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L’avocat doit-il être confondu avec l’accusé abominable qu’il défend ?

Tuez-les, lynchez-les, tel est le cri de vengeance de l’opinion publique face aux criminels sans humanité et sans cœur. Condamnez-les sans les juger ni les défendre, réclament les plus modérés. Or, pour bien condamner quelqu’un, peu importe le crime commis, il faut qu’il soit bien défendu et que son procès soit équitable, conformément aux garanties judiciaires, reconnues et consacrées dans toutes les sociétés civilisées. « Une société sans crimes est comme un rosier sans roses : inconcevable […]. Le procès a pour fonction de régler les contradictions entre individus et sociétés avec l’accord ou tout au moins l’acquiescement des accusés eux-mêmes ». (1), Jacques VERGES, Le Dictionnaire amoureux de la Justice, Plon 2002, p-35. Pour autant, le crime, fait-il le bonheur de la société, ou tout au moins donne-t-il du sens à la vie d’une certaine catégorie de citoyens ? Ni le policier ni l’avocat, encore moins le médecin, n’oseront répondre par la négative.

« Il n’existe personne si odieux soit-il à nos yeux qui n’ait droit à être défendu, et sincèrement défendu par un autre homme ». (2), Vincent de MORO-GIAFFERI, cité par Olivier DUHAMEL, Jean VIEL, La parole est à l’avocat, 4e édition, Editions Dalloz 2020, p-51. L’autre homme dont parle Moro-Giafferi qui doit être sincère en défendant le criminel odieux, c’est l’avocat. Le crime est considéré comme un fait social, dont toutes les sociétés souffrent de ses méfaits. En dépit d’une accusation de crime de haute trahison au profit de l’Allemagne, Maréchal Pétain était magistralement défendu par trois avocats ténors français : le bâtonnier Payen, Me Jean LEMAIRE et Me Jacques ISORNI. « Dans une société civilisée, les policiers arrêtent les criminels, les médecins soignent les criminels blessés, les juges jugent les criminels arrêtés. Et quant à nous les avocats, parce que nous sommes à une école d’humanité permanente, nous avons le devoir absolu de défendre tous ceux qui sont jugés, dont les criminels. Et tous ces professionnels ont prêté serment d’accomplir leur mission ». (3), CHERON Jean Barnave, Des scientifiques au détriment de la science : Affaire Robinson PIERRE-LOUIS. Comment imaginer une société sans crime, où tous les citoyens seraient habilités à être canonisés, à l’instar de Saint-Yves, le patron des avocats ? Même dans le meilleur des mondes, on reconnaît que les lois sont faites pour être violées, d’où la raison pour laquelle on y prévoit des sanctions.

S’il est une évidence que des avocats sont détestés au point où ils sont confondus avec les criminels abominables qu’ils défendent avec sincérité et conscience professionnelle, cela n’empêche que chacun aime son défenseur. On aime même l’avocat de son ami, peu importe le pétrin dans lequel il se trouve. Il est un fait que la réaction de l’opinion publique face aux crimes odieux est la même dans toutes les sociétés, démocratiques ou pas. Pour les crimes les plus abominables qui touchent la conscience de l’humanité, le verdict du tribunal de l’opinion publique est connu d’avance, c’est la condamnation sans aucune forme de procès, sans le moindre jugement. Et la boucle est bouclée, la messe est dite. L’avocat pénaliste, convaincu que personne n’est indéfendable, qui accepte de faire son devoir le plus absolu, celui de défendre l’accusé que toute la société réclame sa tête, se doit de s’armer de courage pour affronter le tsunami que représente l’opinion publique. La réaction haineuse de l’opinion publique doit-elle faire oublier les droits de l’accusé d’être défendu (A) selon les circonstances et le mobile de l’acte. Qu’en est-il de son droit à un procès équitable (B) en tenant compte des garanties judiciaires dans le procès pénal ?

A- Le droit de tout accusé d’être défendu selon le mobile du crime

Ad vocatus : appelé pour. Dans le cadre de notre profession, nous sommes tenus de prêter notre voix à celui ou celle qui n’en a pas. On ne saurait parler de l’efficacité de la police lorsque les policiers arrêtent des voleurs sans importance qui ne commettent que des larcins, mais lorsque des organisations criminelles sont démantelées. L’avocat, en acceptant un dossier, donne sa parole et prend un engagement total vis-à-vis de celui ou celle qu’il défend avec professionnalisme, sans aucun remords ni regret. Chacun son travail, les vaches seront bien gardées, dit-on. Emile Garçon, professeur à la faculté de droit de Paris, a écrit dans son Code pénal annoté : « Le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le plaideur un défenseur, le catholique un confesseur, mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable […] ». L’avocat, auxiliaire de la Justice, n’est pour autant le subalterne de personne, est donc libre de choisir ses dossiers, selon ses affinités. Cependant, envers son client, qui qu’il soit, l’avocat a un devoir de loyauté, tout en gardant jalousement son indépendance.

L’émotion de l’opinion publique doit-elle être capable de faire remplacer le code pénal par un code moral dans le procès ? Fait-on pour autant l’apologie du crime en défendant son auteur ou le devient-on en faisant son métier dans un procès, celui de prêter sa voix à celui ou celle qui en fait la demande ? Il était presqu’unanime à le reconnaître, à l’émission « Juridiquement parlant », présentée par Me Godson LUBRUN, sur les ondes de radio Rénovation FM, le sujet était aux antipodes de son épuisement. Doit-on, dans le même contexte, considérer le médecin comme le criminel monstrueux lorsqu’il le soigne ? Ces deux professionnels, l’avocat et le médecin doivent avoir le niveau d’éthique le plus élevé dans l’exercice de leur profession. L’avocat a prêté serment de défendre la veuve et l’orphelin en son âme et conscience, le médecin, quant à lui, a prêté le serment d’Hippocrate, il est tenu de soigner le malade qui se présente à lui. Si l’avocat défend un client accusé d’un crime, le médecin soigne un patient blessé dans l’affrontement avec les forces de l’ordre. Ni l’un ni l’autre ne peuvent remplacer le policier, car chacun prête serment d’accomplir leur mission.

« Un avocat n’est pas une potiche qu’on pose dans un commissariat ou une cour d’assises en attendant que le sort de son client soit tranquillement scellé ». (4), Éric DUPUND-MORETTI, Stéphane DURAND-SOUFFLAND, Direct du droit, Editions Michel LAFON, 2017, p-14. Le ministère de l’avocat est forcé, car personne ne peut être jugé sans être défendu par un défenseur professionnel. Peu importe que le crime commis soit abominable, l’avocat doit assurer la défense de l’accusé, en accordant sa science et sa conscience professionnelle, sans pour autant qu’il fasse l’apologie du crime. En défendant l’accusé, l’avocat, en aucun cas, ne doit faire semblant d’oublier la souffrance des proches de la victime et de la société. Même s’il est considéré comme un monstre impitoyable, un boucher humain, l’accusé continue de faire partie de la société, il ne perd pas pour autant sa dignité d’être humain. Le mobile du crime est un élément fondamental dans le procès, il peut être l’atout majeur dans la défense de l’accusé pouvant conduire à des circonstances atténuantes en sa faveur.

« Ramener l’accusé dans la communauté des hommes, même si c’est un monstre, même si c’est le pire des salauds. Je veux faire aimer l’accusé, ou au moins éviter qu’on le déteste, c’est ainsi que je deviens l’accusé lui-même ». (5), Henri LECLERC, cité par Olivier DUHAMEL, Jean VIEL, La parole est à l’avocat, 4e édition, Editions Dalloz 2020, pp-1,2. Le pire des salauds, le criminel le plus abominable, a besoin d’un confident, d’un défenseur loyal, sans pour autant qu’il partage ses idées pathétiques ni ses instincts criminels. Si le défenseur de l’accusé n’a pas pour mission de faire aimer son client, il doit tout au moins faire en sorte qu’à travers sa plaidoirie qu’il ne soit détesté davantage par le public qui a déjà donné son verdict. Faisant partie de la société, au même titre que l’accusé qu’il défend, l’avocat ne représente pas pour autant la société dans le procès criminel. Dans le procès pénal, l’avocat étant payé par son client, ne doit pas le trahir, même s’il a pour obligation de ne pas oublier la première victime lorsqu’un crime est commis, la société. Cette société, c’est le ministère public qui la représente, c’est lui qui est payé pour la défendre dignement et avec compétence, pour éviter que le pire criminel soit acquitté, faute de preuve.

« Le criminel n’est pas différent de nous. C’est un homme aussi, avec deux yeux, deux mains, un sexe et            un cœur. L’humanité ne se divise pas en deux parties dont l’une serait tout humaine et l’autre     tout inhumaine, ainsi         que le rappelait, au lendemain de la dernière guerre mondiale, Elio Vittorini ». (6), Jacques VERGES, Le Dictionnaire amoureux de la Justice, Plon 2002, p-26. Celui qui lancerait la première pierre serait celui qui n’a point péché. Aucune pierre n’avait été lancée pourtant, étant donné que le premier juge de chacun était là, la conscience. Doit-on laisser à la perdition celui qui commet le crime odieux qui fait pleurer toute la société ? « Ce qu’il y a de meilleur dans l’avocat, c’est qu’il soit là quand il n’y a plus personne ». (7), DUMAS Roland, cité par Olivier DUHAMEL, Jean VIEL, La parole est à l’avocat, 4e édition, Editions Dalloz 2020, p-12. Il n’est pas étonnant que celui qui commet le crime effroyable soit considéré comme l’infamie de toute sa famille et donc rejeté par ses proches, voire ses amis. Dans certains cas, on souhaite même sa mort en prison pour avoir jeté l’opprobre sur toute la famille, alors que son avocat doit être toujours à ses côtés, en toute loyauté, pour le défendre.

L’avocat, dans l’exercice de sa profession, se doit de se comporter comme un réparateur de ce matériau humain défectueux, doit être toujours là, comme le dernier rempart contre l’arbitraire du pouvoir, pour éviter que les droits de l’accusé soient violés. D’ailleurs, par sa plaidoirie, l’avocat pénaliste peut tout chambarder en faveur de celui ou celle qu’il défend, si le ministère public ne présente qu’une piètre défense au nom de la société qu’il représente. Peu importe le cas de figure, l’avocat qui ne fait que son travail, en accordant sa science et sa conscience pour donner une plaidoirie de qualité, doit-il être confondu avec l’accusé qu’il défend ? « Quelle est la vérité d’un caissier honnête, modèle et modeste qui, après vingt ans, vingt-cinq ans de bons et loyaux services, un soir, ouvre la caisse, prend l’argent et va tout perdre au casino ? ». (8), Jacques VERGES, Le Dictionnaire amoureux de la Justice, Plon 2002, p-27. Juste un petit moment de folie, tout peut être chambardé, par une mauvaise influence de groupe. L’avocat du caissier doit se faire cette question fondamentale, que cherchait-t-il en faisant l’expérience du casino ?

Depuis des années, le pays fait un grand plongeon aux enfers, des atrocités par-ci, des assassinats par-là, des enlèvements suivis de séquestration, des viols collectifs, entre autres. Ce qui est le plus écœurant, les auteurs de ces actes sont connus de tous. Parfois, ils font même l’apologie de leurs crimes, au vu et au su des forces de l’ordre. Un tel article doit être utile à la société et doit intéresser tout un chacun, afin que l’avocat ne soit lynché pour avoir effectué son travail professionnel. Personne ne doit être jugé sans être défendu par un avocat. Le policier qui arrête le criminel effectue son travail, le médecin qui soigne le criminel blessé exerce sa science, l’avocat qui défend le criminel jugé fait son devoir absolu. Si la société ne veut pas que le médecin ni l’avocat n’effectuent leur travail, qu’elle exige à la police de tuer tous ceux qui commettent des crimes, comme si nous étions dans une société de barbares. Dans le cas contraire, le criminel blessé doit être soigné par celui qui a prêté le serment d’Hippocrate et défendu par celui qui a prêté serment dans le temple de Thémis.

 « C’est un crime d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a pervertie jusqu’à la faire délirer ». (9), Emile ZOLA, J’accuse ! E.L.J., 1998, p-74. De tous les temps, les avocats pénalistes font toujours face à l’opinion publique. Le plus souvent, ils sont détestés, au point où ils sont confondus avec celui qu’ils acceptent de défendre. Doit-on céder pour autant à la pression de l’opinion publique lorsqu’on est l’avocat de celui qui commet des atrocités dans la société ? L’avocat, autant que nous sachions, n’a pas prêté serment de rechercher les auteurs des crimes, des délits et des contraventions. Il n’a pas non plus la mission de lyncher l’auteur des atrocités. « Pourquoi être avocat ? Être avocat afin de rester un homme libre qui ne demande ni ne doit rien à personne ». (10), ISORNI Jacques, cité par Olivier DUHAMEL, Jean VIEL, La parole est à l’avocat, 4e édition, Editions Dalloz 2020, p-132. La tâche n’avait pas été facile pour Me Jacques ISORNI lorsqu’il décida de défendre le Maréchal Pétain, accusé d’avoir trahi la France. Si le médecin soigne le malade et non la maladie, l’avocat de son côté, défend le criminel, et non le crime. En effet, dans une sorte d’hypocrisie, chacun dans la société aime son médecin, comme son avocat.

Ni l’avocat ni le médecin ne font pour autant l’apologie du crime, mais ils effectuent leur travail professionnel dans le cadre de leur métier, pour lequel ils ont prêté serment, en toute sincérité. « Robert BADINTER intervient pour défendre Patrick HENRY. Personne n’a voulu le défendre, il n’intervient pas pour le pognon, il le fait gratuitement ». (11), Éric DUPOND-MORETTI, Laurence MONSENEGO, Le Dictionnaire de ma vie, Kero 2018, p-91. Pour défendre celui qui avait enlevé et tué un garçon de 7 ans, Philippe BERTRAND, Me Badinter a prononcé cette phrase célèbre dans sa plaidoirie : « Moi, je vous dis : si vous le coupez en deux, cela ne dissuadera personne ». Cette plaidoirie de Robert BADINTER était une plaidoirie contre la peine de mort, un an après la condamnation à mort suivie de l’exécution de Christian RANUCCI, en 1976, pour un crime qu’il n’avait pas commis. Même celui qui traumatise la société tout entière par l’horreur de son crime abominable, n’est pas indéfendable, il a droit à être défendu par un avocat, et la société doit avoir le courage d’accepter que l’auteur de l’horreur soit quand même un homme et fait partie intégrante de cette société. Aussi, se doit-elle de comprendre que l’avocat qui a prêté serment de faire son devoir le plus absolu, celui de défendre la personne poursuivie et non pas de le confondre avec l’auteur de l’acte criminel.

Avec la présence de Badinter, le procès de Patrick HENRY devient le procès de la peine de mort. « L’avocat est dans un procès ce qu’un cuisinier est dans un repas ». (12), Aristipe, cité par Olivier DUHAMEL, Jean VIEL, La parole est à l’avocat, 4e édition, Editions Dalloz 2020, p-10. De la peine de mort à la réclusion à perpétuité, Patrick HENRY n’a pas fini ses jours en prison, grâce à la plaidoirie subliminale de Robert BADINTER, car il a bénéficié d’une libération conditionnée, pour avoir fait preuve d’un prisonnier modèle, après 26 ans de prison. L’avocat a intérêt, dans l’exercice de sa profession, à mettre au profit de celui ou celle qu’il défend toutes ses compétences, sans pour autant oublier la souffrance des victimes. En tant qu’auxiliaire de la justice, l’avocat en défendant l’accusé ne fait pas l’apologie du crime, mais s’assure que le procès soit équitable, en recourant à toutes les garanties judiciaires au profit de la personne poursuivie.

B-    Le droit de tout accusé à un procès équitable

« Je dénonce à la conscience des honnêtes gens cette pression des pouvoirs publics sur la justice du pays ». (13), Emile ZOLA, J’accuse, E.J.L., 1998, p-84. Aussi odieux que puisse constituer le crime, son auteur ne perd pas pour autant les garanties judiciaires consacrées par les conventions auxquelles l’Etat est partie et la constitution du pays. Le procès pénal est le lieu par excellence pour l’application des garanties judiciaires, si l’on tient compte du principe de l’oralité des débats qui est un principe cardinal. « Connaitre les garanties judiciaires est nécessaire, car elles sont destinées à protéger les droits fondamentaux des justiciables, garantis par les traités, les conventions internationaux, la constitution et les lois dans un pays où il règne le droit », nous dit professeur Amos VILIERE dans son cours de garanties judiciaires dans le procès pénal.  

Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. « Serais-je prêt à défendre Hitler ? Bien sûr ! Et même Georges W. BUSH. Je suis prêt à défendre tout le monde à condition qu’ils plaident coupables ». (14) VERGES Jacques, cité par Olivier DUHAMEL, Jean VIEL, La parole est à l’avocat, 4e édition, Editions Dalloz 2020, p-95. Klaus Barbie qui fut considéré comme un boucher humain dans la déportation des Juifs, avait été défendu et bien défendu par Me Jacques VERGES. En acceptant de défendre le criminel qui fait pleurer l’humanité tout entière, l’avocat rend aussi service à la communauté, en permettant que le procès soit équitable. « Nul n’est à l’abri d’une faute pénale, pas même le juge ». (15), Éric DUPUND-MORETTI, Stéphane DURAND-SOUFFLAND, Direct du droit, Editions Michel LAFON, 2017, p-29. Les juges comme les avocats, les religieux de toutes confessions comme les païens, ne sont à l’abri d’une faute pénale et nul n’est au-dessus de la loi. Ce qui est essentiel, c’est de juger tous ceux qui sont jugés avec dignité et humanité, en tenant compte du mobile du crime, en toute équité.

« L’accusé est le seul protagoniste à ne jamais prêter serment de dire la vérité, contrairement aux témoins ». (16), Éric DUPUND-MORETTI, Stéphane DURAND-SOUFFLAND, Direct du droit, Editions Michel LAFON, 2017, p-77. C’est Pierre DAC qui le dit, l’accusé est cuit quand son avocat n’est pas cru. Ce n’est pas parce que l’accusé qui se trouve dans le pétrin et qui essaye de se défendre maladroitement ment au tribunal que son avocat doit le suivre dans cette voie suicidaire. L’avocat est là pour défendre l’accusé et non pour dénaturer les faits de la cause, sous prétexte que tous les moyens sont bons pour atteindre son objectif. L’avocat doit savoir qu’il n’est pas un mercenaire sans âme et sans conscience professionnelle comme le politicien pervers et sans éthique qui fait du mensonge son cheval de bataille pour tromper son peuple qui lui fait confiance. D’ailleurs, l’avocat n’est pas tenu par l’attente de l’accusé, mais a une obligation de moyens. Il n’est pas en mesure de changer un mauvais dossier en un bon dossier. « Pour autant, ce n’est pas le mobile qu’on juge, mais l’homme qui a commis le crime ». (17), Éric DUPUND-MORETTI, Stéphane DURAND-SOUFFLAND, Direct du droit, Editions Michel LAFON, 2017, p-165. En toutes circonstances, l’accusé qui attend que son sort soit scellé, doit être au centre des préoccupations.

« L’arrivée de Klaus BARBIE dans le box des accusés, protégé par une vitre blindée, se fait sous les incessants déclenchements des appareils photographiques des journalistes autorisés à assister aux premières minutes du procès ». (18), Kevin LABIAUSE, Les grands procès de l’histoire, E.L.J., 2009, pp-83,84. Les garanties judiciaires poursuivent deux buts fondamentaux : d’abord, de s’assurer qu’un individu ne soit pas condamné sans avoir pu défendre sa cause de façon équitable. Ensuite, de s’assurer qu’un individu ait la capacité de contester ou de s’opposer à une mesure qui lui porte gravement préjudice ou qui met en cause sa sécurité. Dans le cadre de cet article, deux principes fondamentaux considérés comme des garanties judiciaires sont pris en compte :

a)      La présomption d’innocence 

Dans un procès pénal, dans l’application stricte du principe de la présomption d’innocence, l’accusé n’a rien à prouver, ni même à aider à l’administration des preuves contre lui. Il est là pour se défendre, pas pour se culpabiliser. Il ne lui revient pas d’effectuer le travail de l’accusation pour prouver sa culpabilité. Eu égard à ce principe, les autorités publiques, ne doivent pas se comporter comme l’opinion publique qui fait le procès avant tout jugement. Elles sont tenues à une obligation de s’abstenir de faire des déclarations publiques relatives au procès en cours dans le but d’influencer le travail du juge. Dès qu’il y a un doute, il doit s’interpréter en faveur de l’accusé, en vertu du principe général du droit, in dubio pro reo. Le ministère public qui est la partie poursuivante dans les procès criminels, celui qui représente la société dans sa demande de justice, c’est à lui qu’il revient d’effectuer son travail avec les compétences nécessaires, pour éviter que les procès soient comme des passoires pour les véritables criminels. Or, dans le moindre doute, le juge ne doit pas condamner la personne poursuivie. C’est le code pénal qui doit guider le juge dans ses décisions et non le code moral de l’opinion publique.

D’ailleurs, il est une évidence que « Les bons juges aiment les avocats parce qu’ils aiment le contradictoire », (19), Éric DUPOND-MORETTI, Laurence MONSENEGO, Le Dictionnaire de ma vie, Kero 2018, p-47. Le contradictoire est l’essence même du droit. Le juge qui n’aime pas la contradiction, fait tout sauf l’application du droit. Or, dans les procès, les parties se doivent de se contredire pour faire valoir, chacune, ses prétentions pour avoir gain de cause. Le juge, quant à lui, se doit d’être à équidistant entre les parties, il doit être à l’écoute de chacune d’elles, sans faire montre des idées préconçues. La justice a besoin des témoins, des preuves et non des commérages. Ainsi, les débats contradictoires sur tout ce qui est dit à l’audience doivent guider le juge dans sa décision. Ce principe de la présomption d’innocence a pour corollaire le contradictoire qui s’exerce à l’audience, par l’oralité des débats.

b)     Le principe de l’oralité 

Si les autorités publiques bénéficient, pour la plupart, de l’immunité, pour d’autres des privilèges de juridiction, l’avocat, quant à lui, a l’immunité de parole. Dans les procès pénaux, l’oralité des débats est un principe sacré qui exige que les preuves soient administrées à l’audience et débattues contradictoirement entre les parties. Les procès-verbaux, les interrogatoires et les rapports d’experts sont lus à l’audience, pour permettre aux parties de les discuter, de les réfuter et de proposer d’autres moyens. Ainsi, il est indispensable que les auteurs de ces actes soient entendus, en vue de leur témoignage à l’audience. « Être avocat […], c’est interdire à la haine d’être présente à l’audience. C’est amener, tenter d’amener le juge à rester juste. C’est veiller au respect des lois […] ». (20), Éric DUPOND-MORETTI, Laurence MONSENEGO, Le Dictionnaire de ma vie, Kero 2018, p-93. Ce principe de l’oralité qui est sacré dans les procès pénaux, notamment, doit permettre aux parties de discuter tout ce qui est dit et tout ce qui est présenté à l’audience, sans censure ni contrainte. L’immunité de parole de l’avocat doit être pour l’accusé la parole libératrice, conformément à la loi et aux faits de la cause.

S’il est une évidence qu’il n’existe personne qui soit indéfendable, l’avocat se doit d’agir et effectuer son travail avec conscience professionnelle, sans chercher à dénaturer les faits de la cause, pour avoir gain de cause. L’avocat doit être le premier défenseur de la loi, car elle est son arme de travail. Que chacun réponde de ses actes pour éviter que l’avocat ne soit confondu avec l’accusé qu’il défend dans l’exercice de sa profession. « Ce n’est pas de tuer l’innocent comme innocent qui perd la société, c’est de le tuer comme coupable. ». (21), CHATEAUBRIAND, Mémoires d’outre-tombe, Livre 25, chapitre 10, cité par Jacques VERGES, Le Dictionnaire amoureux de la Justice, Plon 2002, p-78. Le travail de l’avocat est essentiellement fondamental lorsqu’il doit empêcher que l’innocent soit condamné comme coupable, sous la pression de l’opinion publique. L’avocat pénaliste doit être courageux face au tsunami que représente le tribunal de l’opinion qui empêche la réflexion. « Dans l’affaire Ranucci, condamné à mort et guillotiné à Marseille en 1976 pour un crime dont nous savons aujourd’hui qu’il ne l’a pas commis, deux témoins, M. et Mme Aubert, ont fait basculer l’enquête en faveur de l’accusation ». (22), Jacques VERGES, Le Dictionnaire amoureux de la Justice, Plon 2002, p-84.

Face à ces deux témoins pervers et instrumentalisés pour la cause, face à l’émotion et la compassion de l’opinion publique, parce que la France avait peur et qu’il fallait coûte que coûte condamner quelqu’un pour envoyer un signal clair, comme pour dissuader les éventuels criminels, la présence de Me Paul LOMBARD était nécessaire. Malgré le déploiement de toutes les compétences de son défenseur, Christian RANUCCI avait été condamné à la peine de mort puis exécuté, pour un crime qu’il n’a pas commis. Est-ce une raison pour les avocats pénalistes de craindre d’affronter l’opinion publique pour assurer la défense de l’accusé du crime abominable ? L’avocat, dont le devoir absolu est de défendre tous ceux qui sont jugés, doit être toujours là, pour éviter que l’accusé soit condamné sans être jugé et défendu, et que l’innocent soit condamné à la place du coupable.

Conclusion

Pour préfacer le statut de Rome, pour la Cour pénale internationale, Robert BADINTER a écrit : « Je ne crois pas, pour ma part, qu’il puisse y avoir de paix véritable dans une société sans justice ». Qu’ils soient des criminels sans cœur, qu’ils soient des monstres impitoyables, qu’ils soient mêmes des bouchers humains qui s’adonnent à commettre des horreurs innommables, jugez-les comme nous aimerions être jugés, sans passion ni haine, mais selon la loi. Il est certain que l’accusé le plus monstrueux qui soit, s’il est conscient que son procès est équitable et qu’il est très bien défendu dans ses droits, acceptera son verdict bien mérité. En revanche, s’il constate que son procès est visiblement bâclé et que son avocat est juste là pour assister à sa condamnation sans le défendre vraiment, l’accusé aura toujours, même de sa cellule étant, tendance à continuer à faire du mal à la société. Le criminel le plus affreux ne perd ni son humanité ni sa conscience d’être humain.

Les droits de la défense étant, par nature, sacrés et consacrés par les conventions internationales relatives aux droits de l’homme et par les constitutions des pays, ils ne peuvent en aucun cas être laissés aux caprices et à l’arbitraire des autorités étatiques. L’Etat, dans ses missions régaliennes, doit, en tout premier lieu, sécuriser sa population, puisque la sécurité est considérée comme le premier des biens de l’homme. Si en dépit de tout, les crimes sont commis, les professionnels de santé dont la mission est de donner des soins ne sauraient être reprochés sous prétexte qu’ils prennent bien soin des criminels blessés. De même, les avocats qui ont juré de défendre ceux qui sont poursuivis pénalement, peu importe le crime commis, ne font que leur devoir dans l’exercice de leur métier. Bref, dans un procès criminel, l’avocat rend service à la société lorsqu’il prend la lourde responsabilité de défendre celui qui est jugé, peu importe l’atrocité de l’actes commis, car personne ne peut être jugé sans être défendu par un avocat, et ce droit ne peut faire l’objet d’aucune renonciation.

Le glaive de la justice n’a pas de fourreau, disait Joseph de MAISTRE. Le glaive de la justice n’a pas de fourreau lorsqu’il se trouve entre de bonnes mains. Ce glaive se trouve entre de bonnes mains lorsqu’il se trouve entre les mains de bons juges, des juges qui connaissent le droit, qui aiment le contradictoire et qui respectent les droits des parties. Le glaive de la justice se trouve entre des bonnes mains lorsque la justice étatique ne se laisse pas influencer par le tribunal de l’opinion publique, lorsque les garanties judiciaires s’appliquent envers et contre tous. Le glaive de la justice se trouve entre de bonnes mains lorsque l’avocat qui accomplit son devoir le plus absolu n’est pas confondu avec l’accusé qu’il défend. Le criminel qui assassine, comme celui qui dilapide les fonds de l’Etat, ceux qui commettent le crime de haute trahison, s’ils sont jugés, auront droit à d’être défendus et sincèrement défendus par leur avocat, de la même manière que Me Jacques ISORNI était là pour défendre Maréchal Pétain qui avait trahi la France.

Jean Barnave CHERON, avocat, conseiller de l’ordre au barreau de Port-au-Prince

jeanbarnavecheron@gmail.com

3 juillet 2025

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