2 novembre 2025

Le Quotidien News

L'actualité en continue

Le droit mis en état par la politique : un rejugé du néant de la cour d’appel (deuxième partie)

B- Le dessaisissement du juge d’instruction de son information

Se référant à ce qu’il qualifie de l’arrêt bâtard de la cour d’appel de Port-au-Prince, Franck S. VANEUS, a écrit : « La cour d’appel a erré en décidant par analogie dans une matière, droit pénal, obéissant à un impératif de stricte application de la loi.  Les magistrats Ponce Pilate se lavent les mains du sang de tout un peuple ». (3), VANEUS Franck S, Haïti : la caverne d’Ali Baba, le 24 février 2025, KafouNews. Les compétences en raison de la personne, de la matière et du lieu, sont déterminées par le législateur. Il s’avère que la cour d’appel, second degré de juridiction, ne peut juger que ce qui a été, au préalable, déjà jugé par la juridiction inférieure, à savoir, le premier degré de juridiction.

Avant toute chose, l’avocat pénaliste pourrait se demander s’il ne s’agit pas d’un abus de langage de qualifier la position de la cour d’appel, d’arrêt-ordonnance, puisqu’il n’y a jamais eu d’ordonnance du juge d’instruction. Au lieu d’être tenue par le droit, la politique tient le droit en état, au point où des décisions politiques s’imposent dans le temple de Thémis. Or, il est sans équivoque, comme juridiction de second degré, en raison de l’effet dévolutif de l’appel, la cour infirme ou confirme, en tout ou en partie, les décisions des tribunaux de premier degré, à savoir les tribunaux de première instance, relevant de sa juridiction, pour lesquelles la partie perdante n’est pas satisfaite. C’est aussi le cas pour les ordonnances du juge d’instruction, conformément aux dispositions de l’article 8 de la loi du 29 juillet 1979 sur l’appel pénal : « Toutes les ordonnances définitives du juge d’instruction sont susceptibles d’appel dans les formes et conditions ci-après ».

Pour sa part, la Constitution, en son article 182, dispose : « La Cour de cassation se prononce sur les conflits d’attributions, d’après le mode réglé par la loi ». Le fait par la cour d’appel de s’accorder une compétence que la loi ne lui donne pas, en décidant sur les conflits d’attribution, constitue une violation flagrante de ces dispositions constitutionnelles. Une telle compétence est la prérogative exclusive de la Cour de cassation de la République. L’article 184 de la loi mère, prescrit : « La loi détermine les compétences des Cours et des tribunaux, règle la façon de procéder devant eux ». Dans leurs fonctions juridictionnelles, la loi n’établit pas de hiérarchie entre les juges, ils sont indépendants les uns envers les autres. Voilà pourquoi, la décision de la cour d’appel, disons-le, qui est plus politique que juridique, ne saurait servir de jurisprudence dans le droit haïtien.

Si les juges de siège de première instance, de la cour d’appel et de la Cour de cassation peuvent être récusés, respectivement par devant le doyen, le président de la cour d’appel et le président de la Cour de cassation, en conformité des dispositions de l’article 448 du code de procédure civile, la récusation du juge d’instruction, en revanche, se fait uniquement par devant la Cour de cassation de la République, selon les dispositions de l’article 424 du code d’instruction criminelle. Deux raisons doivent motiver la récusation du juge d’instruction : la sûreté publique et la suspicion légitime. Pour la suspicion légitime, c’est lorsqu’on a un doute sur l’impartialité du juge, laquelle suspicion doit être légalement fondée. En dehors de cette possibilité de récusation, aucune autre prérogative légale n’est laissée aux parties pour dessaisir le juge d’instruction de ses attributions. La cour d’appel, juridiction de second degré, ne jouit pas de ce privilège. On ne le redira jamais assez, les lois de procédure sont d’ordre public, il ne revient pas aux juges de déterminer leurs compétences.

L’article 426 du Code d’instruction criminelle dispose : « Lorsque le prévenu ou l’accusé, l’officier chargé du ministère public, ou la partie civile, aura excipé de l’incompétence d’un tribunal ou d’un juge d’instruction, ou proposé un déclinatoire, soit que l’exception ait été admise ou rejetée, aucun règlement de juges ne pourra être proposé, sauf aux parties à se pourvoir en cassation, s’il y a lieu, contre le jugement rendu ». L’exception d’incompétence que les parties pourraient soulever contre le juge d’instruction ne leur donne pas droit de créer leur propre procédure. Ainsi, la cour d’appel, devant un tel recours, aurait dû examiner sa compétence, sans se laisser influencer par la politique, au point où le droit est mis en état. « Les récusations exercées contre les juges d’instruction constituent de véritables demandes en renvoi pour cause de suspicion légitime »(4) Ar du 26 nov. 1906, Bull 1906, pp330 et suiv. Il est impératif de faire remarquer que ce recours en récusation a été exercé par l’une des parties en cause. Aussi, faut-il mentionner que c’est le commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance qui a mis en mouvement l’action publique au nom de la société qu’il estime lésée.

Dans la même lignée, les dispositions de l’article 429 du CIC sont claires, et sont ainsi conçues : « En matière criminelle, correctionnelle ou de police, le tribunal de cassation peut, sur la réquisition du commissaire du gouvernement près ce tribunal, renvoyer la connaissance d’une affaire, d’un tribunal criminel, d’un tribunal correctionnel ou de police, à un autre tribunal de même qualité, d’un juge d’instruction à un autre juge d’instruction, pour cause de sûreté publique ou de suspicion légitimé. Ce renvoi peut aussi être ordonné sur la demande des parties intéressées, mais seulement pour cause de suspicion légitime ». Que peut-on reprocher à un juge d’instruction qui, après avoir été saisi par un réquisitoire d’informer du commissaire du Gouvernement, a émis des mandats de comparution contre des personnes poursuivies dans une affaire ? Dans l’état actuel de la législation haïtienne, seule l’ordonnance du juge d’instruction est susceptible de recours et non ses actes d’instruction qui ne constituent pas des décisions de justice.

Un mandat émis du juge instructeur constitue-t-il une décision de justice ?

L’ordonnance d’incompétence du juge d’instruction André CHERILUS, en date du 25 juillet 1957, dans l’affaire des bombes, qui aurait servi de référence à la décision de la cour d’appel dans l’affaire BNC, est un exemple hors contexte. « Vu l’interrogatoire de l’ancien Président provisoire Franck SYLVAIN, recueilli, le vingt-six avril de cette année (1957), en la résidence spéciale du prévenu ». (5), Joseph Leon SAINT-LOUIS, La justice pénale des hauts responsables publics, Press Uniq, mai 2022, p-229. Dans ce cas-ci, l’on voit que le juge d’instruction a interrogé l’ancien Président Franck SYLVAIN, en bonne et due forme. Après son information, le juge instructeur a rendu une ordonnance d’incompétence, suivant les principes de liberté et de neutralité. « Le respect de la constitution, des lois, des règlements, des principes en général s’impose à tous, par-delà l’amitié, l’admiration ou la fidélité vouées à un homme. Le vrai changement dans ce pays doit passer par le triomphe des règles de droit. Aucun individu, aucun groupe, aucune institution ne doit être au-dessus du droit. Toute illégalité doit être strictement sanctionnée ». (6), Monferrier DORVAL, Le Parlement peut-il être dissous ? Le Nouvelliste, 4 décembre 1997. Constitue une illégalité flagrante le fait par la cour d’appel de s’attribuer une compétence que la loi ne lui donne pas.

Dans la procédure pénale de l’enquête judiciaire, seul le juge d’instruction saisi de l’affaire est compétent pour interroger la personne poursuivie. Il s’évidente qu’aucune commission rogatoire ne peut être accordée à cette fin. L’article 79 du CIC dispose : « Dans le cas de mandat de comparution, il interrogera de suite, dans le cas de mandat d’amener dans les vingt-quatre heures au plus tard ». Dans le cas qui nous concerne, l’émission de mandat de comparution est le premier acte d’instruction du juge, puisque les personnes poursuivies n’étaient pas en état. Comment imaginer que des personnes poursuivies exercent à la fois une action en récusation devant la Cour de cassation et une action devant la cour d’appel contre un mandat de comparution du juge d’instruction ? Qu’en est-il du principe una via electa qui pourrait être soulevé avant toute défense au fond par le ministère public, représentant de la société ? Me Vanéus aurait-il raison de qualifier les juges de magistrats Ponce Pilate qui se lavent les mains du sang de tout un peuple ?

La cour d’appel, juridiction de second degré, est saisie pour rejuger ce qui a été déjà jugé par une juridiction de premier degré. C’est la raison pour laquelle, on demande à la cour d’infirmer ou de confirmer en tout ou en partie la décision attaquée. C’est également pour cette raison que la cour d’appel, dans ses arrêts-ordonnances, déclare : il a été bien jugé et mal appelé, ou du moins qu’il a été mal jugé et bien appelé. En l’absence d’une ordonnance du juge instructeur, les juges du second degré sont radicalement incompétents pour décider sur les actes d’instruction du juge de l’information. Cette incompétence est d’ordre public, car il s’agit des règles de compétences d’attribution. Sans le dire expresis verbis, dans leur décision, les juges de la cour reconnaissent leur incompétence, en déclarant qu’« il a été bien appelé », sans dire qu’il a été mal ordonné, car il n’y a pas eu d’ordonnance.

Ce ne sont ni les privilèges ni les avantages qui déterminent la qualité de Président de la République, mais la Constitution. Même l’accord politique qui crée le Conseil présidentiel de transition ne confère pas la qualité de Président aux Conseillers présidentiels, mais précise en son article 4 : « Le Conseil présidentiel de transition exerce des pouvoirs présidentiels spécifiques de la Présidence pendant la période de transition jusqu’à l’investiture du Président élu, qui doit intervenir, au plus tard, le 7 février 2026 ». Seul le Conseil présidentiel dans son ensemble peut s’attribuer les prérogatives de Président de la République. D’ailleurs, aucun reproche n’a été adressé à l’ensemble du Conseil, puisque cette affaire ne concernait que les trois personnes poursuivies.

Se référant à la non-effectivité du Conseil constitutionnel prévu par la Constitution amendée, le professeur Joseph Léon Saint-Louis, s’interroge de la manière suivante : « Que faire alors s’il est soulevé une exception d’inconstitutionnalité devant un de nos tribunaux ? Doit-on observer un sursis jusqu’à la mise en place du Conseil constitutionnel créé depuis l’année 2011 ? Ne peut-on pas dans ce cas, recourir à la théorie des formalités impossibles pour garantir le droit du justiciable à un recours effectif ? ». (7), Joseph Léon Saint-Louis, in La Cour de cassation dans tous ses états, Etudes en l’honneur du bâtonnier Justin O. Fièvre, sous la direction de Camille Fièvre, p-74. Le Parlement étant dysfonctionnel depuis 2020, sans tergiversation aucune, les juges de la cour d’appel se trouvaient devant cette alternative : Faire application de la théorie des formalités impossibles en ce qui concerne le juge instructeur ou se déclarer incompétents, pour saisine irrégulière.

Selon les dispositions de l’article 186 de la Constitution de 1987 qui constitueraient la base de la décision, c’est la Chambre des députés, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres qui prononce la mise en accusation du Président de la République pour crime de haute trahison. Si les Conseillers présidentiels étaient effectivement des Présidents, pris individuellement, la théorie des formalités impossibles serait bien en application, comme ce fut le cas en 2010, où les ex-Premiers Ministres Yvon Neptune et Jacques Edouard Alexis ainsi que plusieurs ex-ministres avaient pu obtenir leur décharge, en absence du Parlement. Voilà un cas classique qui pourrait servir de jurisprudence dans le droit haïtien, et non cette décision de la cour d’appel qui éclabousse en quelque sorte le système judiciaire.

Il n’existe aucun rapport, ni de facto ni de jure entre le Conseil présidentiel de transition et le Parlement dysfonctionnel. D’ailleurs, le CPT joue à la fois le rôle de la Présidence et celui du Parlement, lorsqu’il nomme les Conseillers à la Cour des comptes et du Contentieux administratif, le Protecteur du citoyen, le Chef de la Police, entre autres. En effet, si le Parlement n’était pas dysfonctionnel, il n’y aurait pas de Conseil présidentiel de transition. Entre la normativité juridique et le normativité politique, les juges de la cour se devaient de se référer à la règle de droit, à la règle de procédure qui est d’ordre public, mais aussi et surtout aux compétences d’attribution exclusivement réservées à la Cour de cassation de la République, en ce qui concerne les règlements de juge.

Conclusion

Les lois de procédure étant d’ordre public, elles s’imposent aux parties comme aux juges. Selon le vœu du législateur, même dans le silence des parties, le juge se doit d’en faire application, même dans le cas où le ministère public ferait sienne la demande de la partie poursuivie. En effet, la cour d’appel n’est ni une cour habilitée à attribuer la compétence ni une cour régulatrice en remplacement de la Cour de cassation. Juridiquement, il est impératif de mentionner que l’attribution de compétence judiciaire n’est laissée ni à la discrétion d’une quelconque autorité judiciaire ni à la sagesse des tribunaux et cours de justice. Le pouvoir législatif qui est l’autorité de la chose légiférée, au sens large, ne laisse l’attribution des compétences judiciaires ni aux caprices des cours et tribunaux ni à l’appréciation des juges.

S’il est un fait que les politiques font référence à la règle de droit pour mieux la tordre et la dénaturer en leur faveur, les juges, quant à eux, sont censés connaître le droit, ils sont tenus de trancher les litiges qui leur sont soumis, erga omnes (envers et contre tous), sans considération d’aucune sorte. Pourtant, de leur illégalité, s’ajoute leur influence arrogante, au point où ils arrivent même à domestiquer des juges qui sont censés être indépendants. Cette décision de la cour d’appel de Port-au-Prince, au lieu de servir de jurisprudence pour faire progresser le droit haïtien, attire, à bon droit, des critiques constructives à l’endroit de la cour. Dans une société où le droit est démesurément broyé par la politique, il ne saurait y avoir d’indépendance judiciaire.

S’il est vrai qu’en absence du Parlement, le Pouvoir exécutif, qu’il soit de jure, qu’il soit de facto, prend des décrets qui abrogent même des lois, il est aussi vrai que les autorités jouissant du privilège de juridiction, le sont pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Cependant, lorsqu’il s’agit des actes détachables des fonctions qu’elles occupent, le bénéfice de privilège de juridiction ne tient plus, car il s’agit des actes causant préjudice à toute la société, pour lesquels l’action publique est mise en mouvement. La théorie des formalités impossibles, déjà appliquée en faveur des anciens Premiers Ministres et anciens ministres, doit continuer d’être appliquée pour la santé de l’Etat de droit. Le statut de Président de la République est réglé par la Constitution. Dit qu’il a été bien appelé, sans qu’il s’ensuive « qu’il a été mal ordonné », constitue une nouvelle invention, une formule qui éclabousse tout le système judiciaire pour plaire à la politique. Une telle décision ne saurait, en conséquence, servir de jurisprudence dans la justice haïtienne, car la cour d’appel ne peut que rejuger ce qui a été déjà jugé par les juridictions du premier degré, à savoir les tribunaux de première instance placés sous sa juridiction.

Jean Barnave CHERON

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *