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Haïti et violences basées sur le genre : Quand des femmes racontent pour d’autres

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Ils ne sont pas nombreux ceux qui se sentent concernés par la question de la violence sur les femmes. On en trouve même pour qui l’importance accordée au sujet par les militants féministes serait exagération. Des histoires de violences physiques ou psychologiques basées sur le genre sont pourtant vécues chaque jour dans la société haïtienne.

Seulement, peu de victimes osent en parler. Toutefois, nous sommes plusieurs à connaître l’histoire de ces victimes silencieuses, car, il y a souvent une autre voix pour raconter ce qui s’est passé. Il y a souvent ces autres femmes qui ne peuvent oublier la scène de violence à laquelle elles ont assisté et qui racontent ces histoires situées quelque part entre les menaces et la véritable bastonnade que, bien souvent, les victimes taisent.

La sœur de Jasmine a brusquement fui son foyer alors qu’elle était enceinte. « On ne comprenait pas ce qui se passait jusqu’à ce qu’elle nous explique que son mari la bousculait au moindre désaccord. Il ne la frappait pas. Mais bousculer une femme enceinte au point qu’elle trébuchait à plusieurs reprises, si ce n’est pas de la violence, je ne sais pas ce que c’est », raconte-t-elle, une pointe de révolte dans la voix.

Il en est de même pour Layla, qui s’indigne encore en racontant cette histoire qui s’est passée avec une ancienne voisine, il y a plusieurs années : « Il est rentré un jour après être parti boire avec des amis. La femme avait un téléphone en main, il l’a pris et lui a cogné violemment la tête avec. Il y avait du sang mais il continuait à la gifler. Il l’accusait de le tromper. » Cet épisode a fortement marqué la jeune fille qui déplore : « Ce n’était pas la première fois qu’il la frappait. Il le faisait à chaque fois qu’il rentrait ivre, mais elle n’a jamais porté plainte ».

Certaines ont vécu l’histoire un peu plus près qu’en simple spectatrice. C’est ainsi qu’il est impossible pour Katia d’oublier les traitements que son père infligeait à elle et à sa mère alors qu’elle portait sa petite sœur. « Il avait rencontré une femme plus jeune que ma mère et depuis, tout est devenu différent. », explique-t-elle. En effet, il ne les frappait pas mais il fermait la porte alors qu’elles étaient dehors et il partait avec la clé. « Nous devions alors supplier les voisins de nous aider à ouvrir parce que nous ne pouvions pas rester dehors. Puis, à force de n’avoir jamais subi de représailles pour ses actes, il a braqué son arme sur ma mère un jour ».  Ce fut cette menace qui éloigna sa mère de cet homme qui devenait dangereux.

Toutefois, il n’est pas donné à toutes les femmes de partir avant que la situation ne s’aggrave. Certaines ont failli y laisser leur vie ; comme la voisine de Sandra, qui, à force de se battre avec son compagnon tous les jours et de récolter des bleus en silence, a fini par voir l’homme la précipiter du haut d’un étage. Le bilan fut grave : jambe, côtes et mâchoires fracturées, en plus de nombreuses autres blessures graves.

« Ils se battaient presque chaque jour et tout le monde trouvait cela normal. Cela ne regardait personne, mais tout le monde en parlait dans les coulisses », lâche Maude, remontée contre l’insouciance des gens. En effet, le discours, selon laquelle les femmes aiment bien se faire frapper, est assez courant. « Sinon, pourquoi restent-elle quand même ? » questionne-t-on souvent.  Toutefois, au-delà de ce masochisme qu’on aime tant évoquer pour justifier l’injustifiable, plusieurs facteurs peuvent pousser une femme à rester avec son bourreau. Job en devine quelques-uns : « la peur, si l’homme est très violent et la menace. Il peut même y avoir un mobile de pression, de chantage dans certains cas plus graves ». Beaucoup de témoins sont d’avis que la dépendance économique dont souffre la grande majorité de la population féminine haïtienne au sein des foyers est une raison.

Les enfants, bien qu’ils soient souvent ceux qui souffrent le plus de cette situation, sont parmi les premiers facteurs qui retiennent les victimes. « Elle se réconciliait sans cesse avec lui. Elle disait qu’elle ne pouvait pas partir, parce qu’elle avait quatre enfants. Elle n’avait pas les moyens pour les élever seule et elle ne pouvait pas les laisser à leur père », se souvient encore Layla.

Des complications psychologiques peuvent découler de ces violences physiques et Maude pense qu’« il devrait y avoir une prise en charge psychologique pour aider certaines femmes à sortir de ces relations toxiques ». Une femme peut choisir d’encaisser silencieusement parce qu’elle a honte que d’autres sachent ce qu’elle vit. Il peut y avoir encore la crainte de l’incompréhension du côté de la société, du jugement que l’on portera sur son histoire.

En effet, les raisons qui justifient le silence sont nombreuses. Toutefois, ne pas en parler augmente l’emprise du bourreau. Il est toujours bon de rechercher de l’aide auprès d’un proche ou d’en parler à quelqu’un qui saurait peut-être conduire l’histoire jusqu’aux instances concernées et contribuer ainsi à réduire la liste des victimes. Car, chaque nouvelle voix qui se sent concernée et qui en parle est une nouvelle aide apportée à la question.

Ketsia Sara Despeignes

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