui dorénavant intègre les sociétés industrielles et les espaces urbains. L’une des conséquences de l’élargissement de l’objet a été la redéfinition de l’altérité (la question de l’autre) qui n’est plus synonyme de dépaysement géographique et culturel, mais semble se résumer à la différence des pratiques et des références culturelles. Par exemple, si autrefois l’anthropologie se résumait à l’étude des sociétés océaniennes ou africaines par les occidentaux, de nos jours, l’anthropologie couvre : «l’étude du monde paysan européen ou de ses traditions populaires par un ethnologue français marqué par une culture citadine, ou même du monde rural africain par un chercheur, également français, mais formé par une culture citadine et occidentale» (Lombard, 1994 :14). D’autre part, la sociologie a elle aussi intégré les sociétés rurales africaines dans ses objets d’investigation. Au terme de cette évolution, l’anthropologie et la sociologie se retrouvent surtout dans le domaine du développement sur les mêmes terrains, parfois avec les mêmes méthodes pour étudier les mêmes objets.
Parlant du champ en anthropologie cela revient à quoi ?
Conformément à son projet, l’anthropologie se définit comme la science totale de l’homme. A ce titre, elle devait intégrer les résultats de toutes les sciences qui ont l’homme pour objet d’étude, notamment la sociologie, l’archéologie, la biologie, la linguistique, la psychologie, la géographie, la psychiatrie, l’écologie, l’économie, etc. En d’autres termes, elle devrait constituer la synthèse des sciences qui étudient l’homme. Une telle ambition encyclopédique est en réalité irréalisable à l’échelle d’une discipline, car elle excède largement les limites qui sont assignables au savoir scientifique. C’est ainsi que, depuis sa naissance, la discipline a mené des investigations dans des domaines très variés. L’essentiel de sa réflexion a porté sur le phénomène humain, au moins dans sa dimension symbolique (anthropologie des systèmes symboliques bien que l’anthropologue marxiste J. Copans la considère comme une sorte d’anthropologie culturaliste), sa dimension sociale (anthropologie sociale avec des figures de proue comme Radcliffe-Brown et de Malinowski) ou dans sa dimension culturelle (anthropologie culturelle avec des figure emblématiques comme Frantz Boas(père du relativisme culturel), Alfred Kroeber, Ruth Benedict, etc.).
Mais, en réalité, l’anthropologie ne s’est pas seulement limitée à ces trois (3) aspects, elle a porté ses réflexions sur d’autres domaines, notamment l’anthropologie physique (étude des rapports entre le patrimoine génétique et l’environnement), l’anthropologie préhistorique (l’étude de l’homme à travers les vestiges matériels enfouis dans le sol), l’anthropologie linguistique (étude de la langue comme élément de la culture ou comme modèle de connaissance de la culture), l’anthropologie psychologique (étude du processus et du fonctionnement humain). Mais comme l’écrivait Claude Lévi Strauss, l’anthropologie n’est pas seulement l’étude des haches de pierres, des totems et de la polygamie, elle étudie aussi des phénomènes contemporains et urbains. Si les différents domaines (physique, préhistorique et linguistique etc.) ont contribué à construire la discipline, c’est par contre avec l’anthropologie sociale en Grande Bretagne et l’anthropologie culturelle aux États-unis et aussi l’anthropologie des systèmes symboliques (en France) que la discipline va se forger une identité et s’imposer comme science de l’homme.
En ce qui concerne les grands courants en anthropologie, généralement on retrouve six grands courants dans ladite discipline. Il s’agit : l’évolutionnisme, le fonctionnalisme, le diffusionnisme, le culturalisme, le structuralisme et l’anthropologie dynamique. Alors, un bref éclaircissement sur chacun d’eux permettra aux lecteurs de bien comprendre ces courants :
-L’évolutionnisme est considéré comme la première théorie de l’anthropologie, était fondé sur les certitudes nées depuis le 18ème siècle que l’humanité évolue vers un progrès irréversible qui se traduit par une complexification et une diversification des structures sociales, un perfectionnement des systèmes sociaux dans les domaines aussi bien politique, économique, religieux, etc. Ces certitudes vont s’appuyer d’une part sur les travaux des naturalistes notamment C. Darwin (L’origine des espèces) ou de Lamarck et d’autre part sur les découvertes préhistoriques (pierre taillée, pierre polie) qui donnaient les indications sur l’origine et l’évolution de certains outils.
L’anthropologie évolutionniste se proposait alors d’étudier «les différents peuples qui se sont succédés dans le temps et qui se retrouvent à travers le monde à des stades inégaux de culture et de progrès général de l’humanité» (Lombard 1994 : 33). En d’autres termes, l’homme primitif aujourd’hui et sa société représentent des formes attardées à des degrés divers de l’évolution du civilisé. Les peuples primitifs étaient identifiés aux vestiges de l’enfance de l’humanité. Le projet de l’anthropologie consistait donc à découvrir et à décrire des lois de l’évolution mais aussi les paliers historiques par lesquels devaient nécessairement passer tous les peuples. Les investigations devaient porter d’une part sur la recherche des origines des institutions sociales et culturelles contemporaines (parenté, religion, institution politique, etc.) et d’autre part, s’accompagner d’un souci de comparaison et de classification des découvertes, de recherche de similitude entre les phénomènes observés dans les sociétés primitives. Selon les auteurs, l’évolution de l’humanité se caractérise par les stades. Par exemple, les trois stades d’Auguste Comte sont : théologique, métaphysique et le positivisme. Pourtant, les trois stades de Léwis H. Morgan sont : sauvagerie, barbarie et civilisation. James G. Frazer voit plutôt : Magie, religion et science. Il est important de comprendre que chacun de ses stades se subdivise en 3 sous stades à savoir : stade inférieur, moyen et supérieur. L’ambition de tous ces travaux visait à montrer que l’évolution de l’humanité constitue un processus unique et linéaire de changements progressifs, cumulatifs et irréversibles. MondherKilani nous permet de voit que la théorie évolutionniste a été critiquée pour ses ambitions démesurées et hasardeuses car «même si désormais l’on fait appel de manière systématique à des données factuelles et des descriptions partielles rigoureuses, ces données et ces descriptions restent prises dans des reconstitutions historiques hasardeuses et la plupart du temps invérifiables» (Kilani, 1992 : 257).
-Avec le fonctionnalisme, on parle de la « révolution » scientifique de Malinowski : la perspective qu’inaugure Malinowski, on l’appelle plus tard le fonctionnalisme, résultent d’une part de la reconstruction historique des sociétés passés selon une évolution linéaire, et de l’autre part de l’urgence de l’investigation du présent à partir de la prise en considération de la singularité et de la spécificité de chaque culture étudiée. Pour Malinowski, la production d’un objet ainsi que la forme qu’il prend sont toujours déterminées par son emploi, à savoir la satisfaction d’un besoin biologique premier ou d’un besoin culturel dérivé. Donc, la fonction est comme une notion intermédiaire entre le biologique et le social. En effet, pour Malinowski, la culture répond à une adaptation nécessaire de l’homme aux conditions que lui imposent à la fois sa propre nature et son environnement. Cette adaptation s’accomplit par la satisfaction d’une double catégorie de besoins : 1. Biologiques ou élémentaires 2. Sociologiques ou secondaires. La culture apparait ainsi comme un assemblage d’institution dont le fonctionnement correspond toujours à la satisfaction d’un besoin. Dès lors, chaque objet matériel, chaque activité sociale, chaque trait culturel doit être interrogé par rapport à la contribution qu’il apporte à l’ensemble culturel (Kilani, 2009 :229-237).
-Le diffusionnisme qui a été théorisé par des auteurs tels que Boas, Kroeber, Grabner, Frobenius, procède d’une critique de l’évolutionnisme et du fonctionnalisme. Il est fondé sur le postulat que les inventions naissent dans des cercles culturels restreints à partir desquels elles se diffusent. Par conséquent, les sociétés se développent beaucoup plus par emprunt et par imitation à la suite des contacts culturels provoqués par les migrations ou par les guerres.
-Le culturalisme a été développé aux USA à partir des années 30 du siècle passé par des auteurs tels Ruth Benedict, Margaret Maed, Kardiner et Linton (les concepteurs du concept de la personnalité de base). C’est un courant qui tend à expliquer la culture comme système de comportements appris et transmis par l’éducation, l’imitation et le conditionnement dans un milieu social donné. En d’autres termes, chaque société façonne chez ses membres une personnalité de base définie par Kardiner comme « configuration psychologique particulière propre aux membres d’une société et qui se manifeste par un certain style de vie sur lequel les individus brodent leurs variantes singulières ».
-Le structuralisme est un courant qui s’oppose à l’analyse exclusivement descriptive des faits sociaux. Il considère la société comme un ensemble d’institutions sociales indépendantes constituant un système. Le rôle de l’anthropologie consiste par conséquent à découvrir la structure du système. Le structuralisme (ou analyse structurelle) a été développé en anthropologie par C. Levi Strauss. Il part du constat que chaque société constitue un arrangement particulier et cohérent d’attitudes, de comportements. Cet arrangement s’élabore d’une part avec des attitudes universellement reconnues et d’autre part à travers une sélection parmi une variété des attitudes possibles. Le premier principe explique que certaines institutions se retrouvent dans toutes les sociétés humaines (la filiation, l’inceste par exemple) alors que le second principe explique pourquoi ces institutions varient d’une société à l’autre (par exemple filiation patrilinéaire, filiation matrilinéaire ou indifférenciée).
-Anthropologie dynamique est née sous l’impulsion d’auteurs comme R. Bastide ou G. Balandier, l’anthropologie dynamique a marqué une véritable rupture avec l’anthropologie classique française. En effet, jusque-là, l’anthropologie classique s’était toujours focalisée sur l’étude des phénomènes religieux, des rituels, des systèmes symboliques, elle avait également privilégié la cohérence et l’homogénéité des sociétés étudiées ainsi que les permanences.
En somme, cet article permettant non seulement de lire Rose NIKIEMA indirectement mais également à la population et aux autorités concernés d’avoir un regard particulier sur les sciences humaines et sociales spécialement l’anthropologie parce qu’en voyant que l’anthropologie ne se contentera plus du discours des acteurs sur la société. Dans cette perspective, il appartient à l’anthropologie d’aller au-delà de la représentation que se font les individus de leur société (car souvent ils ignorent les objectifs sociologiques). C’est à l’anthropologie de découvrir les lois de fonctionnement de la société. Après avoir lu un tel article, nous pouvons dire que les étudiants-es à la faculté d’Ethnologie n’auront pas à inquiéter pour dire qu’ils étudient l’anthropologie car, en Haïti, dire qu’on est étudiant-e en anthropo-sociologie demande un double exercice. D’abord, il faut dire à la personne ce qu’est l’anthropologie et ensuite il faut dire où ils(les anthropologues) travaillent. Alors une telle discipline, ne mérite-t-elle pas des investissements majeurs ?
John Mekinson ENEZER
Étudiant en Anthropo-sociologie à la Faculté d’Ethnologie