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« L’échec n’a point d’excuse », fustige la femme à succès, Erlande F. Michel

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Erlande Fleuranvil Michel incarne une guerrière qui affronte la vie en vainqueure dès sa naissance. Une femme qui a gravi dignement les marches des vicissitudes jusqu’à s’asseoir aujourd’hui au siège de la Direction de l’Institution Hiel Matthnaï et le berceau Kindergarten, son propre établissement scolaire fondé en 2008. Passionnée d’éducation, la quadragénaire  est fière de  contribuer à la construction de l’avenir du pays. Découvrons dans ce papier l’histoire inspirante de cette grande personnalité.

Le 2 février 1981, à la maternité Isaïe Jeanty, Mme Fleuranvil donne naissance, après maintes fausses-couches, à sa première petite fille. C’est une enfant prématurée, chétive, maigrichonne, née avec des tas de complications qui voit le jour. Tout porte à croire qu’elle ne tiendra pas longtemps. Confiante, la mère demande au père, dubitatif, de trouver à son nourrisson une couveuse. Malgré lui, M. Fleuranvil qui a déjà élevé plusieurs enfants, se rend à l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti. Vainement.  Il repart bredouille. Déçu, rongé par la frustration, il dépose l’enfant surun coin de gazon non loin de l’hôpital, à la merci de la vie. Touché par le jugement austère de sa conscience, il revient sur ses pas et reprend l’enfant en murmurant qu’elle mourra dans les mains de sa mère. Quarante ans plus tard, Erlande Fleuranvil Michel, Directrice et fondatrice de l’Institution Hiel Matthnaï et le berceau Kindergarten, plus vivante que jamais, rend grâce  à Dieu a d’avoir fait d’elle une créature merveilleuse.

À la rue Dutallis prolongée, sur la route de Frères, Mme Michel nous reçoit dans son bureau. Tandis qu’il est 11h du matin, la directrice s’occupe avec sa secrétaire, Katia Saint-Hilaire, de quelques dossiers d’inscription. Sur la cour assez spacieuse de l’Institution Hiel Matthnaï que dirige Mme Michel, des parents assis profitent de l’ombre de l’amandier, à côté duquel se trouvent la Nissan Frontier noire de la directrice et quelques enfants éparpillés qui s’amusent avec des jeux.

A Dans la fleur de l’âge, Mme Michel est une femme au sourire radieux, de teint brun, avec des cheveux noirs,  abondants et crépus. Très hospitalière, dans son bureau au premier étage, elle est enthousiasmée à l’idée de faire l’inventaire de sa vie pour la rubrique Moun ou dwe konnen du journal Le Quotidien News. « Les coups de la vie ne m’ont jamais épargnée et ce, dès ma naissance. Pour vous dire que j’ai connu de nombreuses difficultés, les unes plus amères que les autres », confie celle qui a failli être rejetée par son père.

Sa mère avait déjà enregistré plusieurs avortements spontanés avant elle. Erlande  a été à cet effet une réponse à la prière de cette mère au désespoir. « Ma mère désirait toujours avoir une fille. C’était le but de ses prières, que son enfant soit une fille même si elle ne devait avoir en qu’une seule », raconte Mme Erlande F. Michel, couramment appelée Manmi Landie par ses proches et ses élèves. Malheureusement, elle n’a  passé que onze ans  aux côtés de cette mère aimante qui souffrait d’une maladie neurologique.

« A vrai dire, je n’ai pas connu une belle enfance,  parce que ma mère était souvent malade. Elle souffrait d’une maladie neurologique, donc il fallait qu’on l’opère. Mais, compte tenu des complications de cette opération, il était préférable de suivre minutieusement un autre traitement dans l’espoir qu’elle reste des nôtres encore plus de temps que prévu », se remémore Mme Michel qui, à l’âge de douze ans, a perdu sa tendre mère.

Une adolescente  dotée d’une grande maturité

Au décès de sa mère, Erlande doit rejoindre son père et vivre sous le toit  de sa belle-mère, Mika, avec laquelle, semble-t-il, elle entretient de bons rapports. « Après mes études primaires au Centre Classique et Culturel de Pétion-ville, j’ai dû me rendre chez ma belle-mère. C’est elle qui me coiffait le matin et qui faisait ma boîte à lunch . Il fallait voir comme j’étais ravissante », dit la directrice, se remémorant les souvenirs de son adolescence avec un léger sourire. Son rayonnement, à en croire ses dires, était tel que son père ne pouvait camoufler le regret qui le rongeait d’avoir tenté de la rejeter.

« Il n’a jamais avoué à ma mère que le jour de ma naissance, il m’a laissée à même le sol près de l’hôpital. Qui sait, n’était-ce la volonté de Dieu, quelqu’un d’autre aurait pu me trouver .  Au pire des cas, un porc aurait pu me dévorer, réfléchit Manmi Landie. En voyant ce que je suis devenue à son grand étonnement, il fond en larmes parce qu’il a regretté son acte », reprend-elle d’un ton serein sans aucune rancune à l’égard de son père.

Une fois de plus, le malheur frappe à sa porte. Sa belle-mère tombe malade tandis qu’elle entame ses études secondaires au Collège Marie Louise Trichet. « Certaines fois, je me demande si je n’ai pas la chance de la maladie. Rendez-vous compte, ma belle-mère n’a jamais été malade à ma connaissance. Soudainement, quand je viens habiter chez elle, elle est atteinte par une sévère maladie », se culpabilise la quadragénaire, qui est devenue au départ de sa belle-mère pour Bainet, la responsable de la maison. À seulement l’âge de treize ans.

« À treize ans, je suis devenue la dame de la maison. En pleine adolescence, l’entière responsabilité de la maison reposait sur mes petites épaules. Et cela  a eu des conséquences sur mes rendements à l’école. Point besoin d’ajouter que c’était extrêmement difficile pour moi », se rappelle Mme Michel qui s’est servi de ses expériences éprouvantes pour se forger un caractère de battante. Dotée d’une grande maturité, l’adolescente d’alors doit se défoncer pour s’adapter à cette nouvelle réalité, en assumant son rôle à la maison tout en assurant à l’école.

Son premier emploi

Son père ne sera pas épargné par le fléau. Peu de temps après, il tombe malade à son tour et éprouve des difficultés à bien tenir les rênes de la famille. Débrouillard de nature, M. Fleuranvil est un important commerçant très connu à l’époque sur la route de Frères. Il a investi dans l’immobilier, il est propriétaire d’une fabrique de blocs et d’une maison de location de matériaux de construction, il avait de quoi bien entretenir sa famille. « Quand il est tombé malade, la faute à pas de chance, c’est mon frère aîné qui a eu la gestion de ses actifs. Il en a malheureusement profité pour flatter son égo, au lieu d’assumer ses responsabilités envers nous, les plus petits. Par exemple, il a cessé de payer nos frais de scolarité », regrette la fondatrice de l’Institution Hiel Matthnaï et le berceau Kindergarten.

Négligés par  leur aîné du côté paternel,  Erlande et son petit frère vont subir respectivement les examens officiels de  neuvième et sixième année. Tandis que la coutume exige des habits flambants neufs pour franchir ces étapes combien importantes dans le cheminement académique des enfants, les jeunes Fleuranvil, privés de ces privilèges, vont devoir se servir de leurs vieux vêtements pour investir à tour de rôle leurs sièges respectifs.

« L’avantage que j’avais par rapport à mon petit frère, est que j’avais l’habitude d’aller à l’église. Par conséquent, j’avais des vêtements appropriés pour l’examen. En revanche, lui, il n’avait que ses vieux habits. Ce qui a fait jaser des langues dans le quartier, à forte raison. En réalité, ce qui allait me déranger personnellement, c’est quand j’ai demandé à mon aîné trente gourdes pour me procurer une eau de toilette, il m’a envoyé bouler  alors qu’il allait se vanter pour avoir acheté un parfum de marque qui lui avait coûté deux cent cinquante gourdes » se souvient Manmi Landie qui, selon ses dires, allait prendre sa vie en main dès ce jour regrettable, se rendant compte que son bien-être, plus que jamais, dépendait uniquement d’elle.

La jeune écolière de quinze ans adresse alors une missive au Directeur de l’École La Foi d’Abraham (ELFA) très connue à Jacquet, pour quémander un job qu’elle obtient grâcieusement au Kindergarten de l’institution. C’est ainsi qu’elle restera à son poste de titulaire de la Grande section, jusqu’à la fin de ses études au Collège Florian Ganthier.

Son parcours jusqu’à Hiel Matthnaï

« Après cette brouille avec mon grand frère, je me suis rendue compte qu’il fallait que j’aie mes propres économies. D’ailleurs, c’est ainsi que mon père m’a élevée, il me fournissait toujours de quoi subvenir à mes besoins, explique Mme Michel. Après l’examen officiel de neuvième année, j’ai quitté Marie Louise Trichet pour m’inscrire à la vacation PM du Collège Florian Ganthier, pour que je puisse travailler dans la matinée et poursuivre mes études dans l’après-midi » .

A la fin de ses études classiques, Erlande F. Michel s’inscrit à l’École Normale de Frères (CPRP) où elle obtient après trois ans d’études sa licence en sciences de l’éducation, tandis qu’elle travaille à l’école Gais Lurons située à Delmas 33. Après sa licence, elle rejoint le corps professoral du Collège Sainte Elisabeth. Entretemps, elle accumule des expériences et  connaît des moments forts avec ses élèves. Après quatre belles années à Sainte Elisabeth, Erlande tire sa révérence malgré elle, pour ouvrir enfin les portes de son propre établissement. « Je n’étais pas encore prête à quitter Sainte Elisabeth. Il le fallait malheureusement, car la personne à qui je devais confier les responsabilités de l’école m’a fait faux bond », explique la fondatrice de l’IHM.

Forte de ces expériences, Erlande F. Michel investit enfin dans son rêve en 2008. « J’ai toujours rêvé d’avoir mon école, de participer à l’éducation des enfants. Cela a toujours été ma passion, l’enseignement »,  ajoute Mme Michel qui rêve également d’étudier la psychologie et de terminer son cursus en communication à Maurice Communication. Avec seulement trois enfants dont sa propre fille, Dahne Agaï Michel, la nièce de son mari et sa propre nièce, elle   constitue l’ossature de son école. Cinq autres enfants, dont la plupart sont des boursiers,  viendront plus tard grossir ce groupuscule familial pour  former le noyau de cette nouvelle école créée à la rue Dutallis sur la Route de Frères.

Enthousiasmée par cette nouvelle aventure, aussi anguleuse qu’elle soit, la directrice assume, à elle seule, le rôle des petits personnels, de la réceptionniste et de la professeure. Une tâche lourde à porter, qui la met néanmoins dans le bain. « Il est vrai que c’était vraiment rude au début, confie-t-elle, mais j’étais dans mon bain. Je sentais que je faisais quelque chose qui me plaisait réellement », ajoute-t-elle. Vu que la plupart des enfants sont des boursiers, ce qui la passionne, ce n’est pas ce qui va rentrer dans l’économat, mais la joie de pouvoir enseigner à des enfants. « Ce n’est pas que l’argent ne soit pas important, mais ce qui m’importe au prime abord c’est la satisfaction de voir des enfants qui soient capables de bien s’exprimer, de faire une bonne lecture ou de pouvoir écrire correctement », exprime la normalienne tandis qu’elle a dans son bureau une enfant à qui elle donne des cours particuliers.

Treize ans plus tard, Mme Michel se dit fière d’avoir pu elle et son mari, le Directeur Férère Michel avec qui elle s’est mariée en 2005, contribuer à la formation de la première cohorte d’écoliers qui, aujourd’hui, sont en terminale et au secondaire II. « Il y a encore du travail à faire. Il nous reste encore un long chemin à parcourir. Nous pouvons  toutefois affirmer fièrement que nous  fournissons ici une éducation de qualité, axée sur des valeurs morales et citoyennes », se targue-t-elle.

Ses critiques sur le système éducatif haïtien

L’ancienne directrice du préscolaire de l’Institution Nouvelle Source (2010-2013) Erlande Fleuranvil Michel, profère à l’encontre des autorités du système éducatif des critiques acerbes remettant en question leur volonté de construire l’avenir du pays sur les bases d’une meilleure éducation.

« Ils n’ont pas de système, ils n’ont pas non plus la volonté de mettre sur pied un vrai système, déclare la normalienne. Comment peut-on généraliser le nouveau secondaire en Haïti, alors que les élèves en province apprennent à même le sol, et les professeurs ne sont pas formés? Nous autres à Port-au-Prince, nous n’avons pas les ressources nécessaires, comme l’énergie électrique et l’internet, pour faire fonctionner un laboratoire informatique par exemple, qu’en est-il des écoles en province ? », questionne la directrice, qui croit que le nouveau secondaire requiert des infrastructures modernes devant permettre aux élèves d’exploiter leur compétence alors que la quasi-totalité des écoles en Haïti n’en disposent pas. « Par conséquent, nous ne sommes pas encore prêts pour ce système », en déduit Mme Michel.

Plus loin, elle constate que l’éducation nationale est paramétrée de manière à ce que les élèves gâchent leur temps. Elle explique : »La plupart des enfants n’ont pas l’ambition de devenir médecin, d’être ingénieur ou avocat, entre autres. De plus, certains d’entre eux n’ont pas le quotient intellectuel pour ces métiers-là. Cette catégorie d’élèves devrait avoir la possibilité de poursuivre leurs études dans un domaine professionnel, après la neuvième année, sans qu’ils n’aient à se torturer pour essayer vainement de comprendre des matières qui ne leur seront pas vraiment d’une grande utilité dans leur vie », raisonne la directrice, passionnée de  recherche et qui se retrouve dans la réforme de Bernard.

« L’enfant va se  débrouiller tant bien que pour obtenir son diplôme, pour ensuite apprendre la cosmétologie, la cuisine, pour être jardinière, entre autres exemples, alors qu’il  aurait pu passer ce baccalauréat dans l’un de ces domaines professionnels qui l’intéresse », continue Manmi Landie qui invite les autorités concernées à repenser le système éducatif haïtien.

La directrice de l’institution Hiel Matthnaï et le berceau Kindergarten, Erlande Fleuranvil Michel, mère de quatre enfants, est en réalité une guerrière qui vit  depuis sa naissance en vainqueure. À la stupeur de tous, elle continue à se booster afin de ciseler ce bel avenir dont elle rêve. Passionnée de dessins animés, l’entrepreneure quadragénaire projette d’inaugurer à Mirebalais un parc d’attractions et un centre éducatif pour l’épanouissement des enfants de cette ville et des zones avoisinantes.

Au terme de cet entretien qui a duré plus d’une heure de temps, elle met en garde les jeunes oisifs quant aux impondérables qui pourraient survenir dans leur vie, en les invitant à faire une meilleure gestion de leur temps, car, selon elle, l’échec n’a point d’excuse.

Statler LUCZAMA

luczstadler96@gmail.com

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