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« Humanitarian parole application », une offre qui met en lumière le ras-le-bol du pays

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Depuis maintenant plus d’un siècle, l’émigration s’impose peu à peu comme le plus simple moyen de trouver une « vie meilleure » pour beaucoup dans le pays. Ces cinq dernières années, l’aggravation de la crise qui touche tous les secteurs de la vie nationale a eu pour conséquence d’exacerber le désir de laisser le pays, et aujourd’hui, le « Humanitarian parole application » de l’administration Biden vient de jeter toute une jeunesse dans l’euphorie du départ.

Le Plan Biden. Une expression sur presque toutes les lèvres, une disposition qui jette de l’huile sur le feu migratoire haïtien. Les nouvelles orientations de la politique migratoire américaine semblent ravir les populations des pays visés. 30 000 personnes par mois, issues de Cuba, du Nicaragua, du Venezuela et d’Haïti, peuvent désormais prétendre à une autorisation de travail pendant deux ans aux États-Unis, mesure qui est entrée en application le lundi 9 janvier 2023.

Coup de poker, le Président des États-Unis d’Amérique, Joe Biden souhaite réussir d’un coup à libérer ses frontières de l’arrivée de migrants irréguliers et de réparer un système migratoire qui semble ne plus fonctionner. Mettre fin à la crise humanitaire au niveau de sa frontière avec le Mexique, plus précisément à El Paso au Texas, telle est l’une des nouvelles priorités de la Maison Blanche en ce début 2023. En 2022, plus de 800 personnes seraient mortes, pour la plupart noyées dans le Rio Grande, pour des milliers d’arrestations.

Pour le Président Biden, tenir ce pari est possible. « Nous pouvons sécuriser notre frontière et réparer la politique d’immigration pour qu’elle soit ordonnée, sûre et humaine, nous pouvons faire tout cela sans éteindre la flamme de la liberté qui a fait venir en Amérique des générations d’immigrés », a affirmé le Président démocrate.

Quid du « humanitarian parole application » ?

 Avec ces nouvelles dispositions, les migrants optent pour un « Parole » qui n’est autre qu’un « statut humanitaire temporaire » selon Patricia Elizée, avocate spécialisée en migrations qui intervenait ce lundi 9 janvier à l’émission Panel Magik de la radio Magik 9. « Ce n’est pas un visa ni un TPS, ni un asile, ni non plus une résidence. Donc, il est très important pour la communauté de comprendre que ce programme ne donne pas la possibilité de faire le va-et-vient entre Haïti et les États-Unis. Le programme permet de fouler le sol américain avec un statut légal mais temporaire pour un maximum de deux ans. Le programme ne garantit aucun statut permanent après son échéance », a précisé l’avocate.

L’administration américaine, à chaque étape de validation de ce processus d’application, dispose d’un pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire qu’elle peut le valider ou non à son gré. Tous les ressortissants de ces quatre pays, à moins d’avoir des antécédents criminels ou un statut permanent dans un autre pays, peuvent en bénéficier. Selon l’avocate Patricia Elizée, il est possible pour le bénéficiaire, une fois entré aux États-Unis, de recourir aux démarches afin d’acquérir un statut permanent. Le mariage reste l’une des possibilités afin de parvenir à cette fin.

Des Haïtiens s’interrogent sur les conséquences

Les soi-disant bienfaits de cette nouvelle ne font pas l’unanimité en Haïti, principalement dans le milieu intellectuel, méfiant quant aux bonnes volontés américaines. « Détrompez-vous. Le Gouvernement américain sait très bien que cette décision ne résoudra pas la crise de l’immigration. Elle ne fera que réduire la vague des immigrants et adoucir le sentiment anti-américain dans les pays concernés. Et c’est bien cela son principal objectif », estime Jocelyn Sanon, professeur de français et amateur de philosophie.

Pour lui, ce sont des mesures que les États-Unis tiendront, ou bouderont à volonté, au gré de leurs intérêts du moment. « Même les soi-disant traités et accords qu’il (parlant du Président des États-Unis) signe ne sont que l’expression déguisée de ses intérêts. C’est tellement vrai qu’il les viole ou les boude quand cela ne lui convient pas », dit-il.

Pour Paul (nom d’emprunt), patron de média, ce programme migratoire n’aura pour conséquence que de déstabiliser beaucoup plus le pays. Selon lui, il s’agit là d’une mesure qui ne servira que les seuls intérêts des États-Unis, au détriment du pays. Le pays n’a pas besoin d’une fuite des cerveaux, précise-t-il. « La meilleure aide dont Haïti a besoin aujourd’hui est celle qui aura pour finalité de combattre la montée en puissance des gangs armés, le renforcement de la police nationale, de l’économie à travers des prêts ou le financement de programmes comme l’ouverture de bourses d’études, etc. », estime Paul.

Régulariser le statut des migrants haïtiens présents aux États-Unis, laisser entrer ceux qui errent sur leurs frontières, voilà ce qui, pour lui, serait une « politique sensée ». « Si vous continuez à déporter les Haïtiens déjà présents chez vous et que vous demandez à d’autres de venir, moi je n’y verrai qu’une politique vide de sens », dit-il.

Pour Weedny également, étudiant en Génie Civil, il s’agit d’une disposition qui ne pourra que causer du tort au pays. « J’ai l’impression que ce programme est un coup de massue de plus afin de déstabiliser le pays. Imaginez que je vais entamer ma cinquième année universitaire pour l’obtention de ma licence en génie civil, et je vis dans un pays ruiné par l’insécurité et la misère. Ce programme me propose juste une alternative qui paraît certes plus facile pendant deux ans, mais qui gâcherait quatre années d’efforts et un rêve »

De son côté, le professeur Ismaël P. Volcymus, géographe, accuse une division internationale du travail qui donne à Haïti une fonction de fournisseur de main-d’œuvre. Selon lui, les futurs grands événements sportifs qui auront lieu en Amérique du Nord nécessiteront une main-d’œuvre importante que ces nouveaux immigrants seront prêts à fournir, pour la plupart. Pour lui, ce qu’il qualifie de drainage de cerveaux et de main-d’œuvre ne priverait le pays que d’une main-d’œuvre peu qualifiée, mais toutes les catégories seront touchées.

« N’imaginez pas que ce ne sont que ceux qui constituent une main-d’œuvre peu qualifiée qui se rendront aux États-Unis, il y aura des gens de toutes les catégories, des analphabètes et intellectuels. Aucun pays ne peut aspirer au développement sans sa main-d’œuvre et ses cerveaux », explique-t-il. Pour le professeur des universités, comme pour plus d’un, il est nécessaire de s’interroger sur la face cachée de la mesure, et la question des contentieux historiques ou conjoncturels entre les États-Unis et les pays visés doit être également soulevée.

Clovesky André-Gérald PIERRE

cloveskypierre1@gmail.com

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