Dans un pays où les promesses politiques se succèdent sans lendemain, où la corruption devient la seule boussole de ceux qui gouvernent, le peuple haïtien se retrouve seul face à la misère, sans recours, sans voix, sans espoir réel. Alors que les dirigeants se partagent le pouvoir comme un butin, la nation s’effondre lentement sous le poids de l’injustice et de la trahison.
Un peuple abandonné à lui-même
Haïti, jadis symbole de liberté et de résistance, semble aujourd’hui trahie par ceux-là mêmes qui prétendent la diriger. Dans les rues de Port-au-Prince, de Cap-Haïtien, ou de Jérémie, les visages se ressemblent : lassitude, colère, résignation.
« Nou bouke viv konsa », lâche un vendeur ambulant de Delmas, essuyant la sueur sur son front brûlé par le soleil. « Chak jou nou leve san nou pa konn sa n ap manje. Leta pa la pou nou. »
Ces mots résument à eux seuls le sentiment général : celui d’un peuple laissé pour compte, sans recours face à l’effondrement moral et institutionnel du pays. Les citoyens se sentent orphelins d’un État absent, prisonniers d’un système où la survie quotidienne a remplacé toute idée de progrès.
Des dirigeants déconnectés et corrompus
Les gouvernements se succèdent, les scandales éclatent, mais rien ne change. L’argent public disparaît dans les poches d’une élite politique sans scrupules. La corruption n’est plus une rumeur : c’est une réalité qui se respire, qui s’entend, qui se voit.
Pendant que les quartiers populaires s’enfoncent dans la misère, certains ministres multiplient les villas et les voyages de luxe. L’État, censé protéger les plus faibles, devient une machine à enrichir les plus forts.
Un ancien fonctionnaire du ministère des Finances, sous couvert d’anonymat, confie : « Haïti n’est pas pauvre. Ce sont les dirigeants qui la volent jusqu’à la moelle. Chaque projet, chaque aide internationale, finit par nourrir un cercle fermé d’amis et de politiciens ».
Cette corruption institutionnalisée détruit non seulement l’économie, mais aussi la foi du peuple dans toute possibilité de changement. Comment croire encore en un avenir meilleur quand ceux qui devraient ouvrir la voie s’érigent en obstacle principal ?
Un État qui ne protège plus personne
L’insécurité règne. Les gangs contrôlent des zones entières du pays. Les familles vivent dans la peur constante. Pourtant, les responsables politiques semblent étrangement silencieux, parfois même complices.
Les armes circulent librement, les kidnappings se multiplient, et pendant ce temps, les autorités organisent des conférences de presse inutiles, promettant des « plans de sécurité » qui ne voient jamais le jour.
« Mwen pè menm sòti al travay », raconte Roseline, une mère célibataire de Carrefour. « Tout kote gen bandi. Men polis la, yo menm yo pè ». Ces paroles traduisent une vérité cruelle : le peuple haïtien n’a plus d’État pour le protéger. Le pouvoir, jadis symbole d’ordre, est devenu synonyme de menace.
Le silence complice de la communauté internationale
À cette tragédie interne s’ajoute un regard extérieur souvent hypocrite. La communauté internationale, qui prétend aider Haïti, ferme fréquemment les yeux sur la mauvaise gouvernance. Les millions de dollars versés dans le cadre de l’aide humanitaire se perdent dans les labyrinthes administratifs, alimentant encore la corruption.
L’ingérence étrangère, loin d’apporter des solutions durables, a parfois renforcé la dépendance et affaibli la souveraineté du pays.
« On ne peut pas bâtir un pays avec des béquilles étrangères », explique un sociologue haïtien. « Tant que nos dirigeants serviront les intérêts d’autrui avant ceux de leur propre peuple, Haïti restera prisonnière ».
Une jeunesse qui perd foi
La jeunesse haïtienne, jadis pleine d’énergie et d’espoir, s’éteint peu à peu. L’émigration devient le rêve le plus partagé.
Chaque jour, des centaines de jeunes risquent leur vie sur des bateaux de fortune ou fuient vers des pays voisins. Le désespoir est tel que partir semble être la seule forme de liberté restante.
« Mwen renmen peyi m, men peyi m pa renmen mwen, » confie Junior, 24 ans, étudiant en droit.
Cette phrase, poignante et symbolique, illustre le drame d’une génération sacrifiée, privée d’opportunités, de repères et de confiance dans ses dirigeants.
Quand la résignation devient une forme de survie
Face à ce chaos, beaucoup d’Haïtiens s’en remettent à la foi ou à la résignation.
Les églises se remplissent, les promesses spirituelles remplacent les promesses politiques. La résignation devient un réflexe de survie : on apprend à s’adapter à l’inacceptable. Mais jusqu’à quand ?
Haïti ne manque pas de ressources, ni de talents, ni de volonté. Ce qui lui manque cruellement, c’est une gouvernance honnête, courageuse, centrée sur le bien collectif. Tant que les dirigeants continueront à traiter le pays comme une propriété privée, le peuple restera prisonnier de la misère et de la peur.
Conclusion : le réveil ou l’effondrement
L’histoire d’Haïti a toujours été une lutte pour la dignité. Mais aujourd’hui, cette dignité est piétinée par ceux qui devraient la défendre.
Si rien ne change, la nation court vers un point de non-retour : une société sans foi, sans direction, sans avenir.
Le peuple haïtien mérite mieux. Il mérite un État juste, une justice indépendante, et surtout des dirigeants intègres.
Mais ce réveil ne viendra pas d’en haut. Il doit venir du bas — de la conscience citoyenne, de la solidarité, de la révolte pacifique de ceux qui refusent de se taire.
Car comme l’a dit un vieil homme de Jacmel : « Nou se premye nèg ki te di non a esklavaj. Nou kapab di non ankò, men fwa sa a, se pou n di non ak pwòp mechanste pa nou ».
Olry Dubois
