Haïti a besoin d’une étincelle pour amorcer l’ère du retour à la normale. Juste un peu de sérieux et ça marche. À cet homme qui doit relancer le moteur, il ne lui faut pas un curriculum bien garni. Car, le débat sur le profil est dépassé vu la gravité de la situation.
Le pays est en roue libre. À tous les échelons de la société, on ne retrouve que des profiteurs. Indépendamment de son statut social, tout le monde essaie de tirer son épingle du jeu. L’important, c’est de survivre. C’est en effet une jungle. Les gros mangent les petits et les petits se dévorent entre eux, croyant, à leur tour, qu’ils sont plus grands que ceux qu’ils dévorent.
Cette grandeur illusoire se mesure par n’importe quel moyen : financier, petit commerce, un emploi, une maison, une voiture ; le fait qu’on soit propriétaire ou locataire. La logique de l’adaptation sans mesure fait des escrocs qui se croient, malheureusement, des honnêtes gens et, par ricochet, ne contribuent en rien à cette descente aux enfers du pays.
Aucun de nous n’est né de la dernière pluie. Nous savons ce qui se passe au niveau de l’État. À quel point l’administration publique est gangrenée par la corruption. Nous sommes habitués aux périodes électorales en Haïti où tout se fait aux enchères. Nous avons vécu plusieurs périodes où le Parlement s’apprête à approuver la politique générale d’un Premier ministre nommé. Où qu’il y ait d’autres activités importantes, de grands enjeux pour la République.
Puisque les artères sont bouchées à la base (l’État ne peut plus respecter son engagement), les cellules peinent à fonctionner, paralysant du coup le corps (corps social) en général. De ce fait, faute de contrôle et en raison d’un manque foncier d’irresponsabilité des dirigeants, un désordre général envahit le marché. Des écoles, le petit commerce, des particuliers, tous se mettent à profiter des autres, rendus extrêmement vulnérables. Dans les banques commerciales, les clients sont triés en raison de leur rang, de leur fortune, de leurs moyens de soudoyer un membre de la chaîne ou, seulement, par leurs accointances avec l’un d’eux.
Victime ou profiteur, tout le monde essaie de prendre la roue libre.
On est dans un cycle de violence multiforme. Il n’y a aucune sorte de solidarité entre les citoyens. Retirer des dollars dans les banques commerciales, c’est de l’absinthe à boire. Faire un retrait sur son compte Moncash dans certains endroits, on vous impose, en plus des frais, l’achat d’un produit. Dans les écoles privées, on paie des fortunes pour des activités extra en plus de l’écolage qui grimpe chaque année sans aucun contrôle. On vous fabrique des chaussettes, des rubans, des écussons, des activités culturelles à longueur de journée. Les fournitures ne peuvent plus s’acheter dehors. On est comme coincé dans un étau. Pire, les exploités, sachant qu’ils vont, à leur tour, égorger d’autres plus faibles qu’eux, demandent plus de charge. Combien de temps, cette situation de « sauve-qui-peut », va-t-elle durer encore ? Comment va-t-on prendre le canot du retour quand on n’a pas conscience que nous voguons tous au même sort à bord de ce bateau qui prend de l’eau ? Le poisson, dommage, est pourri par la tête.
Daniel Sévère
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