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Discours du Gouverneur de la BRH, Ronald Gabriel, au Sommet sur l’Intelligence Artificielle en Haïti (Ayiti IA 2025)

Le 27 juin 2025, au Karibe Convention Center, a eu lieu le tout premier sommet national sur l’intelligence artificielle en Haïti.  Ayant pour thème, « L’intelligence artificielle : catalyseur de la métamorphose haïtienne par sa jeunesse », Le Quotidien News partage in extenso le discours du gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Ronald Gabriel, en cette circonstance.

Monsieur le Ministre de l’Économie et des Finances,
Monsieur le représentant du Programme des Nations Unies pour le Développement
Monsieur le PDG du Group Croissance
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Chers participants,

Chers Internautes

C’est avec une profonde conviction et un réel sentiment d’espoir que je prends la parole à l’occasion de ce tout premier Sommet national sur l’intelligence artificielle en Haïti. Cet événement marque un tournant historique dans notre volonté commune de réinventer l’avenir d’Haïti grâce à l’innovation, la technologie, et surtout — grâce au facteur d’échelle que représente sa jeunesse.

À l’heure où les économies mondiales se redessinent sous l’impulsion des technologies nouvelles, l’intelligence artificielle s’impose comme l’un des leviers les plus puissants de transformation économique et sociale. Pour Haïti, l’IA représente une opportunité stratégique : celle de dépasser certaines contraintes structurelles, de moderniser nos institutions, et d’accélérer notre développement. Cette transformation ne peut se faire sans une vision partagée, une gouvernance adaptée et un investissement durable dans le capital humain.

La BRH s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Elle y voit une composante importante d’un dispositif de mesures et d’initiatives déjà en cours et qui concourent progressivement à la mise en place d’un véritable écosystème technologique. Nous y croyons d’autant plus fermement aujourd’hui que l’environnement global du pays appelle à bâtir sur des bases nouvelles. Nous y croyons avec d’autant plus de force que les frontières actuelles du savoir-faire ouvrent la voie à des sauts technologiques importants qui siéent bien au besoin de raccourcir notre cheminement vers le développement. Les actions conduites dans les domaines, devenus connexes, de cybersécurité, de gestion de bases de données, d’administration de réseaux, pour ne citer que ceux-là, répondent pleinement à cet impératif. Nous sommes fiers d’avoir, dès le départ, inscrit cet effort dans un cadre de réflexion qui tourne autour de la promotion du capital humain comme facteur essentiel de développement.

Aujourd’hui, avec la mise en place à la BRH, au profit de nos cadres supérieurs et moyens, d’une formation à l’introduction à l’intelligence artificielle dans ses liens avec la gouvernance, l’éthique et la cybersécurité, nous affirmons notre volonté de renforcer nos capacités internes et d’ancrer l’innovation dans notre culture institutionnelle. Nous caressons l’idée d’élargir progressivement cette formation à d’autres groupes et à l’ensemble de nos ressources humaines en l’adaptant jusqu’aux niveaux de compétences basiques dans une perspective de saut institutionnel. Cette action pourrait servir d’initiative pilote à l’implantation d’une politique nationale de relèvement technologique de la population. Qu’on ne s’y méprenne pas, la recherche de raccourcis vers le développement doit nécessairement participer d’une logique volontariste si nous voulons être efficients en atteignant rapidement des résultats probants dans l’effort de combler la fracture numérique qui nous sépare des autres pays.

C’est cette logique qui a conduit la Banque Centrale à développer des partenariats fructueux avec le milieu universitaire et d’autres secteurs institutionnels acquis à l’effort de promouvoir un niveau suffisant de capacité technologique en Haïti. La plus récente des initiatives qui rentrent dans ce cadre, est la mise en commun des contributions de l’ESIH, l’Unitech, l’ISTEAH et de la Faculté des Sciences à la formation de ressources humaines importantes dans différentes spécialités du domaine numérique avec une emphase particulière sur l’utilisation qu’elles en font de l’Intelligence Artificielle. Il est utile de rappeler que ces activités ne sont pas le fait d’initiatives isolées mais rentrent dans une tradition qui date de près de cinq décennies et à laquelle on a donné un relief particulier, avec la création de l’Institut de Formation de la Banque Centrale (IFBC) en 1993, le lancement du programme des Lauréats en 1995 et la mise en place d’une politique systématique de promotion des ressources humaines, dans un cadre qui tient lieu de creuset à l’émergence d’un véritable écosystème de compétences. La création en 2019 du Fonds BRH pour la Recherche et le Développement est une initiative majeure de cette démarche qui s’étend aussi à la formation de professionnels des médias dans les domaines de l’économie et de la finance.

La leçon à tirer de cette expérience en cours est que nous devons bâtir l’avenir ensemble et, idéalement, selon une approche holistique. Une résultante attendue serait la production, dans la diversité des choix individuels, d’une forme d’intelligence collective grâce à une appropriation sociale suffisante de l’Intelligence Artificielle. Je sais que, dans le contexte haïtien actuel, la tentation est forte de qualifier de rêve une telle mise en perspective de l’utilisation collective de l’IA. Soit ! C’est un rêve ! Une production de l’esprit à laquelle peuvent donner corps les actions de chacun. Et ce serait la somme positive de ces actions amplifiées qui éviterait d’en faire une chimère. Nous avons ce pouvoir si nous y mettons du leadership. Ce leadership collectif qui éviterait de faire de notre collectif un jeu social à somme nulle qui nous vaut actuellement ce cauchemar que nous vivons dans tous les organes de notre corps social.     

L’intelligence artificielle est un outil infini de potentiel créateur. Mais ce n’est pas en soi un raccourci vers le développement. Le raccourci, c’est ce que nous voulons en faire, si notre volonté de le faire est de produire du développement. Et c’est ce à quoi nous interpellent mes modestes propos. Le moment est donc venu de fédérer nos énergies. Aucun acteur ne peut transformer seul notre trajectoire. Il est donc impératif d’articuler une collaboration cohérente et ambitieuse entre :

Les institutions publiques, garantes de la vision stratégique et de la régulation ;

Le secteur privé, moteur d’investissement, de création d’emplois et de solutions innovantes ;

La société civile, incarnation des valeurs, des attentes et des besoins de la population ;

Et le monde universitaire, formateur de talents, creuset de savoirs, incubateur d’idées et de recherche appliquée.

C’est cette intelligence collective que nous devons mobiliser au service de notre souveraineté technologique et de notre développement durable.

Nous devons reconnaître les contraintes auxquelles nous faisons face : faiblesse des infrastructures numériques, manque de connectivité dans plusieurs zones, budgets publics limités, fuite des talents, et une gouvernance encore en construction. Ces défis sont réels, mais ils ne doivent pas devenir des fatalités. Au contraire, ils appellent à des réponses stratégiques, adaptées à notre réalité, et surtout portées par cette volonté collective que nous appelons de tous nos vœux.

L’intelligence artificielle peut devenir un levier de productivité, de transparence, de compétitivité, mais aussi un facteur de fracture sociale si elle n’est ni encadrée, ni appropriée localement. Le Rapport mondial 2025 du PNUD alerte sur les risques liés à l’exclusion numérique et les inégalités d’accès à la technologie. Pour Haïti, 60 % de la population a moins de 30 ans. C’est un capital humain dynamique, créatif, en quête d’opportunités. L’IA peut devenir un levier de transformation pour cette jeunesse, en favorisant l’émergence de nouveaux métiers, en stimulant l’entrepreneuriat technologique et en ouvrant de nouveaux marchés à haute valeur ajoutée. Si, dans le cadre d’une vision bien articulée, nous donnons à cette jeunesse les outils nécessaires — formation, encadrement, infrastructure — elle fera de l’IA un levier de transformation économique et sociale.

Haïti ne peut se permettre d’ignorer ces opportunités. Utilisée de manière responsable, l’IA peut amplifier notre capacité en particulier dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’agriculture et de la gouvernance inclusive.

L’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives pour améliorer la supervision bancaire, renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux, moderniser les systèmes de paiement, et favoriser l’inclusion financière. À la BRH, nous explorons activement ces usages. L’IA peut contribuer à créer un écosystème financier plus agile, plus résilient, et plus accessible à l’ensemble de la population, notamment aux personnes non bancarisées.

Nous saluons les efforts du Ministère de l’Économie et des Finances qui, avec le soutien du PNUD et des institutions partenaires, contribue à poser les fondations d’un écosystème national de l’intelligence artificielle.

Dans cet élan de mobilisation, la BRH s’engage aujourd’hui à mettre en place le Fonds pour l’Intelligence Artificielle (FIA). L’objectif étant de contribuer à faire de l’intelligence artificielle un levier de développement inclusif et durable.

C’est donc fort de cette démarche que je lance cet appel à mobiliser les énergies vers l’atteinte de cet objectif : Créons ensemble un cadre de gouvernance de l’IA en Haïti, qui soit :

Respectueux de nos identités culturelles comme peuple, des droits humains et des principes éthiques,

Aligné sur les priorités nationales de développement,

Souverain dans la gestion de nos données et infrastructures numériques,

Ouvert aux collaborations régionales et internationales.

Madame, Monsieur

Ce sommet Ayiti IA n’est pas un aboutissement, c’est un point de départ. Il marque le début d’un chemin : celui d’un dialogue durable, d’actions concertées et de projets structurants.

L’intelligence artificielle ne doit pas être perçue uniquement comme une technologie, mais comme un outil à mettre au service d’un véritable projet de société. Elle doit être pensée par et pour les Haïtiens, au service de notre bien-être collectif, de notre croissance et de notre dignité.

Enfin, je vous remercie chaleureusement, et vous invite à faire de ce sommet le socle d’un avenir technologique haïtien audacieux, inclusif et souverain.

Merci!

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