Ces incompatibilités de profession nuisant à l’éthique ou risquant de présenter des conflits d’intérêts
5 min readEn exerçant une fonction publique ou en bénéficiant de certains statuts, bien des individus profitent de leur position pour faire fructifier leurs entreprises personnelles. Être magistrat et commerçant ou magistrat et avocat, les exemples sont légion. Pour Me Irma Dieudonné, il faut renforcer le « cadre normatif en rapport aux incompatibilités ».
La Constitution de 1987 essaye tant bien que mal de rendre certaines activités incompatibles avec l’exercice d’une fonction publique, en particulier au sein des trois pouvoirs de l’État. Pour les membres du corps législatif (Art. 127.1), de même que pour ceux qui exercent une fonction ministérielle (Art. 168), ou encore ceux exerçant la fonction de juge (Art. 179), tout autre fonction salariée ou rétribuée par l’État leur est interdite, sauf celle de l’enseignement. Également, « la fonction de Premier Ministre et celle de membre du Gouvernement sont incompatibles avec tout mandat parlementaire. Dans un tel cas, le parlementaire opte pour l’une ou l’autre fonction », stipule l’article 164 de la Constitution de 1987.
L’actuelle Constitution du pays prévoit un ensemble d’autres incompatibilités à la fonction de membre du corps législatif. « Ne peuvent être élus membres du Corps législatif: 1) le concessionnaire ou cocontractant de l’État pour l’exploitation des services publics; 2) les représentants ou mandataires des concessionnaires ou cocontractants de l’Etat, compagnies ou sociétés concessionnaires ou cocontractants de l’Etat; 3) les délégués, vice-déléguées, les juges, les officiers du Ministère Public dont les fonctions n’ont pas cessé six (6) mois avant la date fixée pour les élections; 4) toute personne se trouvant dans les autres cas d’inéligibilité prévus par la présente Constitution et par la loi », lit-on dans l’article 131.
Pour Me Irma Dieudonné, il s’agit là d’une situation normale et nécessaire pour le bon fonctionnement de la société. « Ces incompatibilités sont de nature, dans la plupart des cas, à conserver intact l’ordre établi. Elles permettent de ne pas confondre des professions pour lesquelles une morale propre est admise. Ainsi, rendre incompatible une profession revient à première vue à la porter saine d’exercice et à la renforcer au niveau éthique et déontologique. Donc, il n’y a rien de mal à ce que des fonctions et professions énoncent des incompatibilités ».
Un cadre normatif à renforcer
Pour Me Dieudonné, les incompatibilités doivent être protégées par l’arsenal juridique, et faire l’objet d’une meilleure législation. Selon elle, les dispositions actuelles sont assez faibles, et elles sont fort souvent violées. « D’année en année l’on constate que dans notre pays malheureusement, les normes telles qu’édictées souffrent d’un déficit d’application. Quand un problème comme tel surgit, il y a un choix à faire entre laisser l’existant en l’état ou le renforcer. Moi, de mon point de vue, j’opte pour le renforcement des cadres normatifs et légaux tendant à favoriser l’exercice de métiers en tenant compte au maximum de l’éthique et de la déontologie ».
Des incompatibilités à la profession d’avocat
Il n’y a pas que les normes générales qui énoncent des incompatibilités de fonctions. Certains corps de métiers, dans leurs règlements internes, empêchent à leurs professionnels de se livrer à certaines activités pour des raisons d’éthique et de déontologie. « En Haïti, par exemple, il est interdit aux avocates et avocats de faire du commerce ou de continuer à militer dans un ordre s’ils ou elles briguent certaines fonctions dans l’État », explique Me Dieudonné à la Rédaction du journal Le Quotidien News.
« S’il est vrai que la profession d’avocat est une profession libérale, il n’en demeure pas moins que les avocats et avocates doivent toujours mesurer leurs moindres actions », estime la juriste. « Tout client potentiel d’une avocate ou d’un avocat doit savoir à tout moment avec qui il a affaire et savoir faire le distinguo entre son défenseur ou toute autre fonction/profession qu’exerce ce dernier », a-t-elle ajouté.
Un débat semble peu à peu s’amorcer dans l’espace public haïtien : un responsable d’organisme de défense des droits humains, peut-il librement exercer parallèlement ses activités d’avocat militant ? Avec réserve, Me Irma Dieudonné émet son avis sur la question.
« Je vois mal un défenseur des droits humains qui milite comme avocat. La frontière entre son travail de défense et de préservation des intérêts particuliers est grande par rapport à celui de sauvegarder et de défendre les droits fondamentaux de la personne humaine », explique-t-elle à la rédaction du Quotidien News.Selon elle, ces professionnels du droit qui font les deux boulots simultanément « nuisent au fonctionnement de la profession d’avocat ces derniers années notamment ». Pour elle, une limite doit être imposée.
Être policier et avoir sa compagnie de sécurité
Est-il permis à un policier d’avoir une compagnie de sécurité ? Cette question a souvent été objet de débat dans la société haïtienne. Me Inseul Salomon, avocat et sociologue, avait de son côté essayé de répondre à cette interrogation dans un article paru dans Haïti-Progrès, d’après l’avocat, « aucune loi n’interdit de manière expresse à un policier d’avoir sa propre compagnie de sécurité privée ». Cependant, il reconnaît que cela « pose un problème d’éthique grave, lorsque l’on essaye de l’apprécier sous l’angle strictement commercial (loi de l’offre et de la demande) ».
Rappelons que feu René Sylvestre, ancien Président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), en 2020, avait à juste titre demandé aux magistrats de faire un choix entre la politique, le commerce, l’ « avocature » ou la magistrature. Dans un contexte où le Parlement haïtien est inexistant et où les institutions étatiques sont très faibles, tout autre cas d’incompatibilité ou qui risque de présenter des conflits d’intérêts dans la société mérite une attention toute particulière.
Clovesky André-Gérald PIERRE