Au revoir Marianne
4 min readC’est avec une grande tristesse que j’ai appris la nouvelle du décès de Marianne Lehmann. En cette occasion, ma famille et moi-même, nous adressons nos sincères sympathies à sa famille en Suisse et en Haïti, à la grande famille vodou d’Haïti, de la diaspora et à ses nombreux amis.
Ils ne sont pas légion, les Haïtiens qui ont connu cette grande dame, Suissesse d’origine, devenue passionnée de culture haïtienne jusqu’à constituer dès les années 70 jusqu’à son décès ʺune collection fabuleuseʺ(1) d’objets vodou. « C’est la plus grande collection consacrée au patrimoine d’art sacré haïtien » a écrit le journaliste Arnaud Robert dans le journal suisse Le Temps.
Je ne connaissais pas cette collection jusqu’en 2007 au moment où le Musée d’Ethnographie de Genève (MEG) dirigé à ce moment-là par l’ethnologue Jacques Hainard, entreprend de réaliser dans la ville de Calvin une exposition intitulée : Le Vodou, un art de vivre. J’avais rencontré Marianne bien avant, au moment où elle travaillait au Secrétariat du Consulat suisse à Pétion-ville. C’est grâce au Musée d’ethnographie de Genève que j’ai su qu’elle possédait une belle collection de près de 3000 objets vodou et qu’elle acceptait de prêter 300 pièces pour cette exposition à Genève.
Pendant 9 mois, de décembre 2007 à août 2008, des centaines de personnes de Suisse et du monde entier, particulièrement de Genève, ville multinationale par excellence à cause de la présence des Nations Unies et de nombreuses institutions spécialisées, ont pu visiter cette exposition qui a connu un succès extraordinaire. Certains professionnels comme des enseignants, des historiens, des psychologues, des psychiatres ont manifesté un intérêt spécial pour le Vodou haïtien. Engagé comme conférencier, j’ai apporté quelques clés de compréhension aux nombreux visiteurs pour les sensibiliser à l’importance de cette religion dans la vie de l’Haïtien. Elle est à l’origine de notre libération de trois siècles d’esclavage, comme l’a bien souligné le savant Jean Price-Mars et de nombreux autres écrivains qui se sont penchés passionnément sur la lutte de libération des esclaves africains de Saint-Domingue devenue en 1804 citoyens du pays baptisé Haïti. Cette collection extraordinaire a été également présentée dans d’autres musées du monde. C’est ainsi qu’après Genève, elle a été exposée à Berlin, en Allemagne et à Ottawa, au Canada.
Le passage à Genève de cette exposition sur le Vodou haïtien a suscité un grand intérêt particulièrement du côté des psychologues et des psychiatres qui continuent d’interroger les secrets de cette religion.
Au moment du passage de Marianne pour l’autre monde, il me paraît important de souligner les sacrifices que cette femme, discrète, a dû consentir pour aider à la préservation d’une portion considérable d’œuvres culturelles haïtiennes qui ont failli partir à l’étranger. Ces objets sacrés du Vodou haïtien méritent, comme l’avait désiré Marianne, d’être conservés dans un Musée National du Vodou pour les Haïtiens et les étrangers qui auront à visiter Haïti quand la situation le permettra, j’ose espérer, dans un bref délai. Car le tourisme pourrait constituer une véritable bouffée d’oxygène pour notre pays pris en otage et embourbé actuellement dans un climat d’extrême violence et dans une situation de misère intolérable. Mais depuis 2004, tous les Gouvernements des pays développés, fournisseurs potentiels de touristes à Haïti découragent leurs concitoyens de visiter notre beau pays enfoncé aujourd’hui en août 2022 dans un chaos total.
Marianne Lehmann a réalisé pour le Vodou haïtien ce que feu Edmond Mangonès avait fait pour l’Histoire d’Haïti avec sa précieuse collection conservée aujourd’hui à la bibliothèque des Frères de Saint Louis de Gonzague.
Au revoir Marianne! Au nom de tous les Haïtiens je te dis Merci, merci, merci pour tout ce que tu as donné au valeureux peuple d’Haïti.
Ta mémoire restera présente sur cette terre que tu as aimée passionnément et adoptée comme seconde patrie.
Damien François
Genève, le 15 août 2022
1.- Arnaud Robert dans le journal suisse Le Temps 5 décembre 2007