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Gouvernements de transition en Haïti au 21e siècle : mécanisme d’exclusion du vote populaire par les élites (deuxième Partie)

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Faisons un bref survol historique! Après la mort de Dessalines le 17 octobre 1806, Henri Christophe, Général en chef de l’armée ordonna  par la proclamation du 3 novembre 1806 des élections pour le 20 du même mois (Dorsainvil, 1942, p. 153). L’objectif était d’élire une chambre des députés qui aurait subséquemment les missions de former une Assemblée constituante et d’élire le Président de la République. En effet, la Constitution fut votée le 27 décembre et le lendemain le Général Christophe fut élu Président (Leconte, 1931, p. 202). Après le refus de la présidence par ce dernier, les deux États sécessionnistes, qui naquirent de la bataille Sibert, se sont dotés d’un chef d’État en moins trois mois. C’est ainsi que Christophe fut élu Président dans le nord le 17 février 1807 (Leconte, 1931, p. 212) et Pétion le fut dans l’Ouest et le Sud le 9 mars 1807 (Dorsainvil, 1942, p. 164).

Quelques décades plus tard, un mécanisme beaucoup plus rapide a été mis en œuvre pour remplacer Faustin 1er renversé en janvier 1859. En ce même mois de janvier, le Comité Révolutionnaire des Gonaïves remplaça la Constitution de 1849 par la Constitution de 1846 dans le but de rétablir la République et Nicolas Geffrard fut élu à la magistrature suprême de l’État en remplacement de Soulouque en un temps record (Dorsainvil, 1942, p. 228). Après huit ans de règne, Geffrard dut démissionner à son tour. Ce fut le 13 mars 1867 (Dorsainvil, 1942, p. 228, Bellegarde, 1953, p. 222). Le 14 juin de la même année, Salnave fut élu Président par l’Assemblée constituante  pour le remplacer (Dorsainvil, 1942 p. 244).

Par souci de concision et esprit de synthèse, on évitera de citer tous les entractes intérimaires entre deux Présidents élus. Cependant, les faits historiques permettent de conclure que la durée des périodes intérimaires oscillent généralement entre quelques jours à moins de neuf (9) mois jusqu’aux élections du 22 septembre 1957. Par exemple, le Président Guillaume-Sam fut assassiné le 28 juillet 1915, le Parlement le remplaça le 12 août 1915 par le Sénateur Sudre Dartiguenave. Ayant remplacé le Président Louis Borno, le Président provisoire Louis Eugène Roy ne prit que six mois et trois jours (15 mai – 18 novembre 1930) pour organiser les élections qui portèrent le candidat Stenio Vincent à la présidence (au second degré bien entendu).

De janvier à août 1946, le premier triumvirat formé de F. Lavaud, A. Levelt et P. Magloire, ne prit que neuf mois pour remplacer le Président Lescot par le député de la commune des Verettes, Dumarsais Estimé. Leur deuxième triumvirat ne mit que six mois et trois semaines (10 mai – 6 décembre 1950)  pour permettre au Colonel Paul Magloire de prendre le relais du Président Estimé  à travers les premières élections présidentielles au suffrage universel. Même les six gouvernements provisoires qui se sont succédé après la chute de ce dernier ont duré en tout et pour tout huit mois et seize jours. Ce fut du 6 décembre 1956 au 22 octobre 1957. Cependant, il importe de préciser que le Conseil Militaire de Gouvernement (C.M.G) que dirigea Antonio Th. Kebreau après le renversement du Président Fignolé 14 juin 1957 ne prit que trois mois et huit jours pour organiser les élections générales. Ce fut le 22 septembre 1957.

Au début du 21e siècle, le mécanisme de transmission du pouvoir à  brève échéance qu’a été historiquement les gouvernements de transition va se transformer subtilement en méthode de prise de pouvoir par la classe politique et la société civile. Cette tendance s’appuie sur l’idée que certaines réformes institutionnelles nécessaires au bon fonctionnement de l’administration publique ne peuvent être mises en place que par un gouvernement de transition. C’est en somme le contenu creux des concepts spécieux de « transition de rupture » et de « transition fondatrice »  immanquablement ressassés par des figures notoires de la classe politique et de la société civile ces dernières années. La réalité est tout autre! Durant les quatre dernières périodes électorales, les figures les plus médiatisées de la classe politique obtiennent des scores relativement faibles. 

Parallèlement, une tendance à l’élection de novices et de figures peu connues du milieu politique se dessinent. Celle-ci crée chez des personnalités influentes de la classe politique traditionnelle ce qu’on appelle par métaphore, « la peur du verdict des urnes ». D’où l’hypothèse que la hantise de nouveaux revers électoraux porte la classe politique à rechercher le pouvoir politique en dehors du vote populaire. Les gouvernements de transition du début du 21e siècle s’inscrivent dans cette démarche. D’où le discrédit jeté d’avance sur tout processus électoral et surtout le scepticisme affiché par la classe politique sur la capacité du peuple haïtien de bien choisir ses mandataires.

Faisons remonter certains faits historiques à l’esprit! À l’orée des années 2000 une grave crise post-électorale rongea la société haïtienne. Les élections législatives du 21 mai 2000  ont engendré une vague de controverses dont le pays subit encore les néfastes conséquences. La victoire du parti au pouvoir étant contestée, l’opposition décida de boycotter les présidentielles du 26 novembre 2000 (Étienne, 2017). Bien que beaucoup de secteurs de la vie nationale aient soutenu ce boycottage électoral, il faut croire aussi à une stratégie de discréditer d’avance la victoire électorale du candidat Aristide qui était (il faut le reconnaître) évidente en tenant compte de sa popularité à l’époque. Sous un certain angle, le boycottage de ces joutes électorales traduit l’incapacité de l’opposition de proposer un compétiteur valable à Jean-Bertrand Aristide dont le triomphe électoral fut une certitude (si l’on ne veut pas compromettre la vérité historique). S’il est vrai que ce dernier a été élu sans coup férir cependant, ceux qui refusaient systématiquement de se soumettre à l’arbitrage du peuple durant les élections, vont parasiter son mandat dès le jour de son investiture. À côté de ses erreurs et surtout de l’excès de zèle de ses partisans, il a eu à faire face à une opposition sans cesse grandissante elle-même soutenue par des puissances étrangères qui, ensemble finiront par le renverser. Il fut remplacé par le président de la Cour de Cassation, le juge Alexandre. Des secteurs de l’ancienne opposition réunis dans le Conseil des Sages ont voté parmi quatre (4) candidats pour le poste de premier une personnalité qui a vécu près de quatre (4) décades en dehors du pays, il s’agit de M. Latortue. Ce pouvoir enfanté et choyé par l’ancienne opposition, une grande partie de la société civile et de la communauté internationale va faire passer le temps jusqu’à prendre plus de deux (2) ans pour organiser seulement les élections législatives et présidentielles. Soit dit en passant que la volonté de faire perdurer cette période intérimaire contraste grandement avec celle de la Présidente Trouillot qui a pris environ onze (11) mois pour organiser des élections générales (mars 1990 – février 1991). Investi dans ses fonctions le 14 mai 2006, à la fin de son mandat, le Président Préval écarta du pays, non sans peine, le spectre peu enviable d’un gouvernement de transition, ce que Chérubin (2014), Seitenfus (2015), et Étienne (2017) ont expliqué avec un luxe de détails…

Jefferson N. Pierre Louis

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