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Bel-Air, le quartier où l’air n’est plus beau!

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Aujourd’hui, Bel-Air ne reste presque rien de ce quartier calme d’antan. Ce quartier  s’est peu à peu transformé en rues désertes peuplées d’immondices et en habitat de groupes armés.

Situé près du siège de la présidence d’Haïti, Bel-Air est l’un des premiers quartiers de Port-au-Prince du 19e siècle, après l’indépendance. Ce quartier historique est marqué par les empreintes vivantes de la culture populaire haïtienne. Balayé par le souffle frais de la mer, Bel-Air hébergeait le bastion de la classe moyenne et était surtout très connu pour les nombreux artistes qui y ont pris naissance et y habitaient.

Comme l’a mentionné Emmelie Prophète dans son ouvrage, « Les Villages De Dieu », en l’occurrence des nombreux quartiers populaires de Port-au-Prince, le quartier de Bel-Air fait partie de ces villages où la république s’arrête, c’est-à-dire, où les lois et la démocratie n’ont plus aucune valeur. En effet, ce petit bout de terre de 129 700 mètres carrés a ses propres lois et ses propres règles auxquelles chacun doit se plier, au risque fort. Fondé en 1758, par les colons français, ce quartier était construit en brique et en bois, pour le plaisir des yeux.  

D’ailleurs après l’indépendance d’Haïti, Bel-Air était le lieu de résidence des personnes plus ou moins aisées. Ainsi, beaucoup d’institutions financières et commerciales comme des banques, des entreprises, des hôtels y étaient installées. Ce qui explique jusqu’à présent, la présence de quelques anciens édifices en bois et en brique. Le quartier était alors divisé en deux zones, l’une résidentielle appelée Haut Bel-Air et l’autre commerciale, Bas Bel-Air. Jusqu’à aujourd’hui, malgré les nombreuses catastrophes naturelles et autres événements qui ont secoué ce quartier, il reste encore des traces de ces monuments et magnifiques édifices.

Le début des bouleversements

Contrairement à ce que peut croire la plupart des gens, Bel-Air n’a pas toujours été un espace contrôlé par les groupes armés et rempli d’immondices. Au cours de son histoire, ce quartier était parmi les plus beaux du département de l’Ouest et était habité par des gens de la haute société. Beaucoup d’étrangers s’y sont installés. Les entreprises fonctionnaient correctement et les activités économiques étaient très présentes. À cette époque, il faisait bon de vivre à Bel-Air. L’air y était léger et frais, non-seulement grâce à sa hauteur par rapport au niveau de la mer, mais aussi grâce au calme et à la paix qui y régnait. Rencontré par le journal Le Quotidien News, NevelsonJean Baptiste, un natif de Bel-Air prête sa voix pour raconter son bien-aimé quartier.

« Je suis Bel-airien dans tout ce que cela implique. D’ailleurs, je suis né à Bel-Air tout comme ma mère et ma grand-mère avant moi. Aujourd’hui, le quartier est contrôlé par des gangs et régulièrement, on entend des histoires de guerre entre les groupes armés. Toutefois, du temps de mon enfance, il n’y avait pas encore de guerres de gangs mais de préférence des batailles politiques », raconte le quinquagénaire qui a passé toute sa vie dans ce quartier. « Même à l’époque des tumultes de l’an 2004, lors de la chute du président Jean-Bertrand Aristide, il y avait une bataille politique. D’ailleurs, le calme avait revenu avec René Préval. La véritable guerre des gangs à Bel-Air a débuté avec Michel J. Martelly », poursuit celui qui milite pour les droits humains depuis ses 13 ans.

Selon M. Jean Baptiste, Bel-Air est l’un des plus vieux quartiers de Port-au-Prince. Souvent surnommé: « le cœur de Port-au-Prince », ce quartier a plus de 200 ans, rappelle le quinquagénaire. « La position du quartier vis-à-vis du marché de Croix-des-Bossales, du Palais National et des administrations publiques facilite largement la circulation à la population. D’ailleurs, pour se rendre au Centre-ville, on prend la route à pied. Les lycées et quelques Écoles Nationales sont à proximité et tout ce dont on a besoin se trouve sous notre main. Donc, forcer la population à fuir le quartier d’une façon aussi lâche, c’est tout simplement augmenter la misère du peuple. D’ailleurs, la plupart des habitants ont construit leur maison ici et n’ont nulle part », a-t-il affirmé.

En effet, les choses ont commencé à prendre une ampleur grave à partir de cette période. Les nombreux cas de violences dont a été victime la population Bel-Airienne ont causé la fuite de beaucoup d’habitants de la zone. Petit à petit, Bel-Air devenait difficile à vivre, à cause de l’installation des « baz », en d’autres termes, des groupes armés. Les activités économiques commençaient largement à se paralyser. Les différents massacres qui ont eu lieu ont complètement bouleversé les routines de vie des habitants de ce quartier. La population a été fortement impactée, surtout les jeunes. Car, les écoles et activités distrayantes fonctionnent difficilement durant les périodes de bouleversements.

Bel-Air, une communauté d’artistes et de tolérance

Très réputé comme étant une communauté d’artistes, les nombreuses crises qui bouleversent Haïti ont eu des retombées négatives sur les travaux et l’évolution des artistes et des ateliers. « Bel-Air, est en effet, un quartier rempli d’artistes. Je me souviens que durant toute mon enfance, j’ai pu voir des troupes de danse et des groupes de comédiens, surtout dans les années 90. J’ai grandi avec les « bann a pye » qui étaient formé de tous types de gens, même des homosexuels. Prenant naissance majoritairement dans les années 70, ces « bannapye » se déguisaient quand ils foulaient les rues, des hommes s’habillaient en femme, dans une époque où c’était très mal vu. La population faisait, cependant, preuve d’une incroyable tolérance », a fait savoir le natif de Bel-Air, M. Jean Baptiste.

« On y retrouve également des ateliers de peintures et d’art plastiques. Les jeunes du quartier ont grandi dans la culture de l’art dans son ensemble. Il y avait également et jusqu’à présent, beaucoup de temples vodouesques. La culture haïtienne est riche et Bel-Air en est la preuve. Même dans les enterrements, les Bel-airiens savent mettre de l’ambiance et faire ressortir l’art. D’ailleurs, je me souviens d’un groupe dénommé « Chanpwèlblada » qui venait dans les enterrements, faire des chorégraphies et imiter les habitudes de vie et les comportements du défunt, dans les règles de l’art! En matière d’art, Bel-Air dépasse l’occident! », affirme avec conviction M. Jean Baptiste.

Selon les dires du quinquagénaire, les habitants de Bel-Air ne sont pas violents, au contraire, ils sont très tolérants. Les habitants de Bel-Air n’agressent pas les gens pour leurs orientations sexuelles, pour leurs professions ou encore leurs croyances et pratiques religieuses, dit-il. Toutefois, si les gens dépassent leurs limites, ils seront remis à leurs places, explique-t-il. Car, les habitants de Bel-Air sont partisans de la justice et se rebellent quand la situation l’impose. « Je ne sais pas si c’est le vent ou la mer qui rend les gens aussi tolérants! », soutient M. Jean Baptiste sur un ton ironique.

Les petites blessures devenues de grandes cicatrices

Aujourd’hui, le Haut Bel-Air est un quartier surpeuplé. Les anciennes maisons disparaissent au fil des années. Certaines se sont effondrées lors du tremblement de terre de janvier 2010 qui a fortement frappé ce quartier, tandis que d’autres ont été détruites lors des affrontements entre les groupes armés. Bel-Air est à présent divisé en territoires, chacun dirigé par des chefs de gangs. Ce quartier perd son prestige d’antan, de plus en plus. Et les autorités concernées ne semblent pas prêter attention à la situation dont fait face les habitants de Bel-Air. Le gang « Krachedife », selon certains,  groupe de bandits qui opèrent aux environs de MadanKolo, semble avoir le total contrôle de la zone. Et leurs actions ont poussé les gens du quartier à fuir.

Bel-Air a connu de nombreux moments de peine, de massacres et de violences au cours de son histoire. Beaucoup d’historiens associent ces épisodes de violences par rapport à sa position au siège de la Présidence et à la Capitale du pays. Bel-Air, déjà très proche de la mer et de la capitale, est considéré par les hommes politiques comme l’endroit qu’il faut à tout prix contrôler. Positionné à l’entrée nord de la ville de Port-au-Prince, Bel-Air est un endroit stratégique indiscutable pour tout homme politique. C’est une zone qu’il faut impérativement avoir sous la main, si un homme politique veut contrôler la capitale, lors des compétitions électorales.

« L’indifférence des autorités nous fait du tort. Délogés une population qui était stable économiquement, c’est justement la détruire. Forcer quelqu’un à partir par la violence et la répression est inadmissible. Je suis encore là parce que nous ne pouvons pas tous fuir. Je m’implique dans la résistance parce que de nature, le peuple de Bel-Air symbolise la résistance. En plus, aujourd’hui, j’ai 50 ans, J’y suis né et j’y ai grandi. J’ai fréquenté les Écoles, les Églises, les terrains de foot de la zone. Toute mon histoire est à Bel-Air », confie M. Jean Baptiste. « Aux jeunes de Bel-Air et d’autres quartiers populaires, je leur dirai de continuer dans leur formation même si les écoles nationales et les lycées ne fonctionnent pas normalement, faites des efforts, car c’est à eux de mettre fin à cette mascarade », conclut le porte-parole de « Asosyasyon Viktim MasakBèlè »s.

Bel-Air, l’un des premiers quartiers de Port-au-Prince n’est plus que l’ombre de ce qu’il a été au début de son histoire. Les belles maisons et le calme ont été remplacés par des taudis et des bruits de balles. La population de Bel-Air a fui le quartier et a laissé les maisons vides sans les rires et les rues désertes empilées d’immondices. Les massacres et les affrontements ont détruit le quartier et les activités économiques. La culture populaire s’éteint peu à peu. La situation a beaucoup dégénéré ces dix dernières années. Les autorités, au lieu de battre le fer tant qu’il est chaud, ont préféré fermer les yeux et sont restés indifférents face à la souffrance des habitants de Bel-Air. Les petites blessures qui n’ont pas été soignées sont devenues de grandes plaies!

Leyla Bath-Scheba Pierre Louis

pleyla78@gmail.com

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