En 2022, l’économie haïtienne a emboîté le pas à la grande crise du pays
6 min readTous les secteurs de la vie nationale sont en crise, l’économie plus que tout autre. Entre une décroissance, une production nationale à son plus bas, une inflation galopante, une crise socio-sécuritaire qui retient tout élan, l’insécurité alimentaire qui devient de plus en plus inquiétante et les catastrophes naturelles, les raisons de s’inquiéter sont innombrables, et 2023 s’annonce déjà difficile.
L’économie haïtienne ne cesse de décroître depuis maintenant quatre années. Malgré les efforts des institutions économiques et financières, ainsi que les promesses des différents Gouvernements, la machine peine encore à redémarrer. En 2022, encore une fois, le pays vient de connaître l’une des pires récessions de son histoire. Aujourd’hui, tandis que les crises socio-sécuritaires, politiques et autres ne cessent de s’aggraver, la vie devient de plus en plus pénible dans le pays, et les conditions matérielles d’existence de la population sont de plus en plus inquiétantes.
Rares sont les points où un progrès significatif puisse être constaté, et les indicateurs macroéconomiques sont presque tous dans le rouge. Avec une contraction du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays de l’ordre de -1.7%, selon les données publiées par l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique (IHSI), le pays est à présent dans sa quatrième année consécutive de décroissance économique, soit avec une moyenne de -2.1% entre 2019 et 2022. Pour le secteur tertiaire de l’économie, à savoir les services ainsi que le commerce, une chute de -1.6% a été constatée. Une énorme baisse a été constatée particulièrement en ce qui concerne le tourisme dans le pays, toujours selon l’IHSI qui a dénombré 37 000 touristes ayant visité Haïti en 2022, contre 148 335 en 2021, soit une baisse de plus de 75%. Pour le secteur secondaire, – les activités de fabrication et de transformation – la régression est de 0.2%, et de 4.5% en ce qui concerne le secteur primaire, dominé par l’agriculture et la pêche, au cours de l’année fiscale 2021-2022.
Les gangs armés, un incontestable frein
L’activité du crime organisé dans le pays a grandement influencé la déchéance économique. Dans sa « Note de Politique Monétaire » pour le quatrième trimestre de 2022, la Banque de la République d’Haïti a accusé la conjoncture de crise, en particulier celle sécuritaire, comme l’un des principaux facteurs ayant conduit au marasme économique de cette année. Pour la première des institutions financières du pays, la crise du carburant entre les mois de septembre et novembre 2022 a eu des conséquences considérables sur l’économie.
« Au niveau national, l’activité économique continue de subir les contrecoups de la détérioration du climat des affaires, liée à celle des conditions de sécurité et au prolongement des épisodes de rareté des produits pétroliers. De plus, la résurgence des troubles socio-politiques, marqués par des actes de pillage et de vandalisme à la fin du trimestre sous étude, s’est traduite par des ponctions sur les capacités productives de l’économie et a conduit à une paralysie quasi-complète des activités pendant plusieurs semaines », peut-on lire dans cette note.
Une balance commerciale encore déficitaire
Selon la BRH, une augmentation des exportations du pays a été enregistrée au cours des onze premiers mois de l’exercice 2022. « En effet, tirées par l’augmentation de la demande pour les produits des secteurs de la sous-traitance (+16 %) et de la pêche (+32,5 %), les exportations ont crû de 15,03 % pour se porter à 1 172,7 millions de dollars ÉU ».
Par contre, malgré une baisse au niveau des volumes d’importation, la balance commerciale, déficitaire, s’est encore aggravée en 2022 à cause de l’inflation au niveau du marché international. « En parallèle, les importations de biens qui ont totalisé 4 523,32 millions de dollars US sur la période (11 premiers mois de 2022), se sont accrues de 6,3 %, en raison notamment de l’alourdissement de la facture des produits pétroliers, alimentaires et manufacturés. En effet, malgré la baisse du volume importé de ces produits (-16,4 %, -18,4 % et -26,6 %), leur valeur a enregistré des hausses respectives de 8,5 %, 12,3 % et 21 %. De l’évolution des exportations et des importations est ressorti une augmentation du déficit de la balance commerciale, lequel est passé de 3,23 milliards en 2021 à 3,35 milliards de dollars US en 2022 », toujours selon la dernière « Note de Politique Monétaire » de la BRH.
Une politique monétaire à réviser
D’un autre côté, les transferts privés sans contrepartie – l’une des premières sources de rentrée de devises étrangères dans le pays – ont également connu une forte contraction au cours de l’exercice 2021-2022. Avec une baisse de 5.5% par rapport à l’exercice précédent, les transferts de la diaspora ont atteint 3 683,8 millions de dollars des États-Unis. Pour la BRH, cette baisse vient du fait de la hausse de l’inflation dans les pays expéditeurs et son impact négatif sur le revenu disponible des ménages de la diaspora haïtienne. Également, la Banque Centrale accuse, dans une moindre mesure, le fait « qu’une partie des transferts, autrefois destinée à Haïti, est envoyée vers d’autres pays, notamment la République dominicaine consécutivement à l’augmentation des mouvements migratoires dus à la dégradation des conditions de sécurité dans le pays ».
Cette situation a également eu un impact sur le taux de change qui, malgré des millions de dollars injecté sur le marché haïtien entre fin-août et début-septembre, a vu la gourde se déprécier à une vitesse vertigineuse. D’un taux de référence de 99.8667 le 3 janvier 2022, les tableaux de la BRH affichent, au mercredi 28 décembre, un taux de 144.4069. Les injections de la BRH, en plus d’avoir été contrées par la crise du carburant en septembre, ont eu des impacts au niveau de ses réserves nettes de changes qui se sont établies à 227.23 millions de dollars au 30 septembre 2022, en baisse de 6,14% par rapport au trimestre juin-juillet-août. Cependant, la Banque rassure qu’en dépit de ce calcul, « les réserves brutes continuent d’évoluer au-dessus du seuil de trois mois d’importations requis ».
2023 : déjà des prévisions catastrophiques
L’année 2022 s’en va avec son présent, mais 2023 s’annonce déjà avec son lot de malheurs et d’incertitudes. Selon les prévisions de la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA), 4.7 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire de septembre 2022 à février 2023, dont environ 1.8 millions en situation d’urgence (phase 4), et 2.9 millions environ en situation de crise (phase 3). Également, environ 19 200 personnes, dans la commune de Cité-Soleil, se retrouvent en situation de catastrophe alimentaire au cours de cette période, due aux conflits armés qui sévissent dans la zone.
Entre-temps, le Gouvernement publie en fin d’année, avec près de trois mois de retard, son décret de finance (budget) pour l’exercice fiscal 2022-2023. Au programme, une prévision de recette de 267.5 milliards de gourdes, dont 164.1 milliards via les recettes domestiques, 40.1 milliards en dons, et 63.1 milliards de financement. Quant aux dépenses publiques, celles courantes sont prévues à 155 milliards de gourdes, dont 78.6 milliards en salaires et traitements, 49.4 milliards en Biens et Services, et 20.9 milliards en Transferts et Subventions. Pour les programmes et projets, le nouveau budget les fixe à hauteur de 79.3 milliards de gourdes, dont 33% (26.4 milliards) par l’État haïtien, et 60% par les dons et emprunts. Les intérêts à payer sur la dette publique, eux, sont estimés à environ 6 milliards de gourdes pour ce nouvel exercice fiscal.
Toutefois, les politiques économiques à venir dépendent de nombreux aléas qui créent un état de parfaite incertitude. « En raison de nombreuses incertitudes qui pèsent sur l’évolution de la situation politique, sociale et sécuritaire du pays, il n’est pas très évident de dégager des perspectives pour l’économie haïtienne en 2023. Il y a trop de variables inconnues dans l’équation », s’inquiète l’IHSI dans les conclusions de son rapport « Les comptes économiques en 2022 ». Ces conclusions sont aussi celles de la BRH pour laquelle, au niveau interne, « l’atténuation des troubles sociopolitiques et l’amélioration des conditions de sécurité permettront un meilleur fonctionnement de l’activité économique ». Quoiqu’il en soit, les promesses du Gouvernement sont renouvelées, les conditions restent les mêmes, voir s’aggravent, et la crise ne connaît pas de répit.
Clovesky André-Gérald PIERRE