Les corrompus ont-ils du sang sur les mains?
5 min readÀ voir mourir sous nos yeux un enfant pour carence de soins, à remarquer une fillette se faire déflorer pour une bouchée de pain par un vieux croûton, quel nom attribuer à ces désolants constats ? À quel adjectif mortifère associerces honteusesprestations pour mieux dessiner les contours de ses conséquences sur le quotidien de nos congénères ?Ne remarquons-nous pas une corrélation avec le fléau qu’est la corruption endémique au pays ?
C’est dans ce contexte que j’avais relayé les premières vidéos, insoutenables pour les yeux et le cœur, de ces 80 malheureux, rôtis jusqu’aux os, dans l’explosion du camion à essence du Cap-Haïtien dans la nuit du 15 décembre,avec ce tristelibellé : « Résultat de la misère, de l’ignorance et de la prédation ».
Voyez surtout avec quelle désinvolture l’homme haïtien,prisonnier d’une dialectique inconsciente de promotion sociale,brûle du désir d’exposer ses gains mal acquis à la vue de tous. Cette malencontreuse habitude détonne déjà dans le décor pourceux qui ont soif de probité et dont l’honnêteté pousse à l’autosacrifice, même si le poids de la tradition est là pour perpétuer et corseter le vice.
En se penchant sur ces fraudesroutinières dans le milieu ambiant, une myriade de questions vient chiffonner notre quotidien en essayant de leslier à ces drames à répétition qui endeuillent le paysen opposition àla volatilité de l’être.
Quand notre ignoranceest à la source de notre inconséquence
Il est rapporté dans nos livres d’histoire que le président J-P Boyer avait décidéde fermertoutes les écoles de la jeune nation, pour ne conserverdans la capitale qu’un collège de filles et un lycée de garçons. Il a même fait barricader l’Université de Santo-Domingo, la seule de l’île. Comment mesurer de telles décisions ? Est-ce de l’obscurantiste avoué? Est-ce de l’incompétence, de l’égoïsme, pour maîtriser le pouvoir uniquement pour son clan instruit,et enchaîner ses frèresanalphabètes à la terre ? Non ! Loin de là !
Voyez-vous, je ne veux pas cheminerdans la thématique du racisme, car, pour ma part, ce seraitfaire le jeu de l’autre,dechevaucher un concept que le caucasien a inventé de toutes pièces,aux fins de justifier ses privilèges.Pour humilier ou catégoriser, au meilleur de ses intérêts, le métis né de ses relations avec un ou une Noire, le mot mulâtre, dérivé du règne animal, mule ou mulet, a été spécifiquementretenu. Mais entre eux, ce sont les deux derniers vocables qu’ils malmènent en chuchotant pour désigner l’intrus, le pauvre coloré qui n’avait pas choisi de naître, suite à ce rut furtif, qui en définitive fut un viol. En réalité, dans le cas de notre J-P Boyer, par hasard un mulâtre, il cherchait la reconnaissance de ses géniteurs. Il travaillait sous ordre. Il était en service commandé, en tant « qu’agent francais1 » devenu président.Comme punition, il fut déchu de la nationalité haïtienne par le Parlement le 9 mars 1844 et banni à vie du pays.
Donc, voici les vraies raisons d’une décision désinvolte, prise depuis plus de 200 ans, dont nous payons encore les conséquences aujourd’hui. Tous les drames, dont nous partageons les résultatsdepuis le passé jusqu’à maintenant, découlent de latroublante insouciance de cetégoïstequi n’a pas permis à la majorité de s’instruire, de sortir de la nuit de l’esprit.
Ainsi, sous-éduqué, sans scrupule, le corrompu s’enrichit et se voit déjà en transition de classe. Complaisant dans sa bêtise, il ne paie ni les taxes ni les impôts, ne respecte pas les budgets fixés, vole, non pas simplement l’État, mais le pays dans son ensemble et chaque citoyen en particulier.
Des corrompus ou simplement des voleursde grand chemin.
Chez nous, l’accaparement du bien d’autrui, le dépouillement de l’État, le siphonnage de l’impôtse révèlent êtreun art de vivre, une tare endogène qui gangrènentet handicapent la nation. Selon Jacky Lumarque, recteur de l’universitéQuisqueya, « En Haïti la corruption n’existe pas… La corruption est une machine sophistiquée qui fait appel à des mécanismes bien huilés et qui met en œuvre des outils de dissimulation complexes et raffinés. Ici les acteurs impliqués ne prennent pas le temps de les maîtriser. Nous avons donc affaire à des voleurs de grand chemin qui dédaignent les précautions les plus élémentaires pour dissimuler leurs forfaits ».
Lumarque a entièrement raison. À preuve, l’exposition spectaculaire de ces soudaines richesses est là pour prouver l’illettrisme des acteurs.Ils ne distinguent que l’envie dans les yeux de leur voisin, au lieu du dédain et de la rancœur. Ils n’ont jamais préjugé des résultats de leur méfait. Chaque dollar volé entraîne un flot de malheurs non souhaités pour la nation, et les conséquences sont criantes, et crèvent les yeux.
Le pire de tous ces scandales à refrain du « Tout le monde le fait, fais-le donc », c’est quand on entend sur les ondes ou on visionne sur les médias sociaux, sur YouTube,l’étalement, l’éclat de l’opulence d’une classe de vautours vaniteux. En entendant aussi l’implicationde l’Église,le dernier gardien de la morale chrétienne, dans la contrebande de fer, de ciments…etc, avec le grand commerce,on devine laperte des deniers publics dans l’extinction de la taxe et de l’impôt qui devraient aider le pauvre. Où cette descente va-t-elle s’arrêter?
Ainsi,à ce stade précis, ils n’entendent pointles pleurs de ces enfants qui crient famine,neremarquent pointcesdésœuvrés qui se risquent surun esquif pour redevenir esclaves outre-mer,ces hôpitaux sans âme, sans médicaments, sans médecins,ces professeursfauchés, ces infirmières faméliques,qui travaillent sans salaire depuis 8 mois, ces chômeurs affamés qui se convertissent en bandits…
Stop ! Arrêtonsici le scénario du film d’horreur ! Un livre entier de mille pages nesaurait suffirepour énumérer les relations de cause à effet de cette attitude outrancière à l’origine de ces cascades de malheur.En nous rappelant l’incident du Cap,on peut conclure que chaque détournement de fonds transformeles pickpocketsencriminelsà maudire, enescamoteursd’envergure aux mains rouges de sang, encleptomanes inconscients à crucifier sur le bûcher de la vanité.
Or cheznous, l’imputabilité est à somme nulle. En l’absence de justice, aucun de ces irresponsables ne risque la prison pour y réfléchir un tout petit peu. L’unique manière de les sensibiliser,c’est par l’éducation, et rien d’autre que l’éducation !
Max Dorismond
– NOTE –
1 —Un double jeu et d’autres escroqueriesont été démontrés plus tard lorsque J-P Boyer a été déchu de sa citoyenneté par le Parlement le 9 mars 1844. Src. : Démystifier l’histoire — Mythes et légendes d’Haïti (Page 214. Jacques Casimir).