Déforestation galopante, sols appauvris, dérèglement climatique et abandon institutionnel : l’agriculture haïtienne évolue aujourd’hui sur un fil. Pilier de l’économie rurale et source de subsistance pour des millions de citoyens, elle subit de plein fouet la dégradation de l’environnement. Pourtant, au cœur de cette urgence écologique, des agriculteurs continuent de résister, d’innover et de cultiver l’espoir. Enquête sur un secteur à bout de souffle, mais toujours debout.
En Haïti, l’agriculture n’est pas seulement un secteur économique. Elle est une question de survie, d’identité et de dignité. Toutefois, ce pilier fondamental de la société haïtienne est aujourd’hui menacé de toutes parts par une dégradation accélérée de l’environnement. Déforestation massive, érosion des sols, changement climatique, insécurité et absence de politiques publiques efficaces : le pays fait face à une urgence écologique silencieuse, mais dévastatrice.
Malgré ce tableau alarmant, des milliers d’agriculteurs continuent de cultiver la terre, souvent à mains nues, portés par une résilience hors du commun. Entre abandon institutionnel et initiatives locales courageuses, l’agriculture haïtienne lutte pour ne pas disparaître.
Une terre épuisée, mais toujours cultivée
Haïti est aujourd’hui l’un des pays les plus touchés par la déforestation dans la région des Caraïbes. Selon plusieurs experts environnementaux, moins de 2 % du couvert forestier d’origine subsistent encore. Cette destruction progressive des forêts a des conséquences directes sur l’agriculture : érosion des sols, baisse de fertilité, glissements de terrain et inondations répétées.
« Chaque année, la terre devient plus pauvre, mais nous n’avons pas le choix, nous devons planter pour manger », confie Jean-Robert, agriculteur dans le Plateau Central.
Dans de nombreuses zones rurales, les paysans cultivent sur des pentes abruptes, sans techniques de conservation des sols, faute de moyens et de formation. Le résultat est dramatique : les pluies emportent la couche arable, laissant derrière elles des terres presque stériles.
Le changement climatique, un ennemi invisible mais brutal
À cette fragilité environnementale s’ajoute l’impact croissant du changement climatique. Sécheresses prolongées, saisons agricoles imprévisibles, pluies torrentielles soudaines : les cycles naturels ne sont plus fiables.
« Avant, on savait quand semer. Aujourd’hui, on plante dans l’incertitude totale », explique Marie-Anne, productrice de maïs dans l’Artibonite.
Les pertes de récoltes se multiplient, aggravant l’insécurité alimentaire dans un pays où plus de la moitié de la population dépend directement ou indirectement de l’agriculture.
Un secteur abandonné par les politiques publiques
Malgré son importance stratégique, l’agriculture haïtienne souffre d’un manque criant d’investissement public. Les infrastructures rurales sont quasi inexistantes : routes agricoles dégradées, absence de systèmes d’irrigation, peu d’accès aux semences améliorées et au crédit.
Un ingénieur agronome sous couvert d’anonymat déclare :
« On parle beaucoup d’autosuffisance alimentaire, mais sans budget sérieux ni vision à long terme, ce discours reste vide ».
Les paysans se sentent abandonnés. Beaucoup quittent la campagne pour les villes, accentuant l’exode rural et la pression urbaine, tandis que les terres restent inexploitées ou surexploitées.
Quand les communautés locales résistent
Face à l’inaction de l’État, certaines communautés prennent les choses en main. Des initiatives locales émergent, souvent soutenues par des ONG ou des organisations communautaires : reboisement, agroforesterie, techniques de conservation des sols, agriculture biologique.
Dans le Sud-Est, un projet communautaire a permis de replanter des milliers d’arbres fruitiers tout en améliorant les revenus des familles.
« Planter un arbre, c’est préparer l’avenir de nos enfants », affirme le responsable du projet.
Ces initiatives, bien que limitées, montrent qu’une autre agriculture est possible, plus respectueuse de l’environnement et plus durable.
Diversification et nouvelles opportunités agricoles
Certains jeunes entrepreneurs se tournent vers des secteurs encore peu exploités, comme la pisciculture, l’élevage intégré ou la transformation locale des produits agricoles.
« L’agriculture ne doit plus être vue comme un secteur archaïque, mais comme un domaine d’innovation », soutient un jeune entrepreneur agricole.
La diversification apparaît comme une stratégie clé pour réduire la pression sur les sols et créer de nouvelles sources de revenus, tout en renforçant la sécurité alimentaire.
Une urgence nationale ignorée
L’urgence écologique en Haïti n’est pas une menace future, elle est déjà là. Chaque catastrophe naturelle, chaque récolte perdue, chaque paysan découragé en est la preuve.
Pourtant, la protection de l’environnement et la relance agricole restent marginales dans le débat public. Sans une politique environnementale cohérente et un soutien réel aux agriculteurs, le pays risque de compromettre durablement sa capacité à se nourrir lui-même.
Repenser l’agriculture pour sauver l’environnement
Sauver l’agriculture haïtienne passe nécessairement par la protection de l’environnement. Cela implique :
• Une politique nationale de reboisement ambitieuse
• La formation des agriculteurs aux techniques durables
• L’accès au financement rural
• La valorisation des productions locales
Comme le résume un paysan du Nord :
« Si la terre meurt, nous mourrons avec elle ».
Conclusion
Haïti se trouve à un tournant décisif. L’agriculture, longtemps négligée, pourrait devenir une clé de résilience face aux crises multiples que traverse le pays. Mais cela nécessite une prise de conscience collective, un engagement politique fort et un soutien réel aux communautés rurales.
Car malgré la dégradation de l’environnement, malgré l’abandon, l’agriculture haïtienne continue de vivre. Et tant qu’elle résiste, l’espoir demeure.
Olry Dubois, Agroéconomiste
