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Le mandat présidentiel de Jovenel Moïse

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Le pays est tellement divisé aujourd’hui que les esprits “sains” ne s’expriment plus, craignant d’être taxés de thuriféraires de l’un ou de l’autre camp. Cette dichotomie malencontreuse a, vraisemblablement, été créée et insufflée dans l’imaginaire collectif comme pour bannir le droit à la pensée et à la raison. Ce texte se veut une contribution citoyenne et un coup de «lambi» pour réveiller la vérité et la raison. Il devient un langage courant d’entendre qu’on a droit « à ses propres opinions, et non à ses propres faits».Reconstituons ici les faits en considérant deux administrations, celle du Président Michel Martelly et celle du Président provisoire Jocelerme Privert.

Le premier élément qu’il faut se rappeler dans ce débat, c’est qu’en raison des reports successifs des élections sous l’administration de Martelly, deux postes vacants pour chaque département étaient à combler lors des élections du 9 Août 2015 dont le deuxième tour s’était déroulé avec le premier tour des présidentielles du 25 octobre de la même année. C’est à dire qu’on a eu des élections pour deux tiers du sénat au lieu d’un tiers. À noter que le décret électoral du 2 mars 2015 en son article 50.3 établit la différence entre renouvellement et vacance à combler, s’agissant des sénateurs élus. Dans ce cas précis, les sénateurs ayant participé à ces élections savaient pertinemment qu’ils allaient combler les vacances des deux tiers du sénat. C’est-à-dire que le sénateur arrivant en tête des résultats, s’il gagne selon les conditions prescrites par les articles 45 et 45.1 du décret électoral, admet avoir commencé un mandat de quatre ans et le deuxième, un mandat de deux ans indépendamment de la date de leur prestation de serment.« Tout éventuel troisième sénateur élu, soit celui qui vient en troisième position, termine le mandat qui arrive à terme en premier » (Art. 50.3 alinéa 3).

En ce qui a trait au Président de la République, les faits sont totalement différents. Si le Sénat fonctionne en permanence, surtout avec le cas d’un tiers du sénat en fonction (ce qui donne l’aspect de vacance aux deux autres tiers manquants), la présidence n’est pas un collège, elle ne fonctionne pas en permanence, contrairement aux termes décrits en ce qui a trait au Sénat. Cependant, la constitution de 1987 amendée prévoit que, si pour une raison quelconque les élections ne sont pas réalisées à temps et que le président ne prête pas serment le 7 février, le mandat du président est censé avoir commencé le 7 février de l’année électorale (argument utilisé par l’opposition politique). Mais cet article ne se termine pas ici. Envoici la transcription verbatim pour l’appréciation de tous. L’article 134.2 se lit désormais comme suit: « L’élection du président a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection ».

Arrêtons-nous pour analyser cet article de la constitution de 1987 amendée auquel plus d’un font référence. Dans notre histoire récente de peuple, nous avons connu tellement de circonstances exceptionnelles qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’appliquer la loi de manière stricto sensu.Dans le cas qui nous préoccupe, après l’annulation des élections présidentielles du 25 octobre 2015 par l’administration Privert, le président provisoire a publié, en date du 21 octobre 2016, un arrêté convoquant le peuple à voter pour un président avec comme calendrier : 20 novembre 2016 pour le premier tour et le 29 janvier 2017 pour le second tour.À noter ici que nous avons deux dates pour les mêmes élections sur deux années différentes. Il est un fait que le candidat Jovenel Moise a gagné au premier tour avec 55.67% des voix, cela n’enlève en rien l’aspect exceptionnel de ces élections nous empêchant de parler d’une année électorale, mais plutôt de deux années. La question ici est laquelle de ces deux années électorales choisir quand il nous revient de parler de la fin du mandat de l’actuel occupant du palais national ?

Une analyse plus poussée des faits peut nous aider à comprendre que ce débat n’existait pas au moment des élections. Les résultats préliminaires des présidentielles de 2016 ont été publiés le 28 novembre, soit 8 jours après le déroulement du scrutin, ce n’est le 3 janvier 2017 que le BCEN a pu finalement valider ces résultats et déclarer Jovenel Moise vainqueur définitif. Notons que,malgré la validation du scrutin, le président élu a dû attendre le 7 février 2017 pour prêter serment et non immédiatement après la validation du scrutin.Par souci de revivre l’actualité de l’époque, relisons ce paragraphe tiré d’un article de Loop-Caribbean Local News en date du 24 octobre 2016 : « Le conseil Électoral Provisoire (CEP) a dû modifier son calendrier. Fixant ainsi le premier tour de ces élections au 20 novembre 2016 et le second au 29 janvier 2017. Un changement de plan qui a provoqué un tohubohu du côté des acteurs politiques qui sont nombreux à exhorter le CEP à apporter des modifications au calendrier électoral de manière à ce que la date constitutionnelle du 7 février 2017 soit respectée : ce qui est pratiquement impossible avec l’actuel calendrier ».

Autres faits : le mandat des 10 sénateurs élus en 2006 avec le Président René Préval avait pris fin en mai 2012. Conformément à l’article 231 de la Loi électorale de 2008, appliquée aussi lors des sénatoriales de 2009, le mandat des 10 sénateurs élus en 2009 devrait prendre fin en janvier 2014. En décembre 2013, la Loi électorale a été modifiée pour permettre aux sénateurs de poursuivre leur mandat jusqu’en janvier 2015. Les éléments qui suivront, révèleront que ces années 2014 et 2015 furent deux années cauchemardesques pour le futur (présent aujourd’hui) du système politique haïtien, particulièrement les relations entre l’Exécutif et le Parlement.

Au mois de mars 2014, les protagonistes ont signé ce qu’ils appellent  » l’Accord El Rancho  » en vue de réaliser les élections. Entre autres figures présentes et signataires de cet accord, le Président Michel Martelly, le Président des deux branches du Parlement Jacques S. Thimoléon pour la chambre des députés et Simon D.Desras pour le Sénat de la République sous la supervision du cardinal Chibly Langlois. Le mois suivant la signature de l’accord, comme convenu, la Chambre des députés a adopté les amendements à la Loi électorale. Cependant, suite à la publication en juin, par le Président Martellydu décret convoquant le peuple dans ces comices le 26 octobre 2014 pour pourvoir aux deux tiers du Sénat et l’ensemble des 112 sièges à la Chambre des députés, les amendements de la loi électorale furent rejetés par l’assemblée des sénateurs. Les élections d’octobre ont, somme toute, été avortées.

Si les élections n’ont pas pu avoir lieu en décembre 2014, un autre accord fut signé. Il implique les trois pouvoirs de l’État. Par ce nouvel accord, les députés resteraient en poste jusqu’au 24 avril 2015 et les sénateurs élus en 2009 jusqu’au 9 septembre 2015. Cet ultime accord visait, une fois de plus, le vote en faveur des amendements de la loi électorale au plus tard le12 janvier 2015, date préalablement prévue pour la fin des mandats des députés et le tiers du Sénat élu en 2009. Force fut de constater qu’une fois de plus les amendements n’ont pas été votés et tout ce beau monde renvoyé.

Tout compte fait, considérant les faits et le contexte dans lequel l’actuel Président haïtien Jovenel Moise est arrivé au pouvoir, il est clair que son mandat de cinq ans, entamé le 7 février 2017, prendra fin légalement le 7 février 2022.Tenant compte des multiples mouvements de protestations, parfois violentes, de l’opposition politique pour évincer le Président Moise du pouvoir, les opposants ont le droit de continuer à utiliser des stratégies pour arriver à leur fin politique. Cependant, de là à utiliser la loi ou les faits pour préparer la population à la confrontation et un éventuel bain de sang le 7 février 2021 relève, purement et simplement, d’un cynisme machiavélique et démoniaque. D’aucuns peuvent prétendre que la politique et la moralité ne marchent pas de pair, je crois qu’il est temps d’insuffler un brin d’éthique dans notre arène politique et que la vérité triomphe sur le mensonge. On ne saurait prétendre avoir des résultats différents si on continue à utiliser les mêmes pratiques.La vérité à établir et à accepter, c’est qu’il s’est créé un imbroglio politico-administratif au niveau de l’État ou de la gouvernance publique haïtienne que personne ne veut assumer. Ceux-là qui étaient au parlement, qui étaient tout aussi responsables que les gens de l’Exécutif, parcourent les rues aujourd’hui pour crier « Oh! Scandale! ». Un scandale, si ce n’est peu l’appeler, ou un monstre dont ils sont les cogéniteurs.

Jean Étienne Philippe 

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